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"Le fichier « Base élèves » : la France doit s’en expliquer devant les Nations unies", par Louise Fessard, Mediapart, 26 mai 2009
mardi 26 mai 2009, par
Face au fichier « Base élèves premier degré », qui conserve les informations recueillies lors de l’inscription de chaque enfant à l’école maternelle ou primaire, quelques parents et enseignants continuent à résister. Avec un succès étonnant vu leur petit nombre. Réunis au sein d’un collectif national de résistance à Base élèves (CNRBE), ils ont réussi à se faire entendre des Nations unies.
Ce mardi 26 mai, le gouvernement français doit s’expliquer publiquement devant le comité des droits de l’enfant, un organe de l’ ONU, à Genève, sur l’objectif et les garanties de ce fichier Base élèves, destiné à la gestion et au suivi du parcours scolaire des enfants.
La France a déjà été sommée en avril de répondre par écrit aux questions du comité. Pêle-mêle, celui-ci se demandait à quoi servait ce « stockage au niveau national de données nominatives », pourquoi le droit d’opposition ne pouvait pas s’exercer et quelles conséquences entraînerait « le refus des parents de fournir les informations requises sur leurs enfants ». Enfin il lui demandait de « préciser les différentes banques de données dans lesquelles les informations personnelles sur les enfants sont collectées, stockées et/ou conservées ». Les deux dernières questions demeurent sans réponse (lire le document français pages 11 et 12).
Expérimenté depuis fin 2004, ce fichier recense déjà 80% des élèves et doit être généralisé à la rentrée 2009. Devant la polémique, Xavier Darcos l’avait expurgé en juin 2008 des données les plus controversées telles que la nationalité des élèves, l’année de leur arrivée en France, la langue parlée à la maison, leur absentéisme, leur suivi médical ou psychologique, leur handicap éventuel, etc.
L’arrêté du 20 octobre 2008 « portant création de Base élèves » ne mentionne donc plus que les informations concernant l’élève, ses parents ou son responsable légal, ses besoins éducatifs particuliers (sans plus de détail), sa scolarité (classe, niveau, apprentissage d’une langue vivante) et ses activités péri-scolaires (transport, garderie, cantine, études surveillées).
Des dizaines de plaintes
Les données sont consultables en partie par la mairie, en totalité par l’inspection académique. Elles remontent aux rectorats et au niveau national de façon anonymisée. Les parents ou responsables légaux des élèves y ont désormais accès et peuvent demander des rectifications. En revanche, du fait de l’obligation de scolarité, argue le ministère de l’éducation nationale, ils ne peuvent pas s’opposer à la collecte d’informations, celles-ci ayant un caractère obligatoire.
Ces garanties n’ont pas rassuré parents et enseignants mobilisés. Depuis avril 2009, des dizaines de parents ont déposé plainte contre X, avec le soutien du syndicat de la magistrature et du syndicat des avocats, à Millau (Aveyron), à Grenoble (Isère), à Marseille (Bouches-du-Rhône) et à Montauban (Tarn-et-Garonne), ou s’apprêtent à le faire à Béziers (Hérault), Montpellier (Hérault) et Foix (Ariège).
Même si le fichier Base élèves a été déclaré à la Cnil, Philippe Chaudon estime qu’il « contrevient à la loi Informatiques et libertés de 1978 notamment du fait que les parents n’avaient jusqu’à l’arrêté du 20 octobre 2008 pas connaissance de la collecte des données de leur enfant et pas de droit de rectification de celles-ci. Ils remplissaient les fiches qu’on leur donnait à la rentrée sans savoir qu’elles étaient ensuite traitées informatiquement ».
« Dans trois des villes concernées, à Marseille, Millau et Grenoble, des enquêtes préliminaires ont été ouvertes et des parents ont été entendus à Millau », se réjouit Jean-Jacques Gandini, avocat au barreau de Montpellier et membre du Syndicat des avocats de France. « Cela veut dire que les procureurs de la République concernés considèrent la plainte comme suffisamment sérieuse pour être examinée. »
Destinataire final de la plainte ? « Certainement pas les directeurs d’école, précise Philippe Chaudon, un des avocats du collectif et membre du Syndicat des avocats de France. Si on fait vite, X ce serait Xavier. » De leur côté, quelque 200 directrices et directeurs d’école refusent ouvertement de renseigner le fichier. L’un d’eux, Jean-Yves Le Gall, a été démis en février de son titre de directeur de l’école primaire de Notre-Dame-de-Vaulx en Isère par son inspection académique.
Les détracteurs soulignent les risques de connexion avec d’autres fichiers et la constitution d’une sorte de « casier judiciaire » que traînera l’élève durant tout son parcours.
Un identifiant élève conservé 35 ans
« Base élèves a été édulcoré mais on a vu apparaître un autre fichier, la base nationale des identifiants élèves (BNIE), qui conserve les données pendant 35 ans et est évolutif, explique Joseph Ulla, directeur de l’école du Rougier à Montlaur (Aveyron), qui refuse depuis 2006 de renseigner Base élèves. Dès qu’on rentre les données d’un enfant dans Base élèves, l’ordinateur se connecte à ce fichier et attribue un identifiant national (INE) à l’enfant qui le suivra durant toute sa scolarité, de la maternelle à l’université. Nous n’avons pas à jouer les auxiliaires de police : il faut laisser à l’élève sa marge d’erreur, son temps d’enfance. » Tout le système éducatif, soit quelque 13 millions d’enfants et d’adolescents, est concerné par la base nationale des identifiants élèves.
Curieusement un tel identifiant concerne déjà depuis 1995 les élèves de collège et de lycée, tous inscrits dans le logiciel « scolarité » devenu « Sconet » en 2006, sans provoquer plus de réactions dans l’opinion publique. « Cet identifiant existait déjà dans le secondaire mais il était attribué rectorat par rectorat, explique Stéphanie Pouget, une des parents d’élève membres du CNRBE. A l’occasion de la création de Base élèves, le ministère de l’éducation nationale a décidé d’attribuer un INE dès l’âge de 3 ans et de centraliser les données via la BNIE. » Elle a porté plainte contre X avec une dizaine de parents grenoblois car elle n’accepte pas que les données de ses trois enfants (aujourd’hui un en primaire et deux au collège) aient été « entrées sans qu’on le sache » et « dans un fichier qui à l’époque n’était pas légal et n’existait même pas dans les textes ».
Sur le fond, parents et enseignants regrettent surtout que la décision de stocker les informations de près de 6,5 millions d’élèves dans Base élèves n’ait fait l’objet d’aucun débat public. « Ça s’est fait comme ça, région par région d’abord sur la base du volontariat, témoigne Stéphanie Pouget. Base élèves est parfois arrivé dans les écoles avec l’outil informatique, sans aucune réflexion sur les conséquences de l’informatisation. »
« Ce fichage aurait dû se faire dans le cadre d’une loi pour éviter les dérives, estime Jean-Jacques Gandini. Avec un arrêté pris de façon administrative, nous sommes à la merci des gens qui s’en occupent. Nous connaissons l’histoire du STIC (Système de traitement des infractions constatées) avec plus d’un million de personnes fichées à tort. »