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"Universités sous haute tension", "L’Humanité" du 21 janvier 2009

mercredi 21 janvier 2009, par Laurence

Pour lire cet article sur le site de L’Humanité.

72 des 85 conseils d’administration des universités ont voté des motions marquant leur défiance à l’égard des réformes du gouvernement. Aujourd’hui, la contestation s’enracine, les grèves administratives se multiplient. Une « coordination nationale » se réunit aujourd’hui à Paris pour acter la journée de grève du 29 janvier et prendre date pour le second semestre. Valérie Pécresse est prévenue : la fronde s’organise dans le supérieur. Décryptage complet dans L’Humanité de ce jeudi du dossier noir des facs.

Alors que le mouvement lycéen peine à se relancer, celui des enseignants-chercheurs est en pleine ascension. Les effets de la loi LRU (libertés et responsabilités des universités), votée en août 2007, continuent à se faire sentir. Modification du statut des enseignants-chercheurs, « mastérisation » des concours, non remplacement des départs à la retraite, démantèlement des organismes de recherche (CNRS, INSERM)… Pour les enseignants, la coupe est pleine. Depuis trois semaines, les universités enchaînent pétitions, motions, assemblées générales, grèves et manifestations, rejetant ainsi la philosophie de la loi dans son ensemble. Aujourd’hui se tient dans une annexe de l’Université Paris-I Panthéon Sorbonne [ [1]] , la première réunion de la Coordination Nationale des Universités, à laquelle participeront une vingtaine d’établissements. A l’ordre du jour, les modalités de la poursuite du mouvement. Tour d’horizon des raisons de la colère.¶

Statut des enseignants-chercheurs : le décret de trop

Le 1er décembre 2008, Valérie Pécresse adresse un courrier aux présidents d’université. Elle fait part du projet de décret modifiant le statut des enseignants-chercheurs. Un bouleversement de fond dans la carrière des universitaires. La répartition du temps de service entre enseignement, recherche et tâches administratives sera désormais modulée par l’université. Le 5 janvier 2009, dans un lettre envoyée au président Sarkozy, la conférence des présidents d’université (CPU) relaie cette vive inquiétude : « Ce qui crée le malaise est la conception même de la modulation des services, (…) qui revient en fait à alourdir le temps d’enseignement de ceux que le Conseil national des universités aura jugé moins performant en recherche. (…) Cela revient à considérer l’enseignement universitaire comme une activité par défaut, alors que l’enseignement est au contraire l’activité la plus noble, celle qui couronne les productions de la recherche, celle qui fait le pari de l’avenir à travers les compétences des jeunes diplômés ».

Le décret a donc été vécu comme une défiance du gouvernement à l’égard de la profession. « Les universitaires sont suspectés de ne pas accomplir correctement leur double tâche d’enseignement et de recherche. Faire dépendre le service d’enseignement de critères d’évaluation de la recherche, c’est risquer d’assimiler l’activité noble qu’est l’enseignement à une sanction », analysent des enseignants signataires du texte « Pas de normalisation par le bas ». Qui décidera du niveau de recherche de chaque enseignant ? Sur la base de quels critères ? Valérie Pécresse a assuré que le Conseil national des universités (CNU), instance nationale consultative et décisionnaire, continuerait à se charger de la qualification, du recrutement et de la carrière des enseignants-chercheurs. Ce qu’elle ne dit pas, c’est que l’évaluation du CNU servira uniquement de base à une décision finale rendue par le président de l’université. L’instance universitaire locale verrait alors ses pouvoirs décuplés. « Les luttes de pouvoir vont se multiplier. Chacun cherchera à tirer son épingle du jeu et le président de l’université pourra jouer de cela pour imposer ses vues », explique Bertrand Binoche, professeur de philosophie de Paris I. Et d’ajouter : « Comme pour les juges, comme pour la télévision, les chercheurs sont sur le point de perdre leur indépendance intellectuelle ». Les enseignants dénoncent également la volonté de faire peser sur eux toujours plus de tâches administratives : tutorat, suivi des stages, recherche de financements, fonctions d’intendance et de secrétariat…

Formation des enseignants : master obligatoire, mais sans stage rémunéré

Étudiants et enseignants s’opposent à une « masterisation » des concours de recrutement des enseignants du premier et du second degré. La première mesure gouvernementale concerne la valorisation de la formation en IUFM grâce à un diplôme (le master). Cette qualification devrait entraîner une meilleure rémunération. Ce qui n’est pas précisé : le projet prévoit la suppression de l’année de stage rémunérée. La revalorisation annoncée ne concerne que les débuts de carrière. Le calendrier de recrutement réduit le master à un semestre de cours et à un autre de stage. Enfin, le niveau d’exigence des futurs concours sera celui de la 3e année de licence. Présent à la manifestation des enseignants du 20 janvier, Audrey et Floriane, étudiantes en licence d’histoire-géo à Paris 7, se destinent à l’enseignement dans le secondaire. Elles se sentent logiquement concernées par le mouvement : « Je ne vois pas comment en une année, on arriverait à faire le mémoire et préparer le concours. Et puis, on ne se voit pas débarquer devant une classe sans aucune expérience ». De son côté, Thomas englobe ce mouvement dans un contexte plus large : « Les universités sont un service public de qualité. C’est l’ensemble du système public français qui ne cesse de subir des attaques. On débloque des milliards d’euros pour les banques. Et pour l’éducation, pour la santé ? Rien ».

Accord France-Vatican : la laïcité menacée

Passé un peu inaperçu dans l’avalanche des projets de réforme, l’accord entre la France et le Vatican entérine une reconnaissance nationale et étatique des diplômes délivrés par les instituts catholiques contrôlés par le Vatican au même titre que ceux des universités publiques. Dans l’appel lancé depuis l’université de Strasbourg (lire l’Humanité du 13 janvier), réclamant une réforme concertée de l’université, cette accord est présenté comme « la goutte d’eau » : « Voici enfin que les valeurs républicaines et laïques sont remises en cause par la reconnaissance internationale, à l’initiative de notre ministère des Affaires étrangères, des diplômes délivrés par les instituts catholiques ». Pour les présidents d’universités, cette convention constitue « un précédent inacceptable » : « Quelle nécessité d’avoir ajouté cette clause provocatrice, (…) qui ne peut que soulever les protestations de l’ensemble de la communauté universitaire ? » La précipitation des réformes, le flou des textes et l’inflexibilité de la ministre de l’Enseignement supérieur sont autant d’ingrédients pour continuer à faire bouillonner le mouvement engagé par les professeurs, étudiants et personnels de l’université. Etat des lieux de ce bouillonnement, aujourd’hui à la Sorbonne.

Ixchel Delaporte

A lire dans l’Humanité de jeudi, la suite de notre dossier sur le malaise à l’Université.

A lire dans l’Humanité également, L’Appel des appels :

"Alors que nos métiers respectifs, qu’il s’agisse de la santé, du soin, du travail social, de l’éducation, de la recherche, de la justice, de l’information et de la culture, subissent une attaque sans précédent de la part du gouvernement - alors que des appels de réaction et de protestations sont lancés par dizaines dans le pays - le temps est venu, nous semble-t-il, de coordonner ces différents mouvements et d’en tirer tout le sens politique".
Notes :


[1Amphitéâtre du centre Saint-Charles, 47-53 rue des Bergers Paris XVe, à partir de 11 heures.