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"Les cinq dossiers qui fâchent", par Sylvestre Huet et Véronique Soulé, 10 février 2009
mercredi 11 février 2009, par
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Les sujets qui alimentent la colère des universitaires sont à la fois nombreux et disparates. Revue de détails des sujets qui font débat.
La réforme du statut des enseignants-chercheurs
Les universitaires sont aujourd’hui sous le régime du décret de 1984. Ils sont embauchés par des commissions locales de spécialistes sur des postes de maîtres de conférence et de professeurs en fonction d’une liste de « qualifiés » établie par le Conseil national des universités (CNU). Leurs promotions sont décidées pour moitié au niveau national par le CNU et pour moitié localement. Ces promotions se font sur la base d’une évaluation de leurs recherches (surtout pour le national), de leur enseignement et de leur participation à l’administration de l’université (surtout pour le local).
La réforme attribue 95 % des promotions au niveau local ; la commission qui en décidera sera nommée par le président de l’université. La répartition du temps entre recherche et enseignement devient du ressort du président. L’évaluation, faite par le CNU, serait systématique tous les quatre ans.
Les contestataires craignent le localisme, le clientélisme, une évaluation sur des bases bibliométriques rudimentaires, un sacrifice de la recherche. Les juristes critiquent la perte d’indépendance des universitaires garantie par la Constitution. Syndicats, SLU (Sauvons l’université) et SLR (Sauvons la recherche) en font une critique plus concrète, liée à la pénurie d’emplois : alors qu’il faut améliorer l’encadrement des étudiants, la diminution des effectifs d’universitaires se traduira par une augmentation des charges de cours pour la majorité.
La masterisation de la formation des enseignants
La réforme de la formation des professeurs du primaire et du secondaire est un sujet à la fois technique et passionnel. Les enseignants vont désormais devoir avoir un master (bac + 5) pour être recrutés. Jusqu’ici, sauf pour les agrégés, il leur était généralement demandé un bac + 3 (une licence). Ceux qui avaient le Capes (Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré) avaient souvent plus que ce diplôme. Pour le gouvernement, c’est tout bénéfice pour eux : recrutés à un niveau plus haut, ils vont être embauchés à de meilleurs salaires. C’est donc une revalorisation.
Les syndicats enseignants de l’Education réclamaient cette réforme. Pourtant, la masterisation passe mal. Les concours de recrutement - celui de professeur des écoles, le Capes, etc - ont été « simplifiés ». Une épreuve de « connaissance du système éducatif » a été introduite et le nombre, et le poids relatif, des épreuves disciplinaires diminué. Du coup, certains dénoncent une formation au rabais. Les universités ont reçu la mission de préparer ces masters enseignement. Mais elles estiment que c’est infaisable dans un délai si court - d’ici le 15 février. Les spécialistes des IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres), qui s’occupaient de la formation professionnelle, estiment que celle-ci va être sacrifiée dans les futurs masters avec trop peu de stages. Ils craignent pour leur avenir. Enfin, les étudiants dénoncent la suppression de l’année de stage rémunéré qui existait juste après le concours. Pour le ministère, c’est un mauvais procès. Le prof qui vient de réussir son concours sera toujours fonctionnaire stagiaire, mais un an plus tard, ses études étant rallongées. Des bourses ont été prévues pour l’année d’études supplémentaire et une indemnité de 3 000 euros maximum pour le stage en cinquième année. Très loin toutefois des quelque 1 300 euros mensuels d’avant.
Le budget et les emplois
Valérie Pécresse affirme que son budget consacre un « effort sans précédent pour la recherche et les universités ». L’analyse qu’en font la plupart des présidents d’université comme les syndicats est diamétralement opposée. Les suppressions d’emplois (près de 1 000 en 2009) et l’annonce d’autres suppressions pour les années à venir sont au cœur du conflit et ont soulevé la colère des présidents d’université les mieux disposés vis-à-vis du gouvernement. L’autonomie se traduit aussi par des transferts de charges qui semblent ne pas être compensés intégralement.
Les organismes de recherche
Dans son discours du 22 janvier, Nicolas Sarkozy a donné un an aux organismes de recherche (CNRS, Inserm…) pour se transformer en « agence de moyens », c’est-à-dire en distributeurs de crédits à des opérateurs de recherche qui seraient les universités. Impossible à réaliser aussi vite, cette décision est considérée par la plupart des chercheurs de ces organismes, mais aussi des universitaires qui travaillent dans les Unités mixtes de recherche (URM), comme un démantèlement dangereux. Le saucissonnage du CNRS en « instituts », la mise en cause de l’affiliation au CNRS de nombreuses UMR, la diminution des crédits de base au profit des crédits sur des programmes thématiques décidés par une Agence nationale de la recherche dénuée de conseil scientifique : toutes ces réformes font craindre un éclatement de l’organisme qui joue aujourd’hui le rôle de colonne vertébrale du système. Le prix Nobel de physique Albert Fert a vigoureusement dénoncé cette politique.
Les conditions de vie étudiante
Valérie Pécresse assure qu’elle en a déjà fait beaucoup. Elle a revalorisé le plafond des bourses sur critères sociaux - c’est-à-dire qu’elle a revu à la hausse le niveau de revenus des parents à partir duquel un jeune est allocataire. Elle a aussi créé un sixième échelon de bourses - correspondant à l’exemption des frais d’inscription. Mais pour les organisations étudiantes, la ministre n’a fait que du saupoudrage. Les deux parties sont toutefois d’accord sur un point : les étudiants sont parmi les premières victimes de la crise.
Reçues jeudi par la ministre, les organisations étudiantes ont une série de demandes. L’Unef va réclamer « des mesures concrètes pour le pouvoir d’achat des étudiants ». Parmi celles-ci, la vieille revendication d’un dixième mois de bourses (contre neuf actuellement), une hausse de leur montant et une aide à la recherche du premier emploi sous forme d’une allocation versée entre trois mois et un an. Selon l’Unef, il y a « un sas de précarité » entre la fin des études et l’emploi, notamment pour les boursiers qui se retrouvent sans rien. La Fage, deuxième organisation, demande que l’on mette « l’accent sur l’encadrement et la pédagogie ». Et réclame un plan pluriannuel de recrutement.