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Réforme de l’Université : autonomie ou autocratie ?

par Marc Baratin, Olivier Beaud, Michel Fichant, André Guyaux, Pierre Jourde, Pierre Schapira, Paolo Tortonese

vendredi 25 janvier 2008, par Laurence

Le Mensuel de l’Université de décembre 2007 a publié la tribune d’un groupe de professeurs qui analysent la prétendue "autonomie" donnée par la réforme aux universités.

[|Réforme de l’Université : autonomie ou autocratie ?|]

Marc Baratin, Olivier Beaud, Michel Fichant, André Guyaux, Pierre Jourde, Pierre Schapira, Paolo Tortonese

La mobilisation des étudiants contre la loi Pécresse n’a eu ni la longévité ni l’efficacité des manifestations de l’an dernier contre le CPE. Elle s’est heurtée à l’accord tactique entre le ministère et l’UNEF. Elle a illustré pourtant, une fois de plus, le profond malaise de l’université, que les lois successives contournent ou traversent en l’ignorant.
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Depuis un quart de siècle, le fossé ne cesse de se creuser, en effet, entre l’Université et le monde des « décideurs ». C’est un lieu commun de rappeler que les élites administratives et politiques françaises ne comprennent pas l’Université, qui ne les a pas formées. Et l’on voit bien que les concepteurs de la réforme n’ont pas su se départir du préjugé anti-universitaire qui affecte le microcosme politique d’une manière quasi atavique. Mais faut-il réformer l’Université quand on cultive pour elle une telle antipathie ?

Ceux qui vivent dans l’Université, en revanche, qui y enseignent, y travaillent ou qui y font leurs études, ne se reconnaissent pas dans ce que les pouvoirs politiques, de droite comme de gauche, voudraient qu’ils soient. La loi votée en août, à cet égard comme à d’autres, n’est pas différente de celles qui l’ont précédée. Elle prétend à une rupture. Elle est au contraire dans la continuité des lois antérieures, dites « de structure », qui n’améliorent rien et bouleversent tout. Comme celles qui l’ont précédée depuis vingt ans, elle installe toujours plus d’autorité là où il faudrait plus de liberté.

L’autonomie, que la réforme est censée accorder aux universités, est le prête-nom d’une forme de présidentialisme. Redistribuant les pouvoirs à l’intérieur des établissements au bénéfice des présidents d’université et de leurs conseils d’administration, la loi condamne tout le reste de la vie universitaire à un rôle subalterne. Elle programme la régression sensible du principe d’existence de l’Université : la collégialité. Il est significatif que le conseil scientifique, dont le rôle est si important, se voie réduit à la portion congrue. Quant aux recrutements, que la loi veut accélérer, le malentendu est complet. On ne recrute pas un maître de conférences ou un professeur d’université comme on appelle un taxi sur le bord de la route. S’il se présente une urgence, toute possibilité de recruter un vacataire existe déjà. Mais l’intérêt fondamental de l’Université n’est pas de recruter vite, il est de recruter bien, et cela doit prendre le temps nécessaire à une juste évaluation des compétences. Dans les universités britanniques, scandinaves, suisses, américaines, cela prend plus de temps qu’en France, sans que ces universités s’en portent plus mal.

Sous couvert d’efficacité, les présidents d’université, dotés de prérogatives exorbitantes, sont institués en suzerains. Ils auront leurs vassaux, à qui ils accorderont des primes au gré de leurs pouvoirs discrétionnaires. Ils auront leurs féaux, asservis à la politique qu’ils auront décidée sans nécessité de concertation. Ils auront leurs courtisans. Le localisme et le clientélisme, dont un projet de loi un tant soit peu responsable aurait dû s’employer à limiter le développement endémique, feront leurs choux gras de ces nouvelles dispositions. Aucun contre-pouvoir n’est envisagé : belle conception de la démocratie ! On devine que, pour mieux obtenir le soutien des présidents d’université, les promoteurs de la loi leur ont accordé un supplément d’autorité. Cette fuite en avant présidentialiste, calquée sur un modèle politique, est la négation du monde de liberté et de diversité que doit être l’Université. La loi Pécresse a un but : reconstruire l’Université sur un modèle dirigiste, présenté dans un trompe-l’œil libéral. Elle a un moyen : détruire les fonctionnements collégiaux qui constituent le principe fondateur de l’idée d’université - son universalisme - et qui équilibrent en elle la double mission d’enseignement et de recherche. Si elle reste en l’état, elle aura un effet : la régression accélérée de l’enseignement et de la recherche universitaires en France.

On connaît pourtant bien les déficiences, fréquemment diagnostiquées, de l’Université française : la concurrence des classes préparatoires, qui les privent des meilleurs étudiants ; l’interdiction de répondre à cette concurrence par la sélection à l’entrée, dans un système où les prépas, IUT, BTS et autres grandes écoles sélectionnent sans que personne ne s’en scandalise, même pas l’UNEF ; l’échec de masse qui en procède dans les premiers cycles d’études ; la dévalorisation des diplômes ; mais aussi les mauvaises conditions de travail ; le nombre et le montant très réduit des bourses ; l’inefficacité d’aides uniformisées au logement, dont le seul effet est de faire grimper les loyers ; la grande misère des bibliothèques ; l’insuffisance, dramatique à Paris, des bâtiments ; la fuite des meilleurs chercheurs vers des horizons académiques plus favorables ; le clientélisme et son alibi localiste.

Où se trouvent, dans la loi Pécresse et dans les projets qui semblent se dessiner, les dispositions remédiant à ces faiblesses ? Quels résultats ont donnés, d’une loi à l’autre, depuis deux décennies, les pouvoirs sans cesse accrus des présidents d’université ? Les établissements universitaires français en sont-ils devenus plus performants, mieux classés dans les barèmes internationaux ?

La loi Pécresse ignore les forces vives du monde universitaire. Elle a été conçue par des cabinets où l’on ne comprend pas que pour aider l’Université, il ne faut pas l’affaiblir mais la renforcer.

Marc Baratin, professeur à l’Université Charles-De-Gaulle (Lille III) ; Olivier Beaud, professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) ; Michel Fichant, professeur à l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV) ; André Guyaux, professeur à l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV) ; Pierre Jourde, professeur à l’Université Stendhal (Grenoble III) ; Pierre Schapira, professeur à l’Université Pierre-et-Marie-Curie (Paris VI) ; Paolo Tortonese, professeur à l’Université de la Sorbonne Nouvelle (Paris III)