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Comment la Sorbonne a bradé son nom au Moyen Orient - Hélène Decommer, Rue89, 29 avril 2009
jeudi 30 avril 2009
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Paris-IV Sorbonne ayant cédé à Abu Dhabi l’exclusivité du nom dans la région, Paris I-Panthéon Sorbonne ne peut plus s’y implanter.
La Sorbonne à Abu Dhabi, belle vitrine de la culture française dans le Golfe. Il y a trois ans, le projet est conclu entre les Emirats arabes unis et l’université Paris IV-Sorbonne par un accord, « secret » à l’époque, qui prévoit l’exclusivité de l’usage du nom La Sorbonne au Proche et Moyen-Orient. Sauf que ce titre n’est pas la propriété de Paris IV.
Pierre-Yves Hénin se sera battu jusqu’au bout. Son mandat de président de l’université Paris I-Panthéon Sorbonne s’achève aujourd’hui, et malgré son acharnement, impossible d’instaurer une antenne de son université au Moyen-Orient. Il a tenté le Qatar, puis le Bahreïn, mais s’est systématiquement heurté à un refus des autorités françaises.
En avril 2007, le procureur général du Qatar, l’équivalent du ministre de la Justice, Ali Bin Fetais Ali Marri, propose à Pierre-Yves Hénin de créer un institut affilié à l’université Paris I-Panthéon Sorbonne au Qatar. Les deux hommes montent le dossier et le communiquent à la garde des Sceaux Rachida Dati. Pierre-Yves Hénin raconte :
« Fin avril 2008 s’est tenue au Qatar la conférence de Doha sur la justice, en présence de Rachida Dati. Elle nous a dit : “Je prends sur moi pour signer l’accord de coopération.” Avant la conférence, elle a reçu un coup de fil de l’Elysée qui lui interdisait de signer quoi que ce soit. »
Rebelote au Bahreïn, au début de l’année 2009. Pierre-Yves Hénin reçoit une invitation du ministre de la Cour royale Al-Khalifa pour discuter d’une éventuelle implantation de Paris-I au Bahreïn, à l’occasion d’une visite de Nicolas Sarkozy dans le pays prévue en février. Il y répond favorablement. Le 9 février, un courriel de l’ambassadeur de France au royaume du Bahreïn l’informe que :
« Vérification faite auprès de mon ministère, il m’est revenu que votre visite à Bahreïn soulevait des objections d’opportunité. Je l’ai donc dit aux autorités bahreiniennes. »
Furieux et voulant comprendre les raisons de son éviction, le président de Paris-I écrit à Valérie Pécresse, Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner. Seul ce dernier lui répond et livre l’explication :
« Les autorités françaises sont liées par l’accord franco-émirien signé à Abou Dhabi le 19 février 2006 par Monsieur Jean-Robert Pitte, alors président de l’université Paris IV Sorbonne et par Monsieur Gilles de Robien, alors ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ce dernier l’ayant paraphé comme témoin. »
« Cet accord, qui formalise l’implantation de l’université Paris-IV Sorbonne aux Emirats, comprend une clause précisant que l’université sera l’unique implantation de l’université Paris-Sorbonne au Proche et Moyen-Orient. »
Or, la prestigieuse appellation Sorbonne n’est pas l’apanage de Paris-IV. Après les événements de mai 68, treize universités sont créées dans l’académie de Paris. Plusieurs portent le nom Sorbonne dans leurs titres. Le terme n’appartient donc pas à une université en particulier et ne peut pas être déposé.
Pierre-Yves Hénin demande alors à Bernard Kouchner, par courrier daté du 13 mars, le texte de cette convention entre Paris-IV et les Emirats, afin « d’apprécier la teneur et la portée des dispositions qui (lui) seraient opposables. » Pas de réponse. Le président de l’université s’insurge :
« Il n’est pas normal qu’il existe un caractère secret dans un accord sur une université. Il n’y a aucune transparence dans cette affaire. »
De plus, Paris-IV ne touche que 15 % des droits d’inscription des quelques 400 étudiants de La Sorbonne à Abu Dhabi, qui s’élèvent à environ 13 000 dollars par an et par élève. Pierre-Yves Hénin poursuit :
« Lorsque le musée du Louvre s’est installé à Abu Dhabi, la clause d’exclusivité pour le nom s’est négociée à 400 millions d’euros par an. Là, 15 % c’est ridicule, surtout qu’il y a peu d’élèves. On sacrifie l’université française soit pour des intérêts financiers, qui là sont minimes, soit pour garantir des intérêts supérieurs. »
En 2006, c’est Pascal Renouard de Vallière qui avait servi d’intermédiaire entre l’université Paris IV et les Emirats Arabes Unis. Conseiller en relations internationales et ami d’Olivier Dassault, il se présente lui-même comme un lobbyiste :
« J’ai passé vingt ans de ma vie à nouer des relations au Moyen-Orient. C’est moi qui ai eu l’idée d’implanter une grande université française à Abu Dhabi et le président de Paris IV, Jean-Robert Pitte, a été le seul à me suivre. »
« Pour la clause d’exclusivité, nous avons peut-être mal négocié, mais nous n’avions pas les moyens de faire mieux. Nous sommes arrivés avec un sac de billes dans les poches. Donc nous avons cédé la clause d’exclusivité contre les frais de fonctionnement et de construction. »
Au passage, Pascal Renouard de Vallière reconnaît aussi n’avoir jamais touché les deux millions d’euros promis pour avoir assuré la transaction :
« Selon un engagement verbal, c’était aux Emiriens de me payer. Mais à l’époque, l’ambassadeur de France aux Emirats Arabes était furieux que j’ai réussi à monter ce projet. Il s’est débrouillé pour me décrédibiliser aux yeux des Emiriens, leur demandant de ne pas me payer. Evidemment, ils ont suivi ses recommandations. »
Du côté de Paris IV, on reconnaît que l’accord de coopération a été mal rédigé. Michel Fichant, professeur délégué et membre du Conseil de direction de La Sorbonne Abu Dhabi :
« L’accord a été insuffisamment élaboré et négocié. Jean-Robert Pitte a voulu aller beaucoup trop vite. Les Emiriens ont acheté une marque, sans être vraiment informés de ce qu’elle recouvrait. Mais notre gouvernement, qui fait de gros efforts de rapprochement, ne veut pas leur déplaire et donc leur donne raison. »
La question de la marque va d’ailleurs se poser dès les remises de diplômes aux étudiants. Habilitée à délivrer des diplômes universitaires uniquement en Lettres et Sciences humaines, Paris IV s’est associée à Paris V-Descartes pour les formations en Droit et en Economie. C’est cette dernière qui attribuera les licences, masters et doctorats dans ces matières. Sans mention La Sorbonne, puisque le terme ne figure pas dans le nom de l’université.
Les Emiriens s’en inquiètent déjà. Avec le Quai d’Orsay, ils réfléchissent à la manière de faire tout de même apparaître la prestigieuse mention Sorbonne.