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"CNRS : les jeunes chercheurs sortent le carton rouge", par Sylvestre Huet, Libéblogs, Sciences², 9 mars 2009
lundi 9 mars 2009, par
Pour lire cet article sur le blog de Sylvestre Huet.
Ce matin, le Cnrs invitait ses nouveaux embauchés - chercheurs, ingénieurs, techniciens et administratifs - à l’hotel Marriot, à Paris. Bilan : les centaines de scientifiques ont sorti leurs cartons rouges pour protester contre la politique gouvernementale d’affaiblissement du Cnrs.
Olivier Roueff (chargé de recherche en sociologie), l’un des jeunes embauchés, a participé cette initiative, née sur un forum de discussion entre jeunes scientifiques. Elle s’est traduite par une prise de parole, un vote massif sur un texte (ci dessous) condamnant la politique, et, geste exceptionnel dans une "maison" où l’on soigne la courtoisie et le tutoiement entre scientifiques, l’absence d’applaudissements à la fin du discours d’accueil du Directeur général du Cnrs, Arnold Migus. En guise de salutation, les jeunes embauchés ont levé des cartons rouges... (voir photo). La journée a été marquée par des débats sur la situation du Cnrs, la politique gouvernementale, avec la participation de Georges Debregeas (physicien) de Sauvons la recherche et de Cyril Capelain, un jeune biologiste mobilisé contre la précarité dans les laboratoires. Le texte de protestation a été voté par 81% des jeunes embauchés.
Lettre ouverte des nouveaux recrutés 2008 au CNRS
Nous, nouveaux recrutés 2008 au CNRS, affirmons avec force notre attachement à cet organisme public de recherche. Le CNRS a un rayonnement international et il a su garder, par son fonctionnement et sa structure, indépendance et liberté de pensée, dans tous les champs disciplinaires, vis-à-vis des mondes politique et économique.
C’est en grande partie pour ces raisons que le CNRS continue d’attirer des chercheurs du monde entier : nous avons connu de l’intérieur le système français et les systèmes étrangers, et nous avons été soumis à une évaluation permanente ; nous sommes donc bien placés pour apprécier les qualités du CNRS par rapport à ses homologues internationaux.
Au moment où nous devrions nous réjouir d’intégrer cet organisme, nous ne pouvons qu’exprimer publiquement les vives inquiétudes que suscitent à nos yeux les réformes en cours et les profondes modifications structurelles touchant notre organisme. Ces réformes ont pour objectif de transformer un opérateur de recherche reconnu et indépendant en une agence de moyens obéissante, dont les objectifs scientifiques sont définis par les pouvoirs économique et politique. Nous voulons plus particulièrement dénoncer les conséquences de cette évolution qui nous affectent déjà dans notre quotidien.
Les moyens humains comme financiers ont été réduits drastiquement. L’année 2009 voit une baisse de 25% du recrutement de chercheurs au CNRS et la suppression de 250 postes dans les universités alors que le nombre d’étudiants est en constante augmentation. On assiste au contraire à une précarisation accrue et à la multiplication des CDD, en particulier pour les jeunes chercheurs et les personnels techniques et administratifs.
Ces CDD et la quasi-totalité des dépenses de recherche sont aujourd’hui financés par les appels d’offre de l’ANR (Agence Nationale de la Recherche). Ils sont en large majorité à visée technologique et sont renégociables chaque année en fonction du lobbying du moment. Les réformes actuelles donnent ainsi un poids encore jamais atteint au pouvoir politique et aux grandes entreprises dans le pilotage de la recherche. Par ailleurs, le désengagement de l’Etat du financement des Universités (dans le cadre de la loi LRU) les rend plus dépendantes des fonds privés et des collectivités locales.
La seule augmentation budgétaire pour la recherche est le ‘Crédit Impôt Recherche’, qui consiste à défiscaliser certaines entreprises lorsqu’elles investissent dans leurs départements de recherche et développement, Il n’est soumis à aucune évaluation. Ce « cadeau fiscal » est d’un montant considérable et en forte hausse : de 1.5 milliard d’euros en 2005 à plus de 4 milliards d’euros pour l’année 2009. 80% de ce montant ira aux plus grosses entreprises françaises. Pourquoi une réforme si coûteuse, sans évaluation de son impact ?
Ces réformes sont donc dangereuses pour la créativité de la recherche et risquent à terme de faire disparaître des pans entiers de la connaissance, car non « rentable ». L’étude des causes et des conséquences des inégalités sociales ne rapporte pas d’argent. Pour autant, voulons-nous arrêter d’accumuler et de transmettre des connaissances sur ce sujet ? L’informatique ou la génétique ne rapportaient pas d’argent il y a 60 ans. Aurions-nous préféré qu’on ne finance pas la recherche dans ces domaines à l’époque ? S’il faut évaluer les risques associés aux activités d’une entreprise ou d’une collectivité locale, est-ce un chercheur financé, recruté et piloté par celle-ci qui sera le plus impartial et objectif ?
Si nous sommes mobilisés aujourd’hui, ce n’est donc pas pour défendre de quelconques avantages corporatistes. Nous voulons contribuer à l’excellence de la recherche française en intégrant un organisme dont la force et l’indépendance sont reconnues mondialement. Nous avons le désir et la capacité de participer à l’amélioration du fonctionnement du CNRS, mais nous résisterons avec toutes nos forces pour ne pas assister à son enterrement.