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Pécresse veut-elle acheter les présidents d’université ? (Chloé Leprince, Rue89, 6 février 2009)
dimanche 8 février 2009, par
Pour lire l’article sur le site de Rue89.
La ministre augmente leurs revenus et aimerait compter sur eux pour défendre sa réforme… sans les convaincre.
Jeudi soir, durant son intervention télé, Nicolas Sarkozy a affirmé que les présidents d’université étaient "d’accord" avec la réforme qui avait encore mis 40 000 personnes dans la rue, le jour-même. C’est un peu vite dit.
Sur les listes d’enseignants-chercheurs circulent plusieurs courriers ou discours de présidents d’université singulièrement plus critiques que ne le laisse entendre le chef de l’Etat. Ainsi cette lettre de Bernadette Mabeuf, de l’université de Nanterre, qui le 4 février exhortait Valérie Pécresse :
"Madame la ministre, je vous en prie, écoutez la rumeur qui enfle chaque jour en provenance des horizons de pensée les plus divers."
Ou encore, le 5 février, ce communiqué de Marie-Christine Lemardeley, présidente de l’université Sorbonne Nouvelle (Paris-III), qui peut difficilement être plus claire :
"J’ai eu l’occasion de dire plusieurs fois, notamment le 26 janvier, que je suis solidaire des inquiétudes et des protestations légitimes qui s’expriment au sein de notre université."
Cette dernière précisait même un peu plus loin qu’elle s’engageait à ce que les listes d’absences exigées par le rectorat les jours de grève seraient bien anonymes.
La Conférence des présidents d’universités tiraillée
Même si tous les présidents d’université ne sont pas aussi explicitement engagés auprès de leurs troupes, il n’empêche que l’on est loin du front uni derrière Valérie Pécresse que décrivait Nicolas Sarkozy jeudi soir.
Ce grand écart des présidents d’université est particulièrement visible sur le site de la CPU (la Conférence des présidents d’universités), qui a récemment accéléré le rythme de ses communiqués, appelant depuis début janvier à davantage de dialogue. "Alors qu’on nous accueillait encore comme des attardés archaïques et butés en novembre", témoigne Jean-Louis Fournel, porte-parole de Sauvons l’université qui était allé critiquer la masteurisation de la formation des enseignants à l’automne.
Entre temps, il y a l’élection du nouveau bureau de la CPU, qui regroupe 82 universités, 3 universités technologiques, et -entre autres- Polytechnique, Normale-Sup, l’Insa, le Cnam ou l’Inalco. Mais il y a surtout le réveil des enseignants-chercheurs qui ont milité auprès de cette association loi 1901, qui existe depuis trente-sept ans. La Conférence des présidents d’universités est tiraillée entre deux raisons d’être.
La vocation de la CPU est d’être "un lieu d’échange, de réflexion et d’accompagnement des grands changements que vivent les universités françaises". Mais, depuis la loi LRU de 2007, elle est aussi un interlocuteur privilégié du gouvernement.
Sur le papier, la loi LRU visait pourtant à donner davantage d’autonomie aux facs et en particulier à leurs présidents. Mais, pour faire passer sa réforme aussi vite qu’elle l’entendait, Valérie Pécresse a accéléré la cadence en s’appuyant davantage sur les présidents d’université.
Pour Jean-Louis Fournel, de Sauvons l’université, "la ministre a trouvé un ersatz de consultation. Comme si la CPU était représentative de la communauté alors qu’elle a justement été un des lieux d’élaboration de la réforme."
Non contente de négocier précisément avec ceux qui profiteraient au plus des nouveautés introduites par sa loi, Valérie Pécresse a même fait mieux : le 20 octobre, elle annoncé qu’elle majorait le traitement des présidents d’université et même la durée de leur mandat.
Ces deux réformes sont passées plutôt inaperçues. En quoi consistent-elles ?
* Augmenter leur prime
Cette prime passe en effet d’environ 12 000 euros actuellement à "entre 22 000 et 40 000 euros", selon la taille de l’université. Elle vient s’ajouter au traitement ordinaire perçu par le président. Si le président est par ailleurs maître de conférences, il cumule prime et salaire d’un maître de conférences. S’il est professeur des universités, idem. Sachant que sur l’année 2007-2008, par exemple, le président de Lille-III touchait 18 180,35 euros.
* Permettre aux présidents de briguer plusieurs mandats consécutifs
Avant la loi sur les autonomies, un président restait cinq ans, mais ne pouvait enchainer deux mandants. Il pourra désormais se faire élire plusieurs fois de suite, avec des mandats de quatre ans. Une évolution qui fait craindre à un de nos internautes "un climat de campagne permanente avec rémunérations en primes et promotions des soutiens et sanctions des récalcitrants".
Clientélisme ? C’est ce que dénoncent pas mal d’enseignants dans les facs, même si certains reconnaissent que la prime précédente était insuffisante. C’est aussi ce que tente d’infirmer la CPU, qui a fini par se fendre d’une lettre ouverte à Nicolas Sarkozy le 5 janvier dernier, afin de hausser le ton et de dire le malaise grandissant et les mécontentements accumulés.
L’argent, "une stricte initiative du ministère" et "un argument mesquin"
Sollicité, Lionel Collet, président de Lyon 1 et président de la CPU, n’a pas voulu préciser à combien s’élevait sa prime actuelle, avant majoration par Valérie Pécresse. Mais il s’est dit très remonté contre "cet argument mesquin" qui laisserait entendre que les présidents d’université se laisseraient acheter par le ministère :
"Ni nous ni le bureau précédent n’avons jamais demandé la moindre modification ! C’est une stricte initiative du ministère alors c’est un peu fort de nous le reprocher ! Et, alors qu’on risque d’avoir 1,5 millions dans la rue et tous les chercheurs, je refuse catégoriquement d’être le président qui discutera de la prime des présidents avec le ministère. Ce sera mon successeur qui le fera dans deux ans, s’il le souhaite, mais moi j’ai d’autres priorités.
Quant au mandat, j’étais personnellement contre le passage à quatre ans renouvelables. C’est dire que nous ne sommes pas la courroie de transmission du gouvernement !"
Du côté de "Sauvons l’université", on reconnait que l’arrivée de Lionel Collet à la tête de la CPU au moment où grossit le mouvement sur les campus et dans les laboratoires pourrait amorcer un changement de ton :
"L’université sait secréter des anticorps. La CPU a compris qu’elle devait évoluer sous l’effet d’un mouvement qui venait de la base. Alors que Pécresse, qui connait très mal l’université, sous-évalue les résistances du fait collégial et du fait collectif dans l’université. Les présidents doivent l’intégrer."
Pas sûr, décidément, que Nicolas Sarkozy puisse dire dans sa prochaine intervention que "tous les présidents d’université sont d’accord".