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Universités : combien de temps encore sans négocier ? - par Jade Lindgaard, "Médiapart", 19 février 2009

jeudi 19 février 2009, par Laurence

Après trois semaines de « grève illimitée », la tension est à son comble entre la communauté universitaire et le gouvernement. Malgré la proposition des parlementaires UMP de réécrire le décret litigieux sur le statut des enseignants-chercheurs, la liste des revendications, des désaccords et des blocages s’allonge un peu plus chaque jour que dure le conflit, rendant difficile la conclusion d’un accord.

Entre exécutif et communauté universitaire, la tension est à son comble après trois semaines de « grève illimitée » et en cette nouvelle journée de mobilisation nationale, jeudi 19 février. Même si la mobilisation promet d’être limitée à cause des vacances scolaires, le conflit s’étend : le Snuipp-Fsu, représentant les enseignants du premier et second degré, appelle à manifester avec les syndicats du supérieur, la coordination nationale des universités, les associations Sauvons la recherche (Slr) et Sauvons l’université (Slu).

A la suite d’une assemblée générale au CNRS jeudi dernier, des laboratoires de grands organismes de recherche se déclarent solidaires des universitaires. Certains ont même entamé une grève de leurs expertises. Dans les assemblées générales, la présence des personnels Biatoss (ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers et personnel de service) se renforce, selon Laurence Giavarini de Sauvons l’université, pour qui « plus le temps passe, plus le mouvement se radicalise ». Pour Tayed Tounfi, porte-parole de la coordination des étudiants réunie à Rennes le week-end dernier : « Nous demandons l’abrogation de la loi LRU. » Un mot d’ordre qui sera mis au vote de la prochaine réunion de la coordination nationale des universités, vendredi 20, à Nanterre.

Dans une tribune dans Libération (publiée mercredi soir sur son site), François Fillon se mêle soudain du dossier et entrouvre la porte. Il insiste sur la reconnaissance des années de formation dans le cadre du doctorat et des périodes post-doctorales. Selon lui, le niveau de rémunération des universitaires « sera donc immédiatement très supérieur à ce que nous connaissons aujourd’hui ».

Mais le gouvernement a le plus grand mal à prendre la mesure exacte du mouvement en cours. Selon un scientifique reçu au cabinet de Valérie Pécresse début février, l’entourage de la ministre semblait surpris de l’intensité de la contestation contre la modulation de services. « Mais n’est-ce pas ce que tout le monde réclame depuis longtemps ? » s’est-il entendu demander.

Les initiatives locales se multiplient : cours hors les murs, réunion de scientifiques par discipline. Un cercle des « professeurs et chercheurs disparus » vient de se créer... Vendredi des mathématiciens de Paris VI et Paris VII organisent une journée publique de débats.

Une forte volonté de réécrire le décret

La médiation de Claire Bazy-Malaurie – qui a commencé lundi ses rendez-vous avec des représentants du Sgen-Cfdt – a du mal à prendre : énarque et non universitaire, elle souffre d’un déficit de crédibilité auprès des porte-parole du mouvement. « La réaction du gouvernement est totalement incompréhensible : la médiatrice n’est missionnée que sur le décret de 1984, qui n’est qu’un tout petit bout du dossier », s’étonne Isabelle This, présidente de Sauvons la recherche.

Pour Jean Fabbri, secrétaire général du Snesup-Fsu (majoritaire à l’université) : « A un moment, il faut négocier. Le ministère connaît mon numéro de téléphone. » Mercredi midi, au seuil du sommet social à l’Elysée, le syndicat a interpellé le gouvernement : pas de plan de relance sans investissements massifs dans l’enseignement supérieur et la recherche.

Le paradoxe du blocage actuel, c’est qu’une voie de sortie semble commencer à se profiler pour la réécriture du décret sur la modulation de service qui a mis le feu aux universités. Le groupe parlementaire UMP a remis mercredi sa proposition de nouveau décret à la médiatrice : évaluation des enseignants-chercheurs au niveau national (par le conseil national des universités, le Cnu), par les pairs et par discipline, et non plus par le conseil scientifique des universités ; modulation de la charge d’enseignements sur la base du volontariat ; paiement des heures supplémentaires de cours ; suppression du lien entre évaluation et modulation de services ; maintien en partie du système national de promotion ; lien avec un décret renouvelant le fonctionnement du Cnu...

« Ça répond en partie aux demandes des universitaires », affirme Daniel Fasquelle, député UMP du Pas-de-Calais. Il a rencontré Valérie Pécresse mardi, puis la médiatrice mercredi qui toutes deux furent selon lui « attentives et ouvertes aux suggestions ». Pas de réaction officielle de Valérie Pécresse mercredi soir. A ce stade, cette proposition n’est pas reprise par le gouvernement. Mais « ce n’est pas une contribution comme les autres », veut croire Daniel Fasquelle, qui ajoute que, lors de son entretien avec la ministre mardi matin, il a « senti une forte volonté de réécrire le décret sur les points litigieux ».

La première réaction des chefs de file du mouvement de contestation des réformes est plutôt intéressée : « On sent qu’on commence à être entendu, réagit Jean Fabbri, du Snesup, mais il reste à traiter la question des maximums de service, des primes et des congés recherche. » Pour Isabelle This, de Sauvons la recherche :« C’est vraisemblablement dans ce sens là qu’il faut aller mais en même temps la mobilisation porte aussi sur la masterisation, les suppressions de postes, les grands organismes... Pour envisager une sortie de crise, il faut au minimum un signal sur l’emploi et sur la fin du démantèlement du CNRS. »

Là-dessus, pour l’instant, silence radio de l’exécutif. « La démarche me paraît bonne mais la tentative de briser le front commun et de détacher la masterisation de la modulation de services m’inquiète », analyse Valérie Robert, porte-parole de Sauvons l’université. Un décret réécrit sur cette base pourrait sans doute satisfaire certains opposants au texte ministériel actuellement déposé au Conseil d’Etat. Mais plus le conflit s’allonge, et plus la liste des revendications s’étoffe.