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Qui sacrifie qui ? - tribune de plusieurs enseignants, Sud-Ouest, 16 avril 2009
jeudi 16 avril 2009, par
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Les universités françaises sont en grève depuis le 2 février. Pendant neuf semaines, ce conflit social inédit a suscité dans les médias au mieux une indifférence polie, au pire des sarcasmes rituels. C’est seulement la semaine dernière qu’une offensive générale a été lancée contre le mouvement. Éditoriaux, tribunes et courriers sont apparus pour accuser les enseignants-chercheurs pêle-mêle de continuer une grève alors qu’ils ont obtenu satisfaction, de manipuler leurs assemblées générales et, crime des crimes, de sacrifier leurs étudiants !
Avouons-le : nous attendions ces réquisitoires avec impatience. Nous nous étonnions que neuf semaines de grève passent presque inaperçues. À quoi pensaient pendant ce temps les leaders d’opinion, les éditorialistes vertueux, les parents inquiets ? Leur indignation s’exprime quand nous annonçons ne plus être en mesure d’organiser les examens. Que nous ne fassions pas cours ne les embarrassait guère. Que nous renoncions à interroger les étudiants sur ce qu’ils n’ont pas appris les choque.
Qu’on nous permette de trouver cette indignation paradoxale.
Ceux qui bradent l’Université s’appellent Xavier Darcos et Valérie Pécresse. Les deux projets que la communauté universitaire refuse organisent le sacrifice de l’Université, si l’on tient à cette métaphore, sur l’autel double des économies budgétaires et de l’idéologie. Le projet Pécresse de réforme du statut des enseignants-chercheurs n’a qu’un but : nous faire effectuer des heures supplémentaires gratuites. Malgré quatre rédactions successives du décret, cette disposition essentielle y figure encore, sous le nom de code de « modulation ».
Le projet Darcos qui, dans la même novlangue, s’appelle « mastérisation », est trop complexe pour qu’on énumère ici ses effets. Disons seulement que s’il s’applique, on créera deux corps d’enseignants : d’une part des fonctionnaires, de moins en moins nombreux, au savoir amputé de tout ce qui permet de penser, et d’autre part des contractuels « mastérisés », munis de diplômes inégaux et négociables sur le marché selon la loi de l’offre et de la demande. C’est parce que nous pensons que cette perspective n’est pas digne de la société française que nous préférons neutraliser un semestre plutôt que de nous y résigner. Nombreux sont ceux qui avaient senti le danger puisque, hors outre-mer, une seule académie a préparé la mise en place de ces fameux masters pour septembre !
Il est temps que les ministres nous voient ! Car s’ils s’obstinent après Pâques, ils nous condamneront à renoncer aux examens de juin. Au-delà, s’ils menacent par leur silence la délivrance des diplômes, ils mettront en péril l’inscription des étudiants à la rentrée de septembre. Prisonniers d’une idéologie qui voit dans l’Éducation nationale une institution soviétique, les deux ministres ignorent superbement la réalité. Le calendrier la leur rappelle. L’inquiétude des parents et la vindicte des éditorialistes pourraient y aider si elles interpellaient les vrais fauteurs de troubles.
Comme nos étudiants le savent, nous aimons enseigner, nous voulons le faire dans des conditions acceptables et nous sommes attachés aux diplômes que nous avons conçus et mis en place. C’est justement pour en préserver la valeur, au sein de l’École républicaine, du service public de l’Éducation et de la République tout entière, que nous luttons, car nous voulons conserver de l’université l’image d’une institution qui résiste et ne se couche pas devant les menaces pesant sur l’avenir de tous les citoyens.
Les signataires : Philippe Araguas, professeur d’histoire de l’art médiéval, Christian Bouquet, professeur de géographie, Jean-Paul Engélibert, professeur de littérature comparée, Yves-Charles Grandjeat, professeur de littérature américaine, Christine Lévy, maître de conférences, langue et civilisation japonaises, Jean-Claude Pastor, maître de conférences, langue et civilisation chinoises, Christophe Pébarthe, maître de conférences, histoire, Marc Saboya, maître de conférences, histoire de l’art contemporain, Jean Terrel, professeur de philosophie, Antoine Ventura, maître de conférences, études latino-américaines. Tous les signataires sont enseignants-chercheurs à l’université Michel-de-Montaigne Bordeaux 3.