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Note et communiqué sur le décret statutaire par le collectif Défense de l’université (5 avril 2009)

dimanche 5 avril 2009, par Laurence

« Réécriture » du projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs ? Notre relecture !

- Note du Bureau du Collectif pour la Défense de l’Université [1] - 5 avril 2009

Voir aussi le communiqué du Collectif, sous cette note, et en document joint, qui résume la position du collectif.

Alors que beaucoup d’observateurs et de nombreux collègues semblent partager l’opinion
selon laquelle le ministère de l’enseignement supérieur aurait fait des concessions substantielles,
voire reculé, sur les réformes contestées, certains se demanderont peut-être pourquoi le Collectif
pour la Défense de l’Université continue de se mobiliser et d’appeler à maintenir la contestation. La
raison en est toute simple : le ministère n’a pas cédé sur l’essentiel, contrairement aux affirmations
relatives à un prétendu recul.

La même illusion d’optique est à l’œuvre dans la rédaction du projet de décret sur les
enseignants-chercheurs et dans la réforme du recrutement et de la formation des enseignants.
L’annonce d’un report de cette dernière réforme constitue un faux recul dès lors qu’il s’accompagne
d’une entrée en vigueur de la mastérisation dès l’année prochaine : le projet de mastérisation est
donc maintenu dans son principe, malgré les inquiétudes qu’il suscite sur le contenu des masters,
aux objectifs difficilement conciliables (préparation aux concours, enseignements disciplinaires,
réalisation d’un mémoire de recherche, stages, etc.), et sur la formation professionnelle des futurs
enseignants, en l’absence d’une année de stage rémunérée.

En ce qui concerne le projet de décret sur le statut des universitaires, les modifications
apportées à l’issue de la réunion du Comité technique paritaire universitaire (CTPU) du mardi 24
mars ne sont nullement décisives. Certes, le ministère a fait droit à certaines revendications (par
exemple, sur la question des promotions, désormais réparties à égalité entre l’échelon national et
l’échelon local). Mais d’une façon générale, ce qui faisait la marque du projet initial du décret, à
savoir l’attaque frontale contre le cœur du métier d’universitaire, son indépendance et sa liberté,
demeure inchangé. En effet, le texte continue à promouvoir une conception dénaturée du métier
d’universitaire, pris entre l’étau d’un accroissement de ses tâches d’enseignement aux dépens de la recherche et d’une expansion démesurée de ses tâches administratives aux dépens de tout le reste…
En outre, le projet est rédigé de telle manière que le spectre d’un localisme mal contrôlé plane
encore sur les universités : en particulier, la notion d’évaluation apparaît comme la caution
scientifique apparente d’un système principalement commandé par des exigences économiques et
bureaucratiques. En somme, ce qui est présenté comme la deuxième « réécriture » du projet de
décret sur les enseignants-chercheurs conduit à une lecture qui laisse à bien des égards une
singulière impression de déjà-vu.

I. LE NOUVEAU MÉTIER D’ENSEIGNANT-CHERCHEUR : PLUS DE COURS, PLUS DE CHARGES
ADMINISTRATIVES, À RÉMUNÉRATION CONSTANTE

Ce qui, depuis le début de ce conflit, choque la communauté universitaire, c’est non
seulement l’idée de faire de l’enseignement une variable d’ajustement budgétaire, mais aussi la
perspective d’une augmentation du service d’enseignement à une époque où la multiplication des
tâches parasitaires empêche de plus en plus souvent les universitaires de mener parallèlement ce qui
constitue le cœur de leur mission – la double fonction d’enseignement et de recherche.

A. La modulation à la hausse : l’enseignement aux dépens de la recherche

Point névralgique du conflit, la modulation de service est sans cesse présentée par la
ministre et par la Conférence des présidents d’Université, comme une facilité offerte aux
universitaires. Elle leur donnerait une certaine souplesse dans leurs activités. Elle leur permettrait de
continuer à faire de la recherche en leur donnant la faculté de dispenser moins d’heures
d’enseignement (moins de préparation de cours, moins d’examens à organiser). Une telle
interprétation de la modulation correspond à l’une des revendications exprimées lors des états
généraux de la recherche en 2004. C’est principalement [2] l’hypothèse de la modulation à la baisse
qui était visée. Pour satisfaire cette revendication et permettre aux universitaires de dégager plus de
temps pour leurs recherches, il aurait suffi d’étendre le système de décharge de service existant.

Mais en substituant à la notion de décharge celle de modulation, le ministère a détourné
cette idée de son sens. Par le biais d’une modulation de service qui peut se faire aussi bien à la
baisse qu’à la hausse, il a accordé aux universités la faculté d’augmenter les heures d’enseignement des universitaires à rémunération constante. Dès lors que le ministère ne renonce pas à cette idée
(v. infra), la définition du service statutaire des universitaires devient cruciale [3] .

En maintenant la modulation, le ministère contraint les universitaires à discuter pied à pied
le paiement des heures complémentaires. On a pu croire qu’à l’issue de la dernière réunion du
CTPU, le ministère avait concédé le paiement des heures complémentaires dans l’hypothèse d’un
service « modulé à la hausse ». C’est ce que laisserait penser, à première vue, une lecture rapide de
l’article 7 – I – 2° ainsi rédigé : « Lorsqu’ils accomplissent des enseignements complémentaires au
delà de 128 heures de cours ou de 192 heures de travaux dirigés ou pratiques ou toute combinaison
équivalente, les enseignants-chercheurs perçoivent une rémunération complémentaire dans les
conditions prévues par le décret 83-1175 du 23 décembre 1983
 ». Examiné superficiellement, le
texte donne à penser que toute heure complémentaire serait rémunérée au-delà du service de
128 heures CM ou 192 heures TD. Ainsi, selon cette interprétation optimiste, cette disposition
poserait un cadre intouchable, celui d’un service de référence de 128 heures CM ou 192 heures TD,
avec paiement des heures complémentaires à partir de la 129ème heure : la partie de l’article 7 – I
relative au régime des heures complémentaires (rémunérées au-delà de 128 heures) s’appliquerait à
l’article 7 – III, c’est-à-dire à l’hypothèse du service modulé (si le service est modulé à 150 heures
CM, 22 heures complémentaires seraient rémunérées à ce titre). Dans une telle perspective, la
répétition de l’adjectif « complémentaire » dans l’article 7 – I – 2° serait juste une lourdeur de style,
une simple maladresse de rédaction.

Toutefois, plusieurs arguments viennent contredire cette lecture.

1- D’abord, si le paiement des heures complémentaires est évoqué dans l’ultime version du
projet de décret, cette hypothèse est inscrite dans le seul paragraphe 7 – I, relatif au régime général.
Or, il faut rappeler que, depuis le projet initial de novembre 2008, cet article 7 repose sur la subtile
distinction faite entre un statut national fixé au paragraphe I de l’article et la faculté de dérogation
accordée aux universités (instances locales) par le paragraphe sur la modulation (§II devenu depuis
le passage au CTPU le §III). Il en résulte que la disposition relative à la modulation (art. 7 – III)
doit être interprétée comme une dérogation à ce régime général. Si l’on interprète l’article 7 – I
comme posant un régime commun auquel le III (la modulation) est dérogatoire, alors la règle de
rémunération des heures complémentaires au-delà de 128 heures n’est pas destinée à s’appliquer à
l’hypothèse d’un service modulé. Dès lors, on retombe sur la configuration initiale, constamment
critiquée, d’un « sur-service non rémunéré ».

2- Ensuite, le ministère s’est gardé, avec une constance admirable, de lever l’ambiguïté du
texte, alors que de multiples occasions lui ont été données de le faire. Ainsi, lors des questions qui
lui ont été posées à l’Assemblée nationale le mercredi 25 mars, au lendemain de la réunion du
CTPU, la ministre a seulement déclaré que seraient rémunérées les heures complémentaires à «  un
service de référence
 », sans jamais chiffrer ce service, malgré les questions précises d’un député. De
même, le communiqué ministériel qui a précédé la publication du nouveau projet de décret se
contente d’employer cette même expression ambiguë de « service de référence ». Par ailleurs, dans
un débat récent (organisé le 31 mars par le journal Libération, entre la ministre et le secrétaire
général du SNESUP, donc après la réunion du CTPU), la ministre a encore utilisé l’expression
« service de référence » pour indiquer le seuil au-delà duquel les heures complémentaires seraient
payées. Toute la question devient ainsi celle de savoir ce que l’on entend par « service de
référence
 ». Si l’expression désignait le service statutaire actuel – 128 heures CM ou 192 heures
TD – il n’y aurait pas lieu d’être inquiet. Mais ce volume de 128 heures n’est désigné dans le texte
que comme un «  temps de référence » et non comme «  le service de référence ».

L’actuel projet de décret laisse donc apparaître, comme dans la version précédente, d’un
côté, le service national, « normal », de référence, et, de l’autre, un service modulé dérogatoire à ce
service national, décidé par les instances locales et pouvant aboutir à un nombre d’heures
d’enseignement inférieur ou supérieur au temps de référence. Le « service de référence » dont ne
cesse de parler le ministère peut donc être interprété comme étant le service modulé décidé par
l’université, et accepté par l’intéressé.

3- La répétition de l’adjectif « complémentaires » dans le texte vient corroborer cette
lecture : elle n’est plus, alors, une lourdeur stylistique mais une précision sémantique nécessaire.
Elle signifie que la règle du paiement des heures au-delà de 128 heures s’applique seulement lorsque
le service est non modulé, c’est-à-dire lorsqu’il s’aligne sur le temps réglementaire défini au I 1° (le
« temps de travail de référence »). De fait, on peut s’étonner que le ministère, devant l’insistance
des revendications qui lui ont été adressées sur ce point, n’ait pas inséré au sein même du
paragraphe consacré à la modulation (§ III), une disposition précisant que le paiement des heures
au-delà de 128 heures CM ou 192 heures TD serait systématique. Une telle précision aurait en effet
été de nature à lever tous les doutes. Par contraste, on observera avec intérêt que la décharge de
services offerte aux universitaires exerçant des lourdes tâches de direction administrative (président,
directeurs d’UFR) interdit le paiement des heures complémentaires (art. 7 – IV) [4].

Il découle de cette série d’arguments que tout, dans le dernier état du texte, conduit à penser
que le paiement des heures complémentaires, en cas de modulation à la hausse, ne sera pas assuré.

Dans ces conditions, le texte actuel recèle une contradiction flagrante sur laquelle il convient
d’attirer l’attention. Comment peut-on envisager qu’un universitaire puisse accepter une modulation
à la hausse de son service d’enseignement en sachant que les heures complémentaires dispensées ne
seront pas rémunérées ? Qui voudrait travailler plus pour… ne pas gagner plus ? Voire pour…
gagner moins, en perdant le bénéfice des heures complémentaires rémunérées, qui dorénavant
s’intégreront dans le service modulé ? Si cette contradiction existe, c’est parce que le ministère est
resté fidèle à son aspiration d’origine : imposer un accroissement des heures d’enseignement. Face
au mouvement considérable de protestation, il a fait une concession en subordonnant cette
modulation à « l’accord » de l’intéressé, mais comme on le sait, cet « accord de l’intéressé » – fût-il
désormais « écrit » – n’apporte aucune garantie réelle dans un contexte global de raréfaction des
moyens budgétaires et de suppression de postes.

La procédure prévue pour contester le mécanisme de modulation prouve que le ministère ne
conçoit guère de véritable consentement et entend accorder aux universités le droit d’imposer « un
sur-service
 » non rémunéré. En effet, les possibilités de recours sont confiées à une instance locale
désignée par l’administration (CEVU et CS) et ne peuvent porter que sur les refus opposés par
l’administration aux demandes de modulation : en cas de modulation faite à la demande de
l’administration et consentie par l’intéressé – imposée de facto selon notre analyse –, l’instance de
réexamen ne pourra donc être saisie. Il est des silences qui en disent plus long que bien des
discours… À ces différents arguments relatifs à la lettre du texte, s’ajoute un argument central
concernant l’esprit de cette réforme.

Depuis le début, la réforme est profondément animée par une logique budgétaire.
L’augmentation des charges d’enseignement dans le cadre d’une modulation dite « à la hausse »
permet en effet à l’université d’économiser le paiement des heures complémentaires
d’enseignement. Dans la mesure où la modulation ne peut «  compromettre la réalisation des
engagements de formation prévus dans le cadre du contrat pluriannuel entre l’établissement et
l’État
 » (art .7 – III – 9°), toute modulation à la baisse pour les uns sera forcément compensée par
une modulation à la hausse pour les autres. Le dispositif reste donc essentiellement conçu comme
une variable d’ajustement budgétaire. Dans le nouveau contexte créé par la loi LRU, les universités
devenues « pleinement autonomes » découvrent chaque jour ce que signifie un transfert de
compétences « nouvelles » sans garanties suffisantes sur les moyens financiers. Elles vont devoir
s’organiser avec leur dotation financière et surtout avec la masse salariale qui leur aura été
transférée ; elles devront, en particulier, gérer la question du paiement des heures complémentaires
avec un budget probablement resserré. Par conséquent, alors que le statut des universitaires devrait
être indemne de considérations budgétaires, on s’aperçoit que ce sont ces considérations qui le
surplombent et « plombent » certaines de ses dispositions [5].

L’autre raison qui explique l’introduction de la modulation à la hausse est d’ordre
disciplinaire. Le ministère entend sanctionner par un surcroît d’enseignement les universitaires qui,
selon lui, ne font plus de recherche. C’est la fameuse évaluation-sanction. Ce motif disciplinaire,
qui n’est pas apparu expressément dans le projet initial de novembre 2008, mais qui en était l’un
des ressorts les plus profonds, est apparu plus nettement dans le projet du mois de janvier, envoyé
une première fois au Conseil d’État, dans lequel figurait implicitement l’idée selon laquelle les
universitaires mal évalués par le CNU pourraient se voir imposer une modulation des services
(nécessairement à la hausse). Certes, il ne reste apparemment rien de ce motif disciplinaire dans le
projet de décret, mais l’accent mis sur l’évaluation (art. 7 – I) par le ministère ne doit pas faire
illusion. On a du mal à imaginer qu’une opération aussi complexe et coûteuse ait été envisagée sans
qu’elle puisse avoir, un jour, quelque effet sur la situation des intéressés…

Querelle de boutiquiers, objecteront les uns ? Arguments pointilleux de procédure,
avanceront les autres ? Projection de « fantasmes » sur le pouvoir des présidents d’universités, dira-
t-on encore ? Malheureusement il n’en est rien. Cette question de la modulation des services est
d’une portée considérable : en accordant aux instances locales de l’université le pouvoir de
déterminer de cette façon le service des universitaires, on risque de créer des conflits incessants
entre les universitaires dans la mesure où certains d’entre eux, probablement minoritaires,
bénéficieront du privilège d’une modulation à la baisse, tandis que les autres, probablement
majoritaires, auront des charges supplémentaires. Mais ce n’est pas seulement l’atmosphère de
travail qui risquerait de devenir délétère, avec le danger réel de courtisanerie qu’implique ce
pouvoir conféré à l’administration universitaire [6] . L’enjeu est aussi et surtout celui des menaces
graves qui pèseront à terme sur certaines formations. Dans un contexte de pénurie budgétaire, les
responsables universitaires qui voudront empêcher la modulation à la hausse ne pourront le faire
qu’en procédant à une réévaluation de l’offre d’enseignement dans les universités. Dans ce cas, la
menace d’une disparition de certaines disciplines et de certains diplômes est probable, et le
problème risque de raviver la rivalité disciplinaire. Décidément, le «  struggle for life » est le destin
que l’on propose aux universitaires de ce pays.

B. Les incertitudes relatives aux tâches d’administration : l’administration aux dépens de
tout le reste…

Non content d’alourdir le temps d’enseignement, le décret laisse planer les plus grands
doutes sur les tâches administratives dans l’activité de l’universitaire. À ce propos, le décret pose,
de manière floue, le principe d’un cadre national, fixant des équivalences horaires pour l’ensemble
des fonctions exercées par les enseignants-chercheurs, notamment pour les tâches d’intérêt général.

Outre que ce cadre est remis à un arrêté ultérieur, le décret précise que la décision de recourir à cette
liste d’équivalences sera prise localement. L’application du tableau d’équivalences restera donc à la
discrétion des Présidents, ce qui risque d’accroître l’inégalité entre fonctionnaires d’un même corps.

Soulignons la redoutable alternative dans laquelle nous enferme le traitement de la question
des tâches administratives lato sensu (dites « tâches d’intérêt général », expression évasive qui
recèle bien des non-dits). En effet, soit ces tâches ne seront pas comprises dans le service (ce qui
correspond à la situation actuelle), soit ces tâches seront comprises dans le service et pourront être
incluses dans la modulation, à la baisse comme à la hausse (l’article 7 – III précise en effet que «  la
modulation peut s’inscrire dans le cadre d’un projet individuel ou collectif, scientifique,
pédagogique ou lié à des tâches d’intérêt général
 »). Qu’elles soient prises en compte dans le cadre
de la modulation ou dans le cadre d’un sur-service classique, ces tâches administratives ne pourront
de toute façon pas être rémunérées, dans la mesure où le texte précise que seuls les enseignements
complémentaires peuvent faire l’objet d’un paiement en heures complémentaires (art. 7 – I – 2°). Ce
point semble avoir été confirmé par une réponse de la ministre, lors de la réunion du CTPU, à une
question posée par un représentant syndical qui envisageait l’hypothèse selon laquelle une UFR
demanderait à un collègue d’organiser la collecte de la taxe d’apprentissage.

La réponse ne surprend
pas : toutes les charges administratives qui se superposent depuis des années au travail classique
d’un universitaire ne sont presque jamais rémunérées, sauf si l’on devient une sorte
d’administrateur à mi-temps ou temps plein en étant président d’Université ou directeur d’UFR.

Cela constitue une nouvelle atteinte à la liberté de l’enseignant-chercheur : le texte consacre
une sorte de bénévolat administratif, au moment même où se multiplient les tâches administratives
lato sensu. Pour ne prendre qu’un exemple, le « plan licence », imposé aux universités par le
ministère en raison du traditionnel chantage financier qui caractérise la relation entre l’État et les
universités [7], risque de conduire à une augmentation considérable des charges imposées aux
universitaires.

On ajoutera que le fond du problème est loin d’être exclusivement financier. Le propos n’est
pas pour les universitaires de réclamer le paiement systématique de ces charges administratives. Il
est de préserver les universitaires de cette fameuse « troisième composante » de leur métier que
serait la fonction administrative. L’universitaire français dépense aujourd’hui un temps précieux
dans une multitude d’activités administratives chronophages. Il le fait, de surcroît, bénévolement,
avec un dévouement qui confine parfois à l’auto-exploitation. Si l’on voulait que les universitaires
accomplissent pleinement leur mission, dans un souci d’excellence – mot qu’affectionne tant le
ministère –, les universitaires devraient être aidés par un personnel qui les assisterait dans
l’accomplissement de ces tâches administratives et de leurs activités de recherche, comme c’est le
cas dans d’autres pays. On n’attendait pas de ce projet de décret qu’il vienne répondre à cette
doléance ancienne. Mais qu’il vienne consacrer et officialiser les dérives inhérentes à une
conception administrative de la fonction d’universitaire, on n’en demandait certainement pas tant.

Qu’on ne s’étonne pas, dès lors, si les enseignants-chercheurs manifestent chaque semaine depuis
plus de deux mois.

Ainsi, l’actuel décret donne une assise textuelle à la dénaturation bureaucratique dont
souffre aujourd’hui le métier d’enseignant-chercheur. Il le laisse en outre à la merci des instances
locales, présidentielles notamment, selon la manière dont elles feront usage de la modulation et des
tableaux d’équivalence. À ce constat, il faut en ajouter un autre : l’attraction du localisme, si elle a
été pour partie écartée en matière de promotions, demeure réelle dans d’autres dispositions
concrètes du décret.

II. UN DÉROULEMENT DE CARRIÈRE MENACÉ PAR LE SPECTRE D’UN LOCALISME NON
CONTRÔLÉ

Alors que le dispositif de modulation porte atteinte à ce qui fait le cœur du métier de
l’universitaire, celui-ci voit son déroulement soumis, à chaque étape, à un système d’évaluation dont
le caractère scientifique est largement illusoire. En la matière, si le ministère est revenu sur les
dispositions les plus choquantes du projet initial, le risque de dérive vers une gestion locale des
carrières est loin d’être écarté.

A. La confusion des pouvoirs administratif et scientifique

Le projet initial accordait un pouvoir déterminant au Conseil d’administration de chaque
université, prolongeant certaines réformes opérées par la loi LRU (sur les primes, le droit de veto accordé au président sur les recrutements, etc.) et transformant les universitaires en « ressources
humaines
 » que l’université pourrait gérer librement. Plus précisément, l’organe titulaire du pouvoir
de gestion de l’établissement, le Conseil d’administration, devait disposer également du pouvoir
scientifique, dirigeant les carrières des universitaires selon ses propres évaluations, au mépris de
leur recrutement national et de leur statut national. Outre la prérogative de fixer les services des
universitaires, le Conseil d’administration devait disposer du monopole des promotions et de
l’attribution des congés pour recherches ou conversions thématiques. Si le nouveau projet de décret
est en partie revenu sur ces dispositions, il est loin d’être exempt de tout vice.

Certes, après bien des péripéties, les syndicats ont obtenu satisfaction, lors de la réunion du
CTPU, sur une revendication essentielle, à savoir le principe d’une répartition égale entre les
avancements décidés au niveau local et ceux décidés au niveau national, concernant la promotion
des maîtres de conférences à la hors-classe et des professeurs à la 1ère classe et à la classe
exceptionnelle.

De même, un apport de la réunion du CTPU a été de réintroduire le rôle du Conseil National
des Universités (CNU) dans l’attribution des congés pour recherches ou conversions thématiques
(CRCT), compétence qui avait disparu au profit des seules universités dans le projet de décret
initial. L’introduction d’un équilibre entre gestion nationale et locale est une garantie indispensable
au maintien de la liberté et de l’indépendance des universitaires. En ce sens, la réunion du CTPU a
permis d’éliminer, pour partie, les craintes que pourrait susciter une gestion locale des carrières,
trop souvent marquée par le clientélisme.

Toutefois, dans sa version ultime, le texte prévoit que le contingent de CRCT accordé par le
CNU représente 40 % du nombre de congés « accordés par les établissements l’année précédente »
et non « du nombre de congés accordés au total chaque année ». Ainsi, dès lors que la proportion de
congés attribués par le CNU dépend du contingent de congés attribués l’année précédente par
l’établissement, la règle des 40 % aboutit à un pourcentage qui décroît au fil des ans, de sorte que,
après quelques années, le CNU n’accordera plus que 28 % des congés. Si, par conséquent, la
réunion du CTPU a pu réduire l’emprise locale, il reste que le nouveau projet confère un pouvoir
supplémentaire en matière « scientifique » aux «  administrateurs ». Qu’il s’agisse d’une erreur de
plume ou non, il importe que la rédaction du texte soit corrigée sur ce point.

En outre, le localisme imposé par le projet de décret est purement et simplement maintenu
pour le recrutement des universitaires travaillant à l’étranger
. Deux dispositions permettent aux
enseignants-chercheurs exerçant dans une université, non seulement d’un État membre de la
Communauté européenne ou d’un autre État partie à l’accord sur l’espace économique européen
autre que la France, mais aussi d’un « État tiers », «  d’être recrutés directement par les universités » soit comme maîtres de conférences (art. 22 du projet de décret) soit comme professeurs (art. 43). À
l’heure où l’on prétend renforcer l’évaluation, la possibilité est ainsi offerte aux conseils
scientifiques de chaque université, au vu de deux rapports dont un seul établi par un rapporteur
extérieur à l’établissement, de nommer directement des personnes non inscrites sur les listes de
qualification nationale établies par le CNU. La formule précisée dans le décret, selon laquelle cette
procédure doit s’accomplir « sur la base de la grille d’équivalence établie par le ministre chargé de
l’enseignement supérieur
 », n’offre pas de garantie suffisante. S’il s’agit simplement d’adapter le
recrutement d’enseignants-chercheurs exerçant déjà leurs fonctions dans des établissements
étrangers, on ne comprend pas pourquoi le CNU ne pourrait pas statuer sur ces équivalences.

Souplesse et concurrence internationale exigent cette voie accélérée et dérogatoire,
répondront le ministère et les présidents d’université. Mais il n’est pas déraisonnable de craindre
l’incompétence ou l’arbitraire et de dénoncer l’inégalité choquante introduite entre les candidats qui
sont en poste en France et ceux qui le sont à l’étranger. Si l’on songe que certains abus dans le
recrutement de professeurs ou de maîtres de conférences « associés » viennent d’être condamnés
par le Conseil d’État, on a quelque raison de vouloir éviter les mêmes dérives pour le recrutement
des universitaires en poste à l’étranger.

B. Une caution scientifique illusoire : le nouveau dispositif d’évaluation individuelle

Plus généralement, le texte prétend apporter une caution scientifique à tout l’édifice, celle de
l’évaluation, qui masque mal une tout autre réalité, celle d’une bureaucratisation accentuée. En
effet, à supposer qu’il ait une quelconque vertu, le principe de l’évaluation n’apporte pas
suffisamment de garantie face au pouvoir des instances locales et sa mise en œuvre semble
impraticable.

Le nouveau projet de décret maintient le principe d’une évaluation de l’ensemble des
enseignants-chercheurs, en la confiant aux membres du CNU. Les paragraphes 1° et 2° de l’article
7 – I, qui définissent le temps de travail de référence et le répartissent pour moitié entre
enseignement et recherche, rappellent par deux fois l’exigence d’une évaluation des services
d’enseignement et de l’activité de recherche. Les membres du CNU se voient donc attribuer des
fonctions tout à fait nouvelles : dans chaque section disciplinaire, ils évalueront tous les quatre ans
l’ensemble des enseignants-chercheurs, au vu des rapports de chaque enseignant-chercheur et des
avis du conseil d’administration de son université.

Certes, les attributions confiées au CNU marquent une avancée. Certes, l’exigence faite à
tous ses membres, élus et nommés, de publier une notice et leur C.V. accroît la garantie de
compétence scientifique qu’on est en droit d’attendre d’eux. Certes, l’introduction d’un suppléant
pour chaque membre permettra d’alléger la charge de travail pour les membres titulaires. Toutefois,
un certain nombre de points demeurent contestables [8] . Le premier tient à ce que le ministère a tenu à
conserver le scrutin de liste sans panachage, qui accorde aux syndicats une sorte de monopole de la
représentation alors que la compétence scientifique, reconnue par les pairs, devrait être le critère
d’appartenance au CNU.

Par ailleurs, le dispositif retenu, s’il prévoit la possibilité de faire appel à des rapporteurs
extérieurs, n’apporte pas sur ce point de garanties suffisantes. En effet, les incompatibilités pour
participer aux délibérations ou rédiger un rapport, qui figurent à l’article 5 du projet de décret,
concernent seulement les membres du CNU. Tel qu’il est rédigé, le projet de décret permet ainsi
qu’un rapport soit établi par une personne extérieure au CNU mais exerçant des fonctions dans le
même établissement que l’enseignant-chercheur dont le dossier est évalué, ce qui est discutable. Si
les nouvelles règles en matière d’incompatibilité marquent un certain progrès, elles mériteraient
d’être étendues.

Enfin et surtout, on peut regretter que le rôle dévolu au CNU en matière d’évaluation
individuelle ne s’accompagne pas de l’attribution des moyens matériels correspondants. Afin que les
membres du CNU puissent exercer ces fonctions dans de bonnes conditions tout en poursuivant les
projets pédagogiques ou de recherche dans lesquels ils sont investis, une décharge de service devrait
être clairement prévue au niveau national. Or, la dernière version des textes se contente de
mentionner une indemnisation à fixer « dans un autre décret », qui peut être convertie en décharge
de service d’enseignement «  selon des modalités déterminées par décret ». Pourquoi renvoyer des
points importants à de futurs décrets dont on ignore le contenu ? Quel montant de l’indemnité sera
retenu ? Ces conditions constituent la garantie du sérieux minimum de l’évaluation par le CNU et
auraient dû à ce titre être envisagées dès maintenant, conjointement au décret statutaire et au décret
CNU.

Faute des moyens nécessaires à sa réalisation, il est à craindre que le rapport d’évaluation se
transforme en un énième rapport d’activité à visée purement bureaucratique, sur lequel
l’administration pourra pourtant s’appuyer pour décider de sa politique de primes et de promotions,
et sans doute aussi en matière de modulation, quoique cette possibilité ne figure pas explicitement
dans le projet de décret. Véritable usine à gaz qui entend évaluer l’ensemble des activités de tous les
enseignants-chercheurs tous les quatre ans, le dispositif laisse peu de place à un examen fondé sur la qualité des dossiers, et non sur de seuls critères quantitatifs. Tout comme la mauvaise monnaie
chasse la bonne, ces critères quantitatifs ne manqueront pas de se présenter ultérieurement comme
un label censé mesurer une qualité.

En outre, on ne peut manquer d’être étonné par la faiblesse des précisions apportées sur les
modalités de l’évaluation. Si celle-ci semble désormais devoir être mise en œuvre par le CNU et non
par les seuls Conseils d’administration, il faut mentionner que le dossier envoyé par chaque
universitaire doit être accompagné d’une « pré-évaluation » par le Conseil d’administration de son
université. Comment s’articulent le champ et l’autorité de ces évaluations ? Rien dans le projet ne le
laisse deviner. Où l’on voit que les instances d’administration locales acquièrent in fine dans cette
réforme un véritable « pouvoir scientifique » qu’elles n’ont pas vocation à exercer eu égard à leur
composition, à leur mode de fonctionnement et aux prérogatives dont elles disposent déjà.
On s’étonnera pour finir de la distorsion entre l’importance accordée par le ministère à
l’évaluation et l’indigence des modalités prévues pour sa mise en œuvre. Comme l’autonomie ou la
modulation, l’évaluation fait partie de ces idées détournées de leur sens par des moyens
contestables.

* * *

Après plus de deux mois de contestation, quel bilan tirer de la situation actuelle ? Le projet
initial plaçait les universitaires dans une position de soumission totale à l’égard du Conseil
d’administration de l’Université et de son Président, cumulant tous les pouvoirs, administratif et
scientifique, sans aucun contre-pouvoir ni garantie face aux risques d’incompétence, de clientélisme
et d’arbitraire du pouvoir local.

- Ce que nous avons obtenu : quelques avancées. Grâce à la mobilisation des
universitaires, le nouveau projet comporte quelques avancées, en matière de garantie de l’autonomie
scientifique des universitaires par rapport au pouvoir administratif de l’Université. Jouent en ce
sens : la liberté de choisir son centre de recherche, favorable à l’universitaire, même si elle nuira
aux universités de petite taille ; la garantie de publication du CV des évaluateurs et le régime
(incomplet) des incompatibilités de ceux-ci ; la participation du CNU au dispositif d’attribution des
congés pour recherches ou conversions thématiques, même si le pourcentage espéré ne correspond
pas à la réalité ; le fait que l’évaluation sera faite par les pairs plutôt que par des instances locales,
qui participent néanmoins à la procédure.

L’obtention de ces concessions, même perlées, acquises de haute lutte avec un ministère très
tenace, révèle que notre mobilisation n’a pas été inutile… et qu’il faut persévérer. L’heure n’est pas
venue de céder aux sirènes d’un échec prétendument annoncé de la mobilisation. Au contraire, il
convient de poursuivre la mobilisation, afin d’obtenir la garantie de pouvoir exercer le métier
d’universitaire en toute indépendance et de préserver un enseignement et une recherche de qualité.

- Ce qu’il nous reste à obtenir : l’essentiel. Le projet de décret place des pouvoirs
redoutables entre les mains des Conseils d’administration, au premier rang desquels l’évaluation des
activités administratives et pédagogiques et la modulation de service. Le texte maintient en effet le
principe d’une modulation de service à la baisse comme à la hausse, permettant ainsi une
augmentation des charges d’enseignement, au détriment des activités de recherche et de l’offre de
formation. Le texte officialise en outre les dérives d’une conception du métier d’universitaire, en
renforçant la tendance à inclure les fonctions administratives dans ses missions, sur la base d’un
véritable bénévolat. En période de pénurie budgétaire et de suppression des postes, la modulation
n’est rien d’autre qu’un outil de gestion budgétaire qui permettra de demander aux universitaires de
« travailler plus pour… ne pas gagner plus » ; dans un contexte de déséquilibre accru des pouvoirs
au sein des universités9 et face aux moyens de pression dont disposent les instances dirigeantes pour
l’attribution des services, l’« accord écrit » de l’universitaire est bien illusoire.

Il faut donc rester vigilant et exiger la préservation des garanties minimales qui permettront
aux universitaires d’enseigner et de chercher librement, sans que le déroulement de leurs carrières
dépende de l’appréciation d’une seule entité dépourvue de l’expertise scientifique nécessaire et
cumulant tous les pouvoirs. De fait, l’affaire n’est pas encore entendue. Le texte tel qu’amendé à
l’issue du CTPU doit encore être soumis, d’abord, au Conseil supérieur de la fonction publique
(CSFP), ensuite au Conseil d’État, et enfin au Conseil des ministres.

Ce n’est qu’en poursuivant une mobilisation active que nos revendications légitimes
pourront aboutir. Les universitaires aimeraient bien retourner devant leurs étudiants et à leurs
recherches. Le ministère ne leur laisse pas ce choix. Et s’ils s’obstinent, plus encore que le ministre,
c’est parce qu’il en va de leur liberté et de l’essence même de leur mission, celle d’assurer un
enseignement supérieur de qualité, fondé sur une recherche indépendante.

A cet égard, le projet révèle au grand jour les malfaçons de la loi « Libertés et Responsabilités des Universités »
(LRU) du 10 août 2007 qui a concentré les pouvoirs aux mains du président et de son conseil d’administration (élus
selon des critères par ailleurs discutables) : voir les motions adoptées par l’assemblée du Collectif les 28 février et 28
mars 2009.

Nul n’a mieux décrit que Philippe d’Iribarne les sentiments qui animent tous ceux qui
s’opposent à l’esprit et à la lettre du projet de décret statutaire. S’inspirant d’une célèbre fable de
Jean de La Fontaine, il a exprimé les raisons de notre colère et de notre obstination dans des termes
que nous faisons nôtres pour conclure cette Note :
« Il s’agit pour l’essentiel de laisser au loup la condition matérielle qui est la sienne tout
en voulant lui imposer la forme de servitude qui est l’apanage du chien. Si la réforme passe,
même amendée à la marge, il va y avoir beaucoup à gagner, à quémander, auprès des petits
potentats que vont devenir les présidents d’université. L’estime des pairs va devenir moins
importante, quand il s’agit d’être jugé, que la diligence avec laquelle on se soumet à des critères
(nombre de publications, nombre de fois où l’on est cité) qui favorisent celui qui bêle avec le
troupeau par rapport à celui qui pense librement. Pourquoi les princes qui nous gouvernent et
leur entourage ne sentent-ils rien de cela et se font-ils tellement tirer l’oreille pour revoir leur
copie ? Peut-être l’esprit de cour est-il tellement devenu chez eux une seconde nature qu’ils ont
du mal à comprendre que certains ont fait d’autres choix ?
 » [9]

Communiqué du bureau du Collectif pour la Défense de l’Université

La mission du Collectif pour la Défense de l’Université n’est pas terminée. Le ministère n’a
pas cédé sur l’essentiel. Certes, devant la mobilisation, il a dû faire certaines concessions sur le
contenu de son projet de décret relatif au statut des universitaires, à l’issue de la réunion du CTPU du
mardi 24 mars. La plus importante d’entre elles porte sur les promotions au choix, pour lesquelles
l’équilibre (50/50) entre les instances locales et nationales figure désormais dans le projet de décret.
Cependant, contrairement aux apparences, l’attaque frontale contre le cœur du métier d’universitaire,
son indépendance et sa liberté, n’a pas été désamorcée. On nous annonçait une «  réécriture ». Nous
constatons que le projet invite en réalité à une relecture… avec une singulière impression de déjà-vu,
qui nous contraint à poursuivre la mobilisation.
Pourquoi ?

1. D’abord, la modulation du service demeure… Surtout, elle est maintenue « à la hausse »,
ce qui permet d’augmenter les charges d’enseignement et cela, à rémunération constante, voire
décroissante pour les nombreux universitaires en sur-service. Cela n’est pas acceptable. En effet, le
constat s’impose.
- Le projet ne prévoit pas le paiement des heures d’enseignement assurées au-delà des
128 heures CM - 192 heures TD en cas de service modulé.
- La prétendue garantie de « l’accord écrit » de l’universitaire, prévue par le texte, est un
leurre car les moyens de pression sur l’attribution des services s’intensifient, en période de pénurie
budgétaire et de suppression des postes. Quant à la demande de réexamen de la décision sur la
modulation, elle n’est prévue que pour le cas où la modulation a été demandée par l’universitaire et
refusée par l’université. Aucun recours n’est prévu en cas de modulation à l’initiative de l’université.
- Le texte prévoit que la modulation ne doit pas altérer « l’offre de formation » dispensée par
chaque université : dès lors, la modulation à la baisse pour les uns sera forcément compensée par une
modulation à la hausse pour les autres. Les universitaires qui désireraient résister à cette dégradation
de leur métier n’auront d’autre choix que de se résoudre à diminuer l’offre de formation afin de
diminuer leurs charges d’enseignement.
- Ainsi, loin de constituer un outil de souplesse favorable aux activités des universitaires
comme se plaît à le répéter le Ministère, la modulation n’est rien d’autre, en réalité, qu’un outil de
gestion budgétaire confié aux « administrateurs » des universités qui leur permet de demander aux
universitaires de « travailler plus pour… ne pas gagner plus ».
Maintenir une telle modulation, c’est donc persister à remettre en cause la substance même de
notre métier qui lie enseignement et recherche. C’est placer l’universitaire devant une alternative
inacceptable : sacrifier le temps consacré à la recherche ou sacrifier l’offre de formation. Voilà une
perspective pour le moins déconcertante…

2. Ensuite, le texte du projet consacre et officialise les dérives inhérentes à une conception
administrative de la fonction d’universitaire en renforçant la tendance à inclure les fonctions
administratives dans les missions de l’universitaire sur la base d’un véritable bénévolat. Or, depuis
plusieurs années déjà, les tâches administratives, pudiquement qualifiées « d’intérêt général »,
s’accroissent considérablement aux dépens du temps de recherche et d’enseignement, les réformes
incessantes imposées par les ministères devant être mises en œuvre dans un contexte de sous-effectif
chronique du personnel administratif.
Théoriquement, de telles fonctions pourraient donner lieu à des décharges de service, mais
pratiquement, la situation de pénurie qui caractérise l’Université risque de les rendre impraticables. La
multiplication des « tâches d’intérêt général » doit pouvoir être refusée par les universitaires à qui l’on
veut faire changer de métier sans le leur dire…
En outre, ce texte reporte à plus tard l’élaboration d’une grille nationale d’équivalence horaire
entre ces tâches et celles d’enseignement, tout en prévoyant que les universités seront libres de
recourir ou non à ce tableau d’équivalence.

3. Enfin, l’évaluation dessinée, même revisitée, est la fausse caution scientifique d’un
système commandé en réalité par des exigences de restriction budgétaire et des considérations
bureaucratiques. En particulier, ses modalités de mise en œuvre ne garantissent pas une approche
qualitative, seule approche concevable, et font de l’évaluation un système impraticable au regard des
conditions de travail des évaluateurs.

Comme pour le report de la réforme du recrutement et de la formation des enseignants, la
tactique du Ministère consiste à faire croire à un recul. Nos gouvernants semblent faire le pari de
l’enlisement (par épuisement et découragement des universitaires) et de la radicalisation du conflit.
Nous ne céderons pas à cette logique, car nous savons que notre combat est légitime.

Nous aimerions retourner devant nos étudiants et à nos recherches. Le ministère ne nous laisse
pas ce choix. Et si nous nous obstinons, plus encore que le ministre, c’est parce qu’il en va de notre
liberté et de l’essence même de notre mission, celle d’assurer un enseignement supérieur de qualité,
fondé sur une recherche indépendante.
C’est pourquoi nous appelons à maintenir la contestation : nos revendications portent leurs
fruits, trop lentement certes, mais la défense de l’Université reste vitale pour la qualité de
l’enseignement supérieur et de la recherche.


[1La présente note a été rédigée par Olivier Beaud, Professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas Paris 2,
Cécile Chainais, Professeur de droit privé à l’Université de Picardie Jules Verne, Jean Matringe, Professeur de droit
public à l’Université de Versailles Saint-Quentin, Laurence Sinopoli, Maître de conférences en droit privé à
l’Université Paris Ouest-Nanterre La Défense (membres du Bureau du Collectif) et Anne-Sophie Bruno, Maître de
conférences en histoire contemporaine à l’Université Paris 13 (membre du Collectif).

[2Il était toutefois prévu par certains universitaires que la modulation pouvait se faire à la hausse dans le cas d’un
projet pluriannuel. Pendant un certain nombre d’années, on enseigne plus (ou moins), on obtient une sorte de crédit
(ou débit) d’heures, qu’on rattrape ensuite, dans les années ultérieures en faisant moins ou plus d’heures. On trouve
l’écho de cette idée dans l’article 7-III (al.8)..

[3Voir les motions adoptées par l’assemblée du Collectif les 28 février et 28 mars 2009.

[4Signalons en passant une erreur de rédaction puisque la formule « au présent III » dans cet alinéa ne peut signifier
que « au présent IV » - la numérotation de l’article 7 ayant été modifiée après le passage au CTPU en raison d’un
ajout d’un article 7-II.

[5Voir les motions adoptées par le Collectif les 14 février, 28 février et 28 mars 2009.

[6« L’enseignant-chercheur devient enseignant-flatteur » comme l’indiquait une pancarte de manifestant.

[7L’autonomie des Universités est largement factice en raison de sa totale absence d’autonomie financière. Voir, sur ce
point, le témoignage d’un acteur lucide : Jean Waline, « L’autonomie des universités : une bouteille à l’encre ?… »,
Revue du droit public, 2008, p. 1467.

[8Voir la motion adoptée par l’assemblée du Collectif le 28 mars 2009.

[9« Les professeurs, "Le Loup et Le Chien" », Tribune parue dans Le Monde du 18 mars 2009.