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Petite mise au point sur l’évaluation, par Frédérique Matonti (Mediapart, 8 janvier 2009)
dimanche 8 février 2009, par
Pour lire l’article sur le site de Mediapart. On conseille aussi le témoignage d’un autre collègue, sur son blog.
Au cœur des accusations qui justifieraient la nécessité de réformer le statut des enseignants-chercheurs, il y a l’absence prétendue de l’évaluation (contrevérité lancée par le Président de la République, et que l’on retrouve désormais, ça et là, sous la plume ou dans la bouche de certains éditorialistes, accompagnée de commentaires plus ou moins déplaisants). En juillet 2007, la promotion de la LRU (Loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités) avait reposé, elle aussi, sur la répétition en boucle de quelques affirmations erronées. Par exemple, nous disait-on, dorénavant, les universités pourraient nommer qui elles souhaitaient (comme si ce n’avait pas été auparavant le cas…), mais le lobbying en faveur de la LRU omettait soigneusement en revanche que les Présidents d’Université auraient désormais la dernière main sur ces mêmes recrutements, pouvoir qui constitue une véritable exception française.
Il en est de même pour l’évaluation supposée inexistante. Une carrière d’enseignant-chercheur est au contraire ponctuée de procédures d’évaluation, soit qu’il s’y soumette, soit qu’il évalue ses pairs.Tout commence lors du recrutement. Pour être élu/e, un/e maître/sse de conférences, après un parcours d’une bonne dizaine d’années dans sa discipline où il/elle aura réussi l’ensemble de ses examens, parfois obtenu une agrégation du secondaire ou un diplôme d’une grande école en sus, passe une thèse, évaluée par un jury, puis doit être « qualifié/e ». C’est-à-dire que sa thèse, et plus largement son parcours (ses diplômes, ses recherches, ses enseignements), sont évalués par le Conseil supérieur des Universités (CNU). Celui-ci, après avoir entendu deux rapporteurs, décide s’il/elle est en droit ou non de se présenter sur des postes de maître de conférences. Ensuite, le/la docteur/e qualifié/e se porte candidat/e sur des postes publiés de maître de conférences. Dans ma discipline, la science politique, et jusqu’à la LRU qui a introduit une grande incertitude sur les calendriers et les nombres de postes, c’est une moyenne d’une quinzaine de postes qui sont publiés chaque année pour une grosse centaine de candidats postulant sur chaque poste et un « vivier » de plus de 200 candidats. Les dossiers sont ensuite examinés par un comité (autrefois une commission de spécialistes) qui retient une dizaine de candidats puis les auditionne. A l’issue de cette audition, un/une candidat/e est élue. Certes, la procédure pourrait être largement améliorée pour éviter les recrutements localistes — que la nouvelle loi accentue, plus encore qu’elle légitime. Par la suite, et selon les disciplines, le/la candidat passera une Habilitation à diriger des recherches (HDR) ou bien une agrégation du supérieur. Dans le premier cas, le/la candidat/e préparera et présentera une nouvelle recherche ainsi qu’un bilan de ses travaux, évalués, là encore par un jury. Puis, il/elle retrouvera le chemin du CNU avant, une nouvelle fois évalué par lui, de « candidater » sur des postes de professeurs. Pour les disciplines à agrégation (droit, économie, science politique notamment), le/la candidat passe un concours s’étalant sur l’année et comprenant 3 ou 4 épreuves. La première est une évaluation des travaux du candidat par un jury de 7 membres, les trois autres consistent en des « leçons » portant sur des domaines de sa discipline.
Après ces très longs parcours, et une fois recruté/e, l’évaluation ne s’arrête pas là. Par exemple, dans les trois dernières années, j’ai été évaluée à deux reprises à titre individuel. Tout d’abord, j’ai fait une demande de Prime d’encadrement doctoral et de recherche (PEDR), accordée pour 4 ans. Pour l’obtenir, j’ai dû récapituler l’ensemble de mon CV et de mes publications, ainsi que préciser combien d’étudiant/e/s j’encadre pour leur thèse, combien ont soutenu, etc. Dans les nouvelles formules que je remplirai d’ici 2 ans, je devrai également préciser les articles publiés par « mes » doctorant/e/s. Mon dossier a ensuite été évalué par une commission d’experts sous l’égide du ministère de l’Enseignement et de la Recherche. J’ai, l’année suivante, fait une demande de passage à la 1ère classe de professeur, qui a été évaluée au CNU, puis n’ayant pas obtenu cet avancement à ce stade (les postes sont rares et la file d’attente longue), j’ai été évaluée par le Conseil scientifique de mon propre établissement.
J’ai également été évaluée plusieurs fois à titre collectif, si j’ose dire. Tout d’abord, le laboratoire de recherches auquel j’appartiens, fait l’objet d’une évaluation tous les 4 ans, dite « quadriennale ». J’ai donc rempli un CV et une fiche d’activité, qui ont été joints au dossier de près de 1000 pages, adressé par mon laboratoire, à l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement). On notera, à ce propos, qu’il existe depuis mars 2007, une Agence d’évaluation, existence paradoxale puisque nous n’aurions jamais été évalués, si j’en crois toujours Nicolas Sarkozy. A la suite de la lecture de ce dossier, mon laboratoire recevra dans quelques semaines la visite d’une délégation qui évaluera le niveau scientifique de ce même laboratoire, ce qui décidera ensuite de son niveau de financement, mais qui peut aussi décider d’une sorte de procédure de mise sous tutelle, voire de sa suppression. Parallèlement, en tant que directrice d’UFR (Unité de Formation et de recherche, en général disciplinaire), j’ai piloté la préparation du « quadriennal » de l’offre de formation, procédure là aussi extrêmement lourde qui a occupé une partie de l’équipe enseignante de l’UFR d’avril à octobre (moins le mois d’août, tout de même…). Tous les quatre ans, en effet, nos diplômes sont évalués (cohérence de la formation, insertion professionnelle, cohérence régionale, pertinence pour les débouchés, qualité de l’offre, etc.) Les documents ont été rendus le 15 octobre 2008, ils seront évalués par des experts de l’AERES et de la DGES (Direction générale de l’enseignement supérieur) au printemps 2009. Cette évaluation permettra ou non l’ouverture de nouveaux diplômes et la pérennité des diplômes existants. Enfin, l’Ecole doctorale, à laquelle j’appartiens, fera elle aussi l’objet de cette même procédure d’évaluation.
Je suis ou j’ai été, par ailleurs, moi-même évaluatrice. Siégeant au CNU, où j’ai été élue par mes pairs, j’évaluerai cette année 24 thèses (un record, les années précédentes, je ne dépassais pas les 20). J’ai participé cette année au jury de 7 thèses ou HDR — précisons que l’ensemble de ces écrits tournent autour de 500-600 pages. J’ai évalué des diplômes d’Universités ayant déposé leur projet de quadriennal dans les « vagues » précédentes (une petite dizaine de mentions de « master »). En tant que membre nommé du Conseil scientifique de la Maison des Sciences de l’Homme de Lille, j’ai évalué à deux reprises des projets de recherche (une fois en septembre, une fois en décembre). En tant que membre élu du Conseil scientifique de mon propre établissement, et membre nommé de son Comité permanent, j’ai procédé à de très nombreuses évaluations : prix de thèses, subventions à la publication de thèses, bourses de mobilité pour les étudiants, avancement des enseignants, subventions à des projets de colloques, etc. A ce titre, c’est à une dizaine de réunions que j’ai participé l’année passée et que je participerai l’année qui vient. J’étais également membre de trois commissions de spécialistes, je ne sais dans combine de « comités ad hoc » je siégerai. J’aurais pu, mais cela n’a pas été le cas, être évaluatrice pour des projets de recherche nationaux, évaluation qui permet d’obtenir ou non des fonds pour cette recherche. Je laisse de côté les évaluations d’articles pour les revues, dans lesquels les chercheur/e/s sont tenus de publier, ainsi que les évaluations des dossiers des docteur/e/s qui postulent pour être « parrainé/e/s » par le laboratoire auquel j’appartiens, lors de leur candidature au CNRS.
Comme on le voit, et contrairement à ce que l’on entend ici et là, les enseignants chercheurs sont très régulièrement évalués. Cette évaluation détermine, pour une part, leur avancement et leurs primes, mais aussi la pérennité des équipes de recherche dans lesquelles ils et elles travaillent et la composition des diplômes dans lesquels ils et elles enseignent. Elle détermine également le niveau de financement de ces mêmes équipes de recherche, des projets de recherche ponctuels dans lesquels ils/elles s’inscrivent, et enfin de leur université.
A la lecture de cette longue récapitulation, pourtant sans doute lacunaire, le lecteur pourra s’étonner, comme nous le faisons tous les jours, de ce que l’autonomie accordée aux universités par la LRU s’accompagne bien au contraire de tant de contrôles.