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S’accorder dans le temps pour réformer l’université - Pascal Binczak, président de Paris-VIII-Vincennes à Saint-Denis, "Libération", 9 mars 2009
vendredi 13 mars 2009, par
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Comme l’ensemble des piliers de la société, l’université française subit une avalanche de réformes, qui, si nous n’y prenons garde, affecteront profondément le service public de l’enseignement supérieur et risquent surtout d’alimenter un sentiment d’indignation, une crise sociale majeure. La communauté universitaire est aujourd’hui légitimement révoltée. Est-il encore temps de mettre un terme à cette chronique d’un gâchis annoncé ?
La question n’est plus de se demander s’il est nécessaire de réformer l’université mais de prendre, s’il en est encore temps, si l’on tient à l’institution universitaire, la mesure de l’ampleur du désastre, c’est-à-dire d’apprécier la pertinence - et surtout l’impact - des récentes réformes portant pêle-mêle sur : la gouvernance (sans que jamais la preuve de l’efficacité du nouveau mode de fonctionnement n’ait été établie), la formation et le recrutement des enseignants, l’évaluation (sans expérimentation ni recul sur le bien-fondé de ses modalités), les missions de l’université, le statut des enseignants-chercheurs, les relations avec les autorités de tutelle, avec les grands organismes de recherche, eux-mêmes victimes d’autres réformes (CNRS, Inserm), avec les partenaires économiques (création de nouvelles fondations)… en bref, tout y passe, sur le mode « ça passe ou ça casse »… et aujourd’hui, ça casse.
Si pour certains, tel le juriste Olivier Beaud (lire sur le site de l’association Qualité de la science française), le mouvement universitaire procède d’une heureuse réaction « corporatiste » dans la mesure où il faut se féliciter que la corporation universitaire se mobilise enfin, dans sa plénitude (toutes les disciplines, toutes les tendances, de droite comme de gauche s’unissant pour la première fois dans un même combat), le mouvement universitaire semble aussi dépasser clivages et frontières pour conjuguer sa voix à celles de tous nos concitoyens mobilisés pour la défense du service public et des valeurs républicaines. Pour nos concitoyens, comme pour les universitaires, il ne s’agit pas de refuser le principe d’une réforme, mais d’en assurer une élaboration concertée, pensée et libérée des diktats de rentabilité immédiate d’un gouvernement menant « une politique à courte vue » (Albert Fert, prix Nobel de physique 2007).
Pour les universitaires, il s’agit d’être associés à la réflexion portant sur les garanties statutaires et budgétaires de notre métier ; il ne s’agit pas de refuser l’évaluation, mais d’en définir mieux les critères et le périmètre. Ne savons-nous pas mieux que quiconque ce qu’est la réalité de notre métier et ne saurions-nous pas faire entendre notre voix pour parfaire les conditions d’accomplissement de nos missions, comme semble pourtant en douter le président de la République dans son discours, moins offensif qu’offensant, du 22 janvier ? Contrairement aux préjugés, l’université n’est pas mal disposée au changement. Reste seulement à définir ensemble son orientation. Or, toutes ces réformes, imposées avec un rythme insoutenable et même adoptées, quant aux premières, durant les vacances universitaires, excluent citoyens comme universitaires et font finalement courir à ces derniers un risque considérable, celui de ne pouvoir assumer correctement leurs missions premières et essentielles : la formation et la recherche. L’on aimerait bien que la réalité du travail universitaire corresponde à l’image peu flatteuse que certains se complaisent à véhiculer.
Mais la réalité du travail universitaire déborde très largement les 192 heures d’enseignement annuel statutaire : outre le temps consacré à la préparation et à l’actualisation des cours, le temps consacré aux examens et au contrôle continu des connaissances, l’universitaire croule sous diverses tâches administratives, les responsabilités d’encadrement, de direction, de gestion des dossiers… sans compter le temps - justement incalculable - qu’il doit consacrer à la recherche, à l’écriture d’articles, d’ouvrages, à l’encadrement des travaux de recherche, l’organisation de colloques, etc. Aujourd’hui, l’universitaire français devrait encore porter tout un fardeau de tâches qui ne sont pas directement liées à ses activités d’enseignants-chercheurs : veiller à la bonne orientation des lycéens (réforme dite de l’orientation active), veiller à leur insertion professionnelle, démarcher les entreprises pour collecter des fonds privés, assurer la formation des maîtres des écoles, renseigner toute une liste d’indicateurs divers et variés, consacrer aux évaluations un temps au moins égal à celui qui est nécessaire pour fabriquer l’objet qui doit être évalué. L’université se voit ainsi déléguer de nouvelles missions qui incombent pour partie aux lycées, pour partie à l’ANPE, pour partie au secteur privé. Trop, c’est trop.
Critiquer aussi l’université au motif qu’elle n’aurait su s’adapter à la modernité, c’est également trop. A moyens constants (voire en baisse), l’université, parent pauvre de l’enseignement supérieur français, assume aujourd’hui ces nouvelles missions, tout comme elle a su s’adapter à la massification de l’enseignement supérieur. Si ces nouvelles compétences accablent les enseignants-chercheurs, elles accablent aussi, en effet et en premier lieu, l’institution universitaire, qui ne reçoit en contrepartie aucune compensation, aucun moyen supplémentaire pour les assumer. Avec les universités, l’Etat rejoue le bon vieux coup de la décentralisation, grâce auquel il put se défaire sur d’autres collectivités de compétences et de charges, sans transfert de moyens suffisants pour qu’elles les assument pleinement, sans se soucier des inégalités créées ou aggravées entre collectivités.
Dernier exemple en date : la question du traitement des salaires des personnels universitaires, jusqu’à présent assumé par l’Etat et devant être assumé aujourd’hui par chaque établissement universitaire, mais sans qu’aucun support de fonctionnaire ne leur soit transféré. Pis encore, au cours des deux prochaines années, 900 postes sont ou seront supprimés dans 55 universités ! Alors, de grâce, arrêtons d’infantiliser la communauté universitaire, de la brocarder ou simplement de l’ignorer, comme furent mises sous le boisseau les propositions des Etats généraux de la recherche tenus en 2004.
Il n’était en tout cas nullement nécessaire de dévaloriser à ce point la recherche française (au sujet de laquelle le chef de l’Etat évoque des « résultats médiocres ») et de stigmatiser les enseignants-chercheurs (jugés en partie comme archaïques, idéologues, partisans, conservateurs, travaillant dans des structures obsolètes et rigides… autant de préjugés démentis par les classements internationaux sur lesquels s’appuie encore le chef de l’Etat le 5 février) pour faire triompher l’idée selon laquelle « l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation sont notre priorité absolue ».
Sachons néanmoins gré au président de la République de vouloir poursuivre un tel objectif et aidons-le donc dans sa tâche, en lui faisant connaître le cœur battant de la société que nous sommes et ce que nous accomplissons, en lui faisant percevoir le sens de l’intérêt général dont toute véritable réforme doit être porteuse.