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Sauvons l’Université répond à Nicolas Sarkozy - par Sylvestre Huet, Libé-blogs (sciences), 6 février 2009
samedi 7 février 2009, par
Pour lire l’article sur le blog de Sylvestre Huet.
En quelques minutes, hier soir, Nicolas Sarkozy a réussi à se mettre encore plus à dos les universitaires. L’association Sauvons l’Université, dont l’action joue un grand rôle dans le mouvement de contestation actuel, vient de rendre publique une analyse critique des propos du Président de la République sur la réforme des Universités. Je la publie ci-dessous.
Libération a publié ce matin une réaction d’un universitaire à la prestation télévisée du Président, que j’avais recueillie au téléphone juste après. Il s’agit de Bertrand Guillarme, Professeur des Universités à Paris-8, spécialiste de philosophie politique et membre de l’Institut Universitaire de France. La voici :
« Le non du Président à la demande de retrait de la réforme de notre statut constitue une nouvelle marque de mépris vis à vis des universitaires. Venant au soir d’une journée de forte mobilisation, il ne peut que nous encourager à la poursuivre. Son envolée sur notre refus d’être évalué n’est qu’un mensonge, nous le sommes déjà et souvent. Ensuite, les nouvelles modalités imposées par Valérie Pécresse nient la dimension collective de notre travail scientifique et pédagogique.
Enfin, le conflit entre la communauté universitaire et le gouvernement porte sur le mode de recrutement et de promotion qu’il veut confier aux présidents d’universités. Ainsi que sur l’augmentation générale de nos charges d’enseignement qui résultera de la pénurie de postes. Contre-vérité aussi sur les budgets des universités qui n’augmentent pas en euros constants et à périmètre de dépenses équivalent. Le fameux 1,8 milliard de plus pour la recherche et l’enseignement supérieur n’est qu’un tour de passe-passe. »
Pour ce qui concerne la journée d’hier, le site de SLU propose uneinformation complète. Ici, la note sur la manifestation parisienne. J’ai publié ce matin une note sur le communiqué de l’Académie des sciences critiquant le discours du 22 janvier de Nicolas Sarkozy. De son côté, le Snesup annonce qu’il ne participera pas à la rencontre proposée par Valérie Pécresse si elle se limite à la discussion d’une "charte d’application" du décret sur les statuts des Enseignants-chercheurs dont il réclame "le retrait".
Voici le texte de SLU :
Myopie et surdité
Dans les quelques minutes qu’il a consacrées au conflit qui oppose en ce moment le gouvernement et le monde de l’université et de la recherche, Monsieur Sarkozy a choisi délibérément d’enfiler comme des perles des contre-vérités et des réductions schématiques qui composent une présentation complètement biaisée des principales questions posées.
La seule vérité qui émerge de ses propos est l’effective revalorisation des débuts de carrière des enseignants-chercheurs assurée par la prise en compte dans l’ancienneté de deux années de thèse. Mais la mesure n’est qu’un pis-aller encore insuffisant au regard des niveaux de salaire des jeunes collègues. En revanche, au chapitre des contre-vérités flagrantes on notera son affirmation selon laquelle toutes les grandes universités du monde suivraient le modèle d’autonomie mis en place par la loi LRU ou celle sur le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche qui serait en hausse de 1, 8 milliard par an.
Ces chiffres relèvent d’un habillage budgétaire qui joue constamment sur des modifications des périmètres budgétaires, prend en compte les mêmes augmentations dans deux lignes différentes ou inclut des engagements des années précédentes reporté es ou non. Ne sont en outre pas pris en compte les effets budgétaires du millier de suppressions de postes imposées unilatéralement aux universités en décembre 2008. Une illustration de cette situation est offerte par les dotations budgétaires de fonctionnement de quasiment toutes les universités françaises rendues publiques au début du mois de décembre 2008 : où on claironne des augmentations substantielles, dans l’immense majorité des cas, il y a une baisse en euros constants. Tout ceci révèle que la vision qu’a le gouvernement de l’ « autonomie » est à la fois autoritaire et fondée sur un désengagement de l’Etat du financement de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Une autre illustration en est l’augmentation massive du crédit impôt recherche que l’on se garde bien d’évaluer (ce qui est étonnant pour ce chantre de l’évaluation systématique) afin de ne pas dévoiler que le fameux « effet-levier » que ce dernier est censé favoriser n’existe pas et se réduit à un effet d’aubaine pour le secteur privé français.
Au chapitre des réductions parfois caricaturales des questions soulevées par le mouvement des enseignants-chercheurs et des chercheurs, on relèvera évidemment les propos tenus sur l’évaluation, comme si c’était le projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs qui introduisait pour la première fois l’évaluation dans le monde de l’enseignement supérieur et comme si massivement nos collègues refusaient l’évaluation. Or nous sommes évalués lorsque nous soutenons nos thèses et habilitations à diriger des recherches, lorsque nous obtenons notre qualification par le CNU, lorsque nous sommes recrutés sur des postes, lorsque nous demandons, au CNU ou à nos universités, des promotions et les rares semestres de congés pour recherches, lorsque nous soumettons nos articles à des revues, lorsque nous publions des livres, lorsque nous participons à des colloques, lorsque nous demandons des subventions de recherche ou de publication, sans compter les évaluations collectives lors des plans quadriennaux (pour les maquettes de l’offre de formation et pour les équipes de recherche). Nous sommes évalués tout au long de notre vie professionnelle, l’évaluation par les pairs (et pas l’« auto-évaluation » dont parle M. Sarkozy !) est un principe fondamental de l’activité de l’enseignant-chercheur.
Quant à la QUALITÉ de la recherche française, il est temps de dénoncer les mensonges propagés par le gouvernement : dans le classement OCDE 2007, la France est 6ème en nombre de publications, alors qu’elle n’est que 16ème en taux de financement de la recherche par habitants…(cf. Etat de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, document édité par le Ministère !). Elle est 6ème au classement de Shanghai par pays, un chiffre qui n’est curieusement jamais évoqué dans le discours officiel.
Toujours au titre de ce schématisme - dont on est en droit de se demander s’il relève de la méconnaissance du dossier ou de la manipulation - on appréciera tout particulièrement, au regard de son importance sociale pour la formation des enfants de ce pays, le couplet compassionnel sur la paupérisation des enseignants « depuis 40 ans » à laquelle la réforme de la formation des enseignants serait censé apporter une solution. Rien n’est dit de la suppression pour des raisons strictement budgétaires de l’année de formation en alternance (stages en responsabilité et sessions de formations théoriques) qui suivait la réussite au concours de recrutement. Rien n’est dit de la diminution drastique du temps de la formation théorique ; rien des modifications de la nature des concours qui ne garantiront plus la maîtrise de la compétence disciplinaire nécessaire ; rien encore de la confusion engendrée entre le diplôme et le concours, entre la certification d’une capacité à enseigner (par l’obtention du master) et le recrutement sur un poste stable (par le concours), qui mènera probablement à une précarisation du corps enseignant avec l’extension massive de la contractualisation des titulaires de masters non reçus au concours, de la maternelle au bac.
L’intervention de M. Sarkozy fait preuve d’une myopie et d’une surdité à toute épreuve. Myopie car M. Sarkozy semble ne pas voir l’étendue des problèmes posés par les réformes hâtives que sa Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche tente de mettre en place. Surdité car, en dépit de ses appels réitérés au dialogue, le Président de la République n’a visiblement pas pris la mesure de la colère et de la détermination qui font se dresser contre son gouvernement le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans une démarche et une unité totalement inédites. Le ton est moins méprisant que dans son discours scandaleux du 22 janvier mais la position reste la même. Nous saurons faire front.