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"Etrange mic mac autour de la Sorbonne à Abu Dhabi", Le NouvelObs, 29 avril 2009
jeudi 30 avril 2009
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Etrange mic mac autour de la Sorbonne à Abu Dhabi
C’est un lobbyiste proche d’Olivier Dassault, Pascal Renouard de Vallière, qui a monté l’opération d’implantation de Paris-4 Sorbonne à Abu Dhabi ( Emirats Arabes Unis), signée par Gilles de Robien, à l’époque ministre de l’Education Nationale, en 2006. Pour cette opération qui lui a demandé, dit-il, « deux ans de travail », il avait négocié une commission de 2 millions de $, que devait lui payer les Emirats. Mais il ne l’a jamais touchée. D’après lui, c’est le Quai d’Orsay qui s’y oppose. Mais l’affaire se complique du fait que, pour justifier ces honoraires, le protocole d’implantation de la Sorbonne à Abu Dhabi, qui a été rédigé en anglais, contient une clause d’exclusivité pour le Moyen Orient au profit de « The Sorbonne university ».
Problème : outre l’université Paris-4 « Paris Sorbonne », deux autres universités portent aussi le nom Sorbonne : Paris-1 « Panthéon Sorbonne » et Paris-3 « Sorbonne Nouvelle. » Elles se voient interdire tout partenariat pédagogique dans le Moyen Orient. Paris-1 refuse cette interprétation et est décidé à dénoncer la validité juridique de l’accord signé par Paris-4. Mais - autre problème - il s’avère que le contenu du protocole de cet accord est jusqu’ici resté secret. En tout état de cause, l’affaire a déjà conduit récemment à un incident diplomatique avec Bahrein, qui s’est vu interdire un partenariat pédagogique avec Paris-1, au nom « d’intérêts supérieurs ». A l’heure où Nicolas Sarkozy s’apprête à inaugurer, fin mai, la base militaire française à Abu Dhabi, l’exclusivité de la marque « Sorbonne » aurait-elle été accordée aux Emirats Arabes Unis afin de faciliter des contrats avec ce pays ? Voici le récit de cette ténébreuse affaire.
La magie de la « marque Sorbonne »
Seule la France ne se rendait pas compte, jusqu’à un passé récent, que le mot « Sorbonne » - comme « Louvre » ou « Dior » - exerce une attraction magique sur toute la planète. En voici une preuve supplémentaire : trois émirats se battent pour tenter de bénéficier de la prestigieuse marque. Mais l’affaire a tourné à l’imbroglio et mené à un incident diplomatique. Car nul ne sait qui est juridiquement dépositaire de la marque Sorbonne. Rappel historique : après les événements de Mai-68, quelques technocrates découpent la Sorbonne - coupable d’agitation incontrôlable - en trois universités différentes baptisées Paris-1 ( ex fac de Droit et Economie), Paris 3 (ex fac de Lettres), et Paris 4 ( idem). En fait ils commettent un crime équivalent à débaptiser Chanel ou Renault . D’ailleurs ces universités cherchent vite à renouer avec leur patrimoine, et il en résulte un compromis tordu. La fac de lettres Paris 4, qui occupe le bâtiment historique du boulevard Saint Michel hérite de l’appellation « Paris Sorbonne ». La fac de droit et d’économie qui occupe le bâtiment mitoyen, très prestigieux aussi, au pied du Panthéon, n’hérite que de « Panthéon Sorbonne », mais contre le privilège de s’appeler Paris-1 . Pas négligeable quand on sait que Paris 6 a récemment été pris par une délégation asiatique pour la 6 ème fac parisienne, alors qu’elle est la première au Classement de Shanghai sous le nom de « Université Pierre et Marie Curie ». Enfin est créé la « Sorbonne Nouvelle », alias Paris 3, logée dans un préfabriqué miteux dit « Censier . »
C’est dans ce contexte qu’en 2003, le remuant et plutôt droitier Jean-Robert Pitte, décroche la présidence de Paris 4. Il décide, sans consulter les autres facs, de valoriser la marque Sorbonne, confiant à un opérateur extérieur une licence « multiproduits ». Tant que c’est pour vendre des vêtements griffés Christian Lacroix ou des tasses à café, ses rivaux de Paris 1 et Paris 3 se contentent de sourire. « Nous n’usurpons en rien le nom Sorbonne plaide Pitte à l’époque. La Sorbonne, c’est un bâtiment, et Paris 4 porte ce nom. »
Les choses se compliquent le 19 février 2006 quand Pitte, en compagnie de Gilles de Robien - alors ministre de l’Education Nationale - signe une « convention d’implantation » de « The University of Sorbonne at Abu Dhabi », en présence du prince héritier, Cheikh Mohammad Ben Zayed, chef adjoint des forces armées Emiraties , et de Sheickh Nahyan bin Mubarak Al Nahyan, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique des Emirats Arabes Unis ( EAU). Cet accord prévoit que Paris 4 percevra 15 % des droits d’inscription de 13 000 $ par an. A terme sont prévus trois amphithéâtres et 45 salles de cours, une bibliothèque de 50 000 volumes. Pitte explique qu’il n’est pas question d’associer Paris 1 et Paris 3 à l’opération, « ce serait trop compliqué administrativement. » La première rentrée se fait en octobre 2006 avec 170 étudiants. A terme il est prévu de monter à 2000 étudiants ( 400 actuellement), ce qui représenterait une recette d’environ 2 millions d’E pour Paris 4. A peu près la moitié de ce que rapportent les 25 000 étudiants inscrits à Paris ! « Avec la marque Sorbonne, on dort sur une mine d’or » lance Pitte.
La Sorbonne à Abu Dhabi : un accord exclusif, et secret
L’affaire irrite au plus haut point son collègue et voisin immédiat Pierre-Yves Hénin, à l’époque président de Paris 1 Panthéon Sorbonne, qui se met en quête de connaître le contenu exact de la convention signée avec Abu Dhabi, pour voir ce qui pourrait l’empêcher, lui « Panthéon Sorbonne » d’en faire autant. Malgré toutes ses demandes au Quai d’Orsay, il ne parvient pas à obtenir copie du contrat. Pas étonnant, et voici pourquoi. Quand, à la mi 2008, Pitte paye sa surexposition médiatique et perd la présidence de Paris 4, son successeur, le discret mais pugnace Georges Molinié, professeur de stylistique française, opposant farouche à la loi Pécresse, ne remet pas en cause la signature de Pitte. Mais il découvre et s’étonne publiquement que le protocole d’implantation soit « un accord secret » - ce que récuse Pitte - mais que confirme Michel Fichant, membre du CA de la Sorbonne Abu Dhabi, professeur d’histoire de la philosophie à Paris 4 . Molinié s’étonne aussi que l’antenne implantée s’appelle, dans le protocole, rédigé en Anglais, « The Sorbonne » et pas « Paris 4 ». Enfin il confirme qu’il y a une clause d’exclusivité concernant " la région Moyen Orient".
Ce qui signifie que les deux autres facs portant le nom Sorbonne se voient fermer toute possibilité de coopération avec cette aire très importante, qui va de Dubaï au Caire en passant par Beyrouth et Téhéran. Pitte nie cette interprétation : « cette clause ne concerne que Paris 4, je me réjouirais que mes collègues de Paris 1 ou Paris 3 en fassent autant. » Mais il manie volontiers le double langage . D’un coté il dit : « Une université s’appelant « Paris Sorbonne » et dont le siège se situe dans le bâtiment de la Sorbonne, à l’ombre de la chapelle de Richelieu, est tout simplement la Sorbonne et les démentis n’y font rien » et de l’autre il admet, avec sa casquette de géographe : « Que Paris-Sorbonne ne soit pas toute la Sorbonne, c’est une évidence. »
Hénin préside une université réputée notamment en droit et en économie, qui aspire à monter des partenariats étrangers. A l’époque, il voit dans cette subtile nuance entre « The Sorbonne » et « Paris 4 » un évidente source de malentendu juridique . Ses craintes vont très vite se confirmer. Dès l’élection de Sarkozy, il sollicite l’Elysée pour clarifier l’affaire. On lui répond, raconte-t-il : « Ah, c’est encore une « chiraquerie ». On va régler ça, ne vous inquiétez pas. » Deux mois plus tard le ton a changé du tout au tout : il reçoit une fin de non recevoir. Têtu, il est reçu deux fois au cabinet de Bernard Kouchner et deux fois chez Pecresse. Il ne rencontre que des interlocuteurs embarrassés qui disent en substance : écrasez-vous et on trouvera une solution.
Paris 1 Panthéon Sorbonne interdite d’implantation au Qatar
En novembre 2007, l’ambassade de France au Qatar signale à Hénin que le procureur général du Qatar, Ali Bin Fetais al-Marri, qui est un diplômé de Paris 1 Panthéon Sorbonne, voudrait que Paris 1 monte à Doha une formation en droit. La proposition est séduisante car le Qatar a créé une Fondation pour l’Education, dotée de plus de 5 milliards d’E, qui bâtit un méga campus de prestige « Education City », destiné à accueillir les meilleurs cursus du monde. On y trouve déjà 6 université américaines. Suite à la visite de Nicolas Sarkozy au Qatar les 14 et 15 janvier 2008, Hénin monte dans l’urgence une maquette de Droit et Affaires Internationales . Parallèlement le procureur Al-Marri, confirme directement sa demande à Hénin. Pour éviter tout problème avec Paris 4, Hénin informe Pitte de son projet, avec copie au recteur. Il lui est alors répondu que Paris 4 va délivrer des diplômes de droit a Abu Dhabi ! Alors même que, fac de lettres, elle n’est pas habilitée à le faire. Il découvre que, pour tourner la difficulté, Pitte a passé une accord de sous-traitance avec Paris 5, qui, elle, est habilitée mais … ne s’appelle pas Sorbonne.
En bon juriste, Al-Marri flaire un lézard et relance Paris-1 par mail : « je veux savoir si vous êtes juridiquement autorisés à signer le partenariat que nous sollicitons ? » Hénin répond en termes strictement juridique : « oui : nous ne sommes pas Paris 4 . Nous ne sommes donc tenus par aucun accord d’exclusivité. »
Invité à se joindre à la délégation qui se rend au sommet de ministres de la justice à Doha, emmenée par Rachida Dati, en avril 2008, il part muni d’un solide dossier d’implantation monté avec l’APIE (Agence pour le patrimoine immatériel de l’Etat), créée par Thierry Breton pour défendre les marques publiques. Il part confiant, fort d’un mail reçu du ministère de l’Enseignement Supérieur qui dit : « la marque Sorbonne n’est pas la propriété de Paris 4, donc rien ne s’oppose à ce contrat. » Dans l’avion, il questionne quand même Rachida Dati : existe-t-il un doute pouvant gêner l’implantation de Paris 1 ? La grande amie du procureur général du Qatar lui répond enthousiaste : « pas de problème, je prends ça sur moi, nous signerons ! » A peine arrivé à Doha, Hénin consulte quand même divers interlocuteurs, dont Bernard Belloc, le conseiller université à l’Elysée. Réponse cocasse à sa démarche : « tu peux signer si tu n’utilise pas le mot « implantation », mais seulement « collaboration universitaire . » Une demi heure à peine après l’arrivée à Doha, Dati a changé de mine « Désolé, on ne signe plus, il y a un véto absolu de l’Elysée. Pour cause d’intérêts supérieurs… »
Hénin rentre bredouille. Le Quai d’Orsay tentera ensuite de rattraper le coup en proposant que le signataire de l’accord s’appelle « Paris-1 Panthéon », sans le mot Sorbonne. Ce faux compromis n’intéresse pas le Qatar. Puis lors d’une réunion aux Affaires Etrangères, Hénin découvrira effaré la dernière idée du Quai d’Orsay « on va proposer au Qatar une implantation sous le nom Paris 1 Panthéon, mais les diplômes seront signés Paris-1 Panthéon Sorbonne. » Tribulations restées pour l’instant sans suite car les Qataris comprennent bien qu’on les promène.
Incident diplomatique avec Bahreïn
Fin 2008, le président de Paris-1 a à peine digéré le véto opposé à son implantation au Qatar qu’il apprend que le roi Hamad Bin Eisa Al Khalifa du Bahrein est intéressé par un partenariat avec Paris-1 . Mieux : que la chose figure à l’agenda de la rencontre du roi avec Nicolas Sarkozy le 5 décembre 2008. Le 6 décembre, en gros titre, « The Gulf » annonce « Apres sa visite à Nicolas Sarkozy, le roi du Bahreïn annonce qu’il accueille une antenne de la Sorbonne ». Cette fois, Hénin est sur de son coup . Une délégation russe de passage à Paris le félicite : « Alors, vous vous installez à Bahreïn ! » précisant que l’information a été annoncée par la Banque Mondiale. Hénin se borde en consultant par mail Jean Daniel Levitte, conseiller diplomatique à l’Elysée, sachant que Sarkozy se rend en visite officielle dans ce pays les 11 et 12 février. Le 4 fevrier, il a la satisfaction de recevoir une lettre personnelle à en tête du roi du Bahrein, l’invitant à être présent lors de la visite de Sarkozy « afin de discuter les possibilités de la création d’une annexe de l’université de Paris 1 Panthéon Sorbonne au Bahrein. » Il informe notre ambassadeur à Bahreïn qui répond « je peux attester de la réaction extrêmement positive du roi au projet de l’implantation de Paris 1 Panthéon Sorbonne. Mon vœu le plus sincère est de voir aboutir ce projet » « Implantation » : le mot magique est prononcé. « Bêtement républicain, j’informe Sarkozy et lui demande avec qui je dois traiter ça » raconte Hénin. Aucune réponse. Le 9 février, billet d’avion en poche, il apprend qu’il y a un problème. L’ambassadeur de France a totalement changé d’avis « votre venue soulève une objection, j’ai prévenu les autorités de Bahrein. » Hénin annule son voyage. Ce qui est un affront pour Bahrein : « on ne refuse pas une invitation du roi. » C’est un incident diplomatique. Le 18, Bernard Kouchner envoie une longue lettre embarrassée à Hénin : « nous sommes liés par l’accord Franco Emirien . Il comprend une clause précisant que ce sera l’unique implantation de l’université Paris-Sorbonne au proche et Moyen Orient . Il ne parait donc pas possible de reprendre une deuxième fois cette appellation dans cette région. Concernant Bahrein, votre projet n’a pas été évoqué lors de l’entretien du roi Hamad avec Nicolas Sarkozy. »
Où l’on découvre un intermédiaire floué, qui réclame 2 millions de $
Mais un autre problème vient encore compliquer cette affaire et la rendre plus ténébreuse . C’est en fait un important lobbyiste proche des familles royales du Moyen Orient, et grand ami d’Olivier Dassault, Pascal Renouard de Vallière, qui est à l’origine de l’idée Sorbonne à Abu Dhabi. Il l’a apportée « sur un plateau d’argent » à Pitte, après, dit-il, deux ans de travail, ce que confirme Pitte et tous les témoins de la cérémonie à Abu Dhabi. « C’est lui qui a payé de sa poche le premier voyage d’exploration sur place de Pitte et d’une adjointe, qui étaient méfiants » se souvient un témoin. Renouard de Vallières, surpris par le renom de la Sorbonne, ira même jusqu’à travailler, à l’époque, sur un projet d’opération « Sorbonne à Boston ». Ce « consultant en affaires internationales » sera récompensé de son intermédiation le 5 novembre 2007 en étant fait chevalier dans l’Ordre National du Mérite, en grande pompe, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, par Olivier Dassault « qui a joué un rôle très important dans l’affaire » dit-il.
Mais voilà : le reconnaissance morale n’est pas tout. Dans le journal Al Ahram International, on a pu lire, le 4 février dernier, ce curieux entrefilet, publié après accord de Renouard de Vallière : « Monsieur Renouard de Vallière vit avec perplexité et étonnement le fait qu’aucune espèce de reconnaissance, ni morale ni autre, ne lui ait été manifestée par les décideurs à Abu Dhabi, ce qui est en totale contradiction avec la politique des héritiers du regretté Cheikh Zayed. A tel point qu’il s’étonne beaucoup et n’arrive pas à le croire. Il est persuadé de faire les frais d’intrigues tramées contre lui. »
Renouard de Vallière récuse le qualificatif « d’homme d’affaires », et se dit « conseil en relations internationales ». En fait c’est un lobbyiste qui monnaye ses hautes relations, tissées depuis plus de 20 ans, au Moyen Orient. Il travaille notamment pour Dassault. Il demandait 2 millions de $ pour le montage de l’opération Sorbonne, à partager entre Paris et Abu Dhabi. Mais la Sorbonne n’ayant pas un sou, il a eu l’idée d’introduire la clause d’exclusivité et de demander, en contrepartie, que les 2 millions soient à la charge d’Abu Dhabi. Ce qui a été accepté mais… verbalement. Problème : cette commission n’a jamais été payée. Renouard de Vallière accuse le Quai d’Orsay de faire obstacle, et pire, de vouloir sa faillite, car il désormais mal vu dans les Emirats. Il faut dire que ni lui ni Pitte n’avaient associé les Affaires Etrangères à l’opération Abu Dhabi... Etait-ce pour justifier sa commission et ne pas se faire court circuiter ?
De Vallière insinue en tous cas que Patrice Paoli, ancien ambassadeur à Abu Dhabi, promu depuis patron du Moyen Orient au Quai, se serait attribué la paternité de l’opération Sorbonne , laquelle a été suivie par l’opération Louvre à Abu Dhabi... De là à dire que l’opération Louvre aurait été inspirée par lui, il n’y a qu’un pas qu’il ne récuse que mollement. Et là, on parle de très gros intérêts, puisque le Louvre s’est « vendu » pour 700 milions d’E, dont 370 pour la seule marque, et le reste en royalties ( cf plus loin)
Furieux d’avoir été mis à l’écart, Renouard de Vallière s’active beaucoup, et a été jusqu’à inspirer un petit article du Figaro, le 28 mars dernier, titré, en caractères gras : « La Sorbonne de Renouard de Vallière. »
Ce personnage jovial et imposant ( il mesure presque deux mètres), qui aime souligner son parcours d’autodidacte, suscite des appréciations diverses en raison de ses facettes mystérieuses. Qualifié ici ou là d’aventurier ou d’affairiste, il fait l’objet de qualificatifs plus raides du coté du Quai d’Orsay. Il se donne volontiers une apparence de naïveté. On ne traite pourtant pas des affaires au Moyen Orient pendant des décennies sans un solide blindage. Parti pour l’Arabie Saoudite dés l’âge de 19 ans, il ouvre un bureau d’affaires à Ryad en 1983 puis le transfère au Caire en 1996. Il parle couramment Arabe et se flatte d’avoir vécu comme un bédouin sous la tente. Surtout, son site internet l’atteste, il possède un impressionnant portefeuille de relations, notamment politiques, au premier rang desquelles figure Olivier Dassault . Qu’il se soit fait flouer aussi bêtement sur cette opération Sorbonne intrigue. Sa version consiste à dire que l’affaire serait due « au mépris des élites de la haute administration française, qui ont voulu écarter un autodidacte. » L’argument paraît court : même si il écrit « diplômatie » avec un accent circonflexe, les faciliteurs d’affaires comme lui, diplômés ou pas, dotés de beaucoup d’entregent, ont toujours été prisés en haut lieu.
Une seule chose est sûre dans cette affaire : seul le Quai d’Orsay brandit la fameuse clause d’exclusivité. « Chez Pecresse, ils sont au contraire pour la multiplication des partenariats à l’étranger » explique un informateur proche du dossier. « C’est donc qu’il y a d’autres intérêts en jeu que ceux de l’éducation. » Le même informateur fait remarquer que c’est la même branche familiale régnante à Abu Dhabi qui contrôle les intérêts militaires et l’opération Sorbonne . L’Elysée défend-il l’exclusivité Abu Dhabi pour favoriser de futures ventes d’armes et la toute prochaine ouverture, fin mai 2009 d’une base militaire française dans ce pays ? Si cette supposition s’avérait exacte, ce serait une façon inédite de valoriser le renom d’une université.
A Abu Dhabi, la marque Sorbonne a-t-elle été bradée ?
En cette fin avril 2009, Pierre-Yves Hénin, qui a terminé son mandat de président de Paris 1, estime avoir recouvré sa liberté d’expression. Il est excédé par le fait qu’un récent courrier, adressé à Bernard Kouchner le 13 mars demandant communication du contrat Abu Dhabi est encore resté sans réponse.
Hénin accuse : « Je porte une accusation ciblée et constituée : la « Sorbonne à Abu Dhabi », c’est un accord contenant une clause d’exclusivité aux yeux du Quai d’Orsay alors que cela ne tient pas juridiquement. S’il y a des choses secrètes, je veux que cela soit clarifié. S’il y a exclusivité sur la marque Sorbonne, alors des droits doivent être payés. Mais s’il y a une commission non honorée, que reste-t-il de l’exclusivité ?... Je veux que l’on m’explique quels sont les intérêts qu’on protège dans cette affaire . » Et un de ses professeurs de droit, Maître François Ameli, spécialiste en contrats internationaux, est encore plus formel : « Rien, absolument rien, juridiquement, ne s’oppose à ce que Paris-1 monte des programmes au Moyen-Orient comme cela nous a été demandé par ces interlocuteurs de très grande qualité et porteurs d’avenir comme le Qatar. »
Il est en effet piquant que Paris 1 Panthéon Sorbonne, université d’excellence en droit et en économie ( avec l’IAE de Paris), se voit interdire de créer des partenariats au Moyen Orient parce que Paris 4, fac de Lettres, y exerce un monopole. Pour Hénin, limiter l’excellence de la Sorbonne à Paris 4, donc aux Lettres et Sciences Humaines, c’est brader le renom de la marque, qui s’exerce dans d’autres disciplines. Paris 1 qui gère des partenariats internationaux de haute qualité avec Le Caire, Thessalonique, Galatassaray, mais aussi Columbia à New York, et Oxford, enrage de se voir fermer la porte des états du Golfe dont les projets éducatifs sont énormes et pour lesquels elle dispose de compétences que d’autres universités n’ont pas. Nous avons rencontré le président de la Qatar Foundation, le Dr Mohamed Fathy Saoud, qui investit 5 milliards de $ dans sa « City of Education ». Il est très clair : « nous voulons signer avec les meilleures institutions françaises. Nous sommes très ouverts à toutes les opportunités, et nous parlons aussi avec les grandes écoles. » On comprend vite dans ses propos que si ce ne sont pas les universités qui y vont, ce seront les grandes écoles.
Enfin, si vraiment une exclusivité a été accordée à Abu Dhabi sur l’utilisation du mot « Sorbonne », pour tout le Moyen Orient, Hénin conteste alors les conditions financières du contrat conclu, en s’appuyant sur la jurisprudence du contrat Louvre à Abu Dhabi . En Mars 2007, le droit d’utiliser la marque « Louvre » a été vendu 370 millions d’E aux Emirats, sans compter une somme équivalente en royalties à venir. Le contrat a été conclu avec l’aide de l’APIE ( l’Agence pour le patrimoine immatériel de l’Etat), créée à Bercy par Thierry Breton dans le but de défendre les marques publiques. « Le non respect de cette procédure, et donc la non valorisation de la marque Sorbonne dans les mêmes conditions que Le Louvre pose un vrai problème » argumente Hénin.
La Sorbonne à Abu Dhabi : 1000 étudiants dans 5 ans ?
Le 14 mars 2008, Jean Robert Pitte, ayant sans doute trop roulé les mécaniques, était battu aux élections pour la présidence de Paris IV par Georges Molinié, un distingué professeur de stylistique Française qui affiche haut et fort ses idées de gauche et son opposition farouche à la réforme LRU de Valérie Pécresse. Depuis 18 mois il a fait de Paris IV le bastion de la lutte anti réforme de l’université. Ce qui produit ce résultat piquant, qui n’avait sûrement pas été anticipé ni par Sarkozy ni par Abu Dhabi : l’émirat est actuellement lié par un contrat d’exclusivité avec la fac la plus rebelle de France aux réformes universitaires de Nicolas Sarkozy. Dés mai 2008, Molinié déclarait à Challenges « l’idée qu’on puisse vendre le nom Sorbonne, qui en plus ne nous appartient pas, c’est d’un plouc ! » Et il dénigrait le contrat Abu Dhabi : « là bas 90 % des étudiants sont arabophones ou anglophones : nous nous contentons de le alphabétiser en français » , parlant de « bricolage indigne de la Sorbonne » et suggérant que Pitte avait été très peu exigeant sur les conditions du contrat : « c’est des cours de Français amélioré ». A l’automne 2008, il alla à Abu Dhabi pour imposer des nouveaux contenus éducatifs « plus dignes de la Sorbonne », dans les programmes : histoire, géographie, histoire de l’art etc, dans le cadre d’une licence en Lettres. Allant jusqu’à obtenir la tête du général Omar Al Bitar qui était vice président du conseil d’administration de Sorbonne Abu Dhabi. Aujourd’hui, la Sorbonne délègue 8 directeurs de filière sur place, plus des profs qui font des vacations de 8 à 15 jours. Pour autant, le projet est loin d’atteindre son objectif de 2000 étudiants : « on l’a révisé à 1000 étudiants dans 5 ans explique le professeur Michel Fichant, membre du conseil d’administration de la Sorbonne Abu Dhabi qui ajoute : monter une université entièrement francophone dans cette zone totalement anglophone était un pari risqué . » Il estime qu’il faudrait un bureau de recrutement pour attirer des candidats. D’autant que la New York University va inaugurer un campus à la rentrée prochaine délivrant elle aussi des cours de lettres et sciences humaines.
Actuellement l’effectif Sorbonne Abu Dhabi est de 400 étudiants, dont 120 en « année zéro », c’est-à-dire en initiation au Français. En revanche il faut souligner un point fort négocié par Pitte, et lié à l’ouverture régnant dans les Emirats : la mixité et la laïcité, impliquant même qu’il n’y ait pas de salle de prière sur le campus.
Enquête de Patrick Fauconnier