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"Le Vatican pourra viser des diplômes universitaires", par Maryline Baumard et Christian Bonrepaux, "Le Monde", 12 mai 2009
lundi 11 mai 2009, par
Le monopole de l’université publique sur la délivrance des titres universitaires est en train de craquer, et la guerre scolaire pourrait se ranimer.
C’est la conséquence directe du décret paru au Journal officiel du 19 avril 2009, qui rend applicable l’accord signé le 18 décembre 2008 entre Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères, et le Vatican : par cet accord, la France s’engage à reconnaître les diplômes délivrés par "les universités catholiques, les facultés ecclésiastiques et les établissements d’enseignement supérieurs dûment habilités par le Saint-Siège". Depuis, le camp laïque fourbit ses armes. Un Collectif pour la promotion de la laïcité, récemment créé, vient de lancer une pétition et prépare un recours devant le Conseil d’Etat.
L’accord entre la France et le Saint-Siège a deux facettes. Côté pile, il s’inscrit dans le processus de Bologne, qui vise à construire un espace européen de l’enseignement supérieur avant 2010. Dans ce cadre, les 46 pays signataires reconnaissent les diplômes délivrés par leurs voisins, ce qui permet aux étudiants de commencer un cursus dans un pays et de le continuer ailleurs. Cette vitrine permet au ministère de l’enseignement supérieur d’assurer que "tout cela n’est que du très classique puisque nous sommes dans le cadre du processus de Bologne de reconnaissance des diplômes".
Mais, côté face, les implications de l’accord dépassent la construction de l’Europe des savoirs. Car le Vatican va pouvoir viser des diplômes des instituts catholiques, alors qu’en France l’Etat, par l’intermédiaire de l’université publique, a le monopole de la délivrance des diplômes.
Cinq instituts supérieurs d’enseignement catholiques, les "cathos", créés par l’Eglise à la fin du XIXe siècle à Paris, Angers, Lille, Lyon et Toulouse, proposent des formations en lettres, en économie, ou en mathématiques aux côtés de leurs diplômes de théologie. Au total, 65 000 étudiants y sont inscrits dont la majorité suit un cursus profane, et payant.
Les "cathos" n’ont pas le droit de délivrer des diplômes universitaires. Elles passent des conventions avec l’université publique voisine, qui valide les formations et délivre le diplôme en son nom. S’il n’y a pas eu de convention, elles demandent au recteur d’académie d’organiser un jury d’Etat chargé d’évaluer leurs candidats.
Le nouveau texte induit que si ces mêmes diplômes, demain, sont visés par le Saint-Siège, ils seront automatiquement reconnus par l’Etat, sans le passage par le label de l’université publique. Ce qui revient à entamer le monopole d’Etat de la délivrance des diplômes universitaires.
Les ministères de l’enseignement supérieur et des affaires étrangères ont publié, le 6 janvier, un communiqué commun précisant que "sont visés par cet accord les diplômes canoniques". Restriction que réfute d’emblée Mgr Maurizio Bravi, conseiller de la nonciature à Paris : "Comme une simple lecture de l’accord permet de le constater, il n’est pas indiqué que seuls les diplômes canoniques soient concernés... Cela peut se comprendre, puisque les négociations se sont déroulées dans le cadre du processus de Bologne et que l’accord en question n’a pas vocation à se substituer aux pratiques en vigueur, mais correspond à une volonté de l’exécutif français exprimée le 20 décembre 2007 à Rome."
La volonté de l’exécutif n’est pas clairement exprimée, mais, pour les spécialistes interrogés par Le Monde, l’accord s’inscrit dans la droite ligne du discours de Latran du 20 décembre 2007, où Nicolas Sarkozy avait regretté que la République "répugne à reconnaître la valeur des diplômes délivrés dans les établissements d’enseignement supérieur catholique alors que la convention de Bologne le prévoit". L’Elysée ajoute aujourd’hui que "la France reconnaît déjà les diplômes de toutes matières délivrés par les universités pontificales reconnues ailleurs en Europe par les vertus du processus de Bologne".
La discussion a manifestement commencé sur la base des diplômes canoniques, avant d’être élargie aux autres, à la demande de la France, et non du Vatican. L’affaire est très embarrassante pour les cinq instituts eux-mêmes qui jouissent depuis la fin des années 1950 d’une autonomie pour décider du contenu de leurs formations. Le Vatican exerce surtout son droit de contrôle sur les formations ecclésiastiques, afin de s’assurer qu’elles sont en conformité avec la doctrine de l’Eglise. Avec l’extension de son droit de regard aux diplômes profanes, il pourrait être tenté d’élargir son contrôle.
L’accord débouchera-t-il sur une reprise en main d’une partie de l’enseignement catholique ? L’avenir le dira lorsque le Vatican aura établi la liste des formations qu’il souhaite viser. "D’un commun accord, les parties sont convenues de se donner du temps et de procéder prudemment et progressivement... Le bureau du Saint-Siège compétent en la matière commence à peine à être constitué et travaillera au cours de la prochaine année universitaire", précise Mgr Bravi.
Le président de l’Union des établissements d’enseignement supérieur catholique (UDESCA) et recteur de l’université catholique de Lyon, Michel Quesnel, se refuse à répondre. Fin décembre, au moment de l’accord, il avait marqué sa surprise d’y voir possiblement inclus les diplômes profanes. Le camp laïque est en colère, les instituts catholiques inquiets.