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La "mastérisation" des enseignants expliquée à ma fille, , par Sylvestre Huet, Libéblog, Sciences², 25 février 2009
mercredi 25 février 2009
Pour lire l’article sur le blog de S. Huet.
L’une des revendications les plus fortement exprimée par les manifestations récentes demande le retrait de la « mastérisation ». Que signifie ce terme barbare ? De nombreuses tentatives de l’expliquer aux étudiants, à la population... et aux journalistes ont été réalisées depuis un mois.
En voici une qui me semble particulièrement réussie, claire et courte, écrite par un groupe d’universitaires de Grenoble. La voici :
Pourquoi nous refusons de renvoyer les maquettes des masters : Ce qu’on ne vous dit pas de la « masterisation » de la formation des maîtres
Dans une lettre aux présidents d’université du 2 février, Valérie Pécresse écrit que l’enjeu de la réforme de la formation des professeurs est « un enjeu de qualité : une plus grande qualité de la formation des futurs enseignants pour assurer une plus grande qualité de l’enseignement dispensé à nos élèves ». Qui ne pourrait être d’accord avec une telle ambition ? Mais la réforme des masters exigée par la ministre est-elle à la hauteur de cette ambition ? Non seulement nous en doutons, mais nous pensons que la formation dispensée à l’avenir aux futurs enseignants risque d’être de moins bonne qualité que celle qu’ils reçoivent aujourd’hui.
De quoi s’agit-il en effet ? De rassembler dans un master unique ce qui fait l’objet jusqu’ici de troisClasse_college formations différentes : un master d’université, une préparation à un concours de recrutement, une formation professionnelle pour les futurs enseignants, chacune de ces formations ayant des objectifs et une logique propres pas toujours compatibles avec les autres. Dans le système de formation des maîtres actuels, un certifié de lettres modernes reçoit globalement 690 heures de cours sans compter le stage en responsabilité devant une classe qu’il assure en même temps, soit de 6 à 8 heures d’enseignement par semaine, assorties de visites de formateurs et de l’accompagnement d’un conseiller pédagogique.
En revanche, l’étudiant qui s’inscrit par exemple dans un Master de littérature, master qui doit, selon les nouvelles dispositions ministérielles, former les futurs enseignants, a droit à seulement 340 heures de cours en moyenne, et au suivi de son mémoire par un enseignant. On rétorquera bien sûr que la qualité de la formation n’est pas affaire d’arithmétique et donc de nombre d’heures de formation, mais tout de même : comment, dans un nombre d’heures aussi réduit, donner à la fois les enseignements du master de littérature, ceux qui permettent de se préparer au concours et assurer en outre la formation professionnelle d’étudiants qu’on prétend mettre devant des classes avec un service entier après leur master ?
La réalité, c’est que les universités ne sont pas en mesure de proposer aux étudiants les stages que les IUFM organisent : elles n’en ont ni l’expérience, ni les moyens et il n’est pas question dans le projet gouvernemental de les leur donner. Certes, Valérie Pécresse promet plusieurs dizaines de milliers de stages, mais les futurs enseignants n’étant plus des fonctionnaires-stagiaires rémunérés et défrayés pour leurs déplacements, ces stages ne seront effectifs que dans un périmètre réduit à celui de la ville de leur université, laquelle ne saurait fournir à la demande. En effet, les stages devant des classes et leur suivi exigent des moyens considérables, tant sur le plan financier que sur le plan pédagogique, moyens que la réforme n’envisage pas sérieusement.
De toutes manières, les 100 heures d’enseignement en responsabilité prévues par le ministère n’équivaudront jamais aux 6 à 8 heures par semaine sur 35 semaines qu’assurent actuellement les enseignants en formation avec en outre un véritable salaire. Le paradoxe est de taille : alors qu’on a reproché aux IUFM une préparation trop éloignée des réalités du terrain, trop théorique, insuffisante pour préparer les enseignants à leur futur métier, on propose ainsi une formation essentiellement théorique, et même nécessairement théorique faute de moyens réels de formation professionnelle.
En réalité, et dans la meilleure des hypothèses, cette formation aberrante jettera devant les classes de jeunes enseignants bien moins préparés que leurs aînés à affronter un public parfois difficile, enseignants sans bagage pédagogique significatif, et seulement assistés d’un tuteur d’établissement sans doute plein de bonne volonté mais lui-même absorbé par ses propres classes. Isolés dans leur établissement, sans les possibilités d’échange entre pairs et avec des formateurs qu’offrait l’IUFM, ces jeunes enseignants seront très peu aidés à leur entrée dans un métier devenu difficile et, pour certains d’entre eux, risquent tout simplement de ne pas tenir le choc. Est-ce là « la plus grande qualité de l’enseignement » que nous promet la ministre ?
Certes, ces enseignants auront un master pour que, écrit Valérie Pécresse, « les professeurs français seManif002 voient enfin reconnaître par un diplôme national de Master une formation comparable à celle de l’ensemble de leurs collègues européens au terme de cinq années d’études ». Mais les enseignants actuels ont déjà une formation de niveau bac + 5 : après leur licence, ils ont une année de préparation au concours exigeante en termes de formation académique et une année de formation professionnelle après le concours. C’est cette formation qu’il aurait simplement fallu « mastériser » en affectant des crédits aux enseignements de préparation aux concours et en revoyant l’année de formation professionnelle pour en faire une formation diplômante.
D’ailleurs le niveau effectif de la nouvelle formation sera moins élevé : le nombre et le niveau des épreuves disciplinaires du concours sont sensiblement réduits dans toutes les disciplines, et leur poids est considérablement minoré à l’oral au profit d’un entretien touchant le fonctionnement du système éducatif. Au demeurant, le ministère ne compte sans doute pas recruter la nouvelle génération d’enseignants par l’entremise des seuls concours de la fonction publique. En effet, Valérie Pécresse l’écrit clairement : elle souhaite « des masters (…) suffisamment riches et ouverts pour qu’un échec au concours puisse permettre d’envisager d’autres types de métiers ». Ces métiers, personne ne sait ce qu’ils sont ni même tout simplement s’ils existent.
En réalité, ce qu’a en vue le ministère, c’est une main-d’oeuvre toujours abondante et disponible pour fournir à l’éducation nationale des remplaçants sous-payés. Ce ne sont là que quelques uns des nombreux problèmes soulevés par cette réforme et des nombreuses questions qu’elle laisse encore sans réponse. Nous ne voulons pas nous faire les complices d’une réforme que nous jugeons mauvaise pour la formation des enseignants et dangereuse pour des générations d’étudiants qu’elle entretiendra dans l’illusion qu’ils pourront tous devenir enseignants avant de les rejeter sur le marché du travail sans pouvoir leur offrir de réels débouchés alternatifs.
Rédacteurs de ce texte : Roger Bellon, Marie Bernanoce, Christophe Cave, Isabelle Cogitore, Brigitte Combe, Didier Coureau, Alice Folco, Martine Furno, Francis Goyet, Malika Hammou-Bastin, Anne Jeannin-Vibert, Daniel Lançon, Christiane Louette, Catherine Mariette, Stéphane Macé, Chantal Massol, Dominique Massonnaud, Jean-François Massol, Anne-Marie Montluçon, Christine Noille-Clauzade, Jean-François Perrin, Julien Piat, Anna Saignes, Agathe Salha, Nathalie Thamin, Bertrand Vibert, Laurence Vianès
Enseignants-chercheurs de l’UFR des Lettres et arts, Université Stendhal (Grenoble 3)