Accueil > Revue de presse > Financement des écoles privées : la proposition de loi Carle se veut un (...)
Financement des écoles privées : la proposition de loi Carle se veut un compromis - Louise Fessard, Médiapart, 28 septembre 2009
mardi 29 septembre 2009, par
L’Assemblée nationale a entériné définitivement lundi 28 septembre la proposition de loi sur le « forfait communal » du sénateur UMP de Haute-Savoie, Jean-Claude Carle, déjà adoptée en première lecture au Sénat en décembre 2008. Le texte entend mettre fin à plusieurs mois de « guerre scolaire » opposant écoles privés et maires sur la question des enfants scolarisés dans une école privée hors de leur lieu de résidence. L’enjeu est important : selon la Fnogec, qui regroupe les organismes gestionnaires d’établissement catholique, dans le premier degré, entre 40 à 50% des élèves du privé fréquentent une école implantée dans une autre commune que la leur.
Hors de question pour certaines municipalités, de payer, comme l’exige l’article 89 de la loi du 13 août 2004 sur la décentralisation, plus connu sous le nom d’amendement Charasse, la facture pour ces enfants, alors que l’école publique communale avait la place de les accueillir. Du coup, malgré deux décrets d’application, la loi de 2004, « inapplicable » de l’aveu même de Jean-Claude Carle, est restée lettre morte.
Ce qui n’a pas empêché certaines écoles catholiques d’attaquer des maires devant les tribunaux administratifs pour refus de paiement. Quatre contentieux sont actuellement en cours, selon la Fnogec. « Il fallait sortir de cette insécurité juridique qui existe depuis la loi Debré de 1959 », dit Jean-Claude Carle. « Ce n’est pas une prime à l’exode du public vers le privé mais un texte qui respecte la liberté constitutionnelle du libre choix tout en limitant à des cas précis le financement de l’école privée. » Les communes n’auront désormais à contribuer financièrement que dans quatre cas : lorsque leurs écoles n’ont pas la capacité d’accueillir l’enfant ; lorsque celles-ci ne disposent pas de cantine ou de garderie, estimées nécessaires par rapport aux obligations professionnelles des parents ; lorsqu’un frère ou une sœur est déjà scolarisé dans la même commune, ou, enfin, pour des raisons médicales.
Ces critères sont les mêmes que ceux qui permettent à un maire d’accorder ou de s’opposer à l’inscription d’un enfant dans l’enseignement public en dehors du lieu de résidence, au détail près que, pour l’école publique, un accord préalable est nécessaire entre les deux communes, tandis que le maire sera ici mis devant le fait accompli.
« Une brèche vers le chèque éducation »
Des critères trop imprécis pour certains députés, qui, à droite comme à gauche, redoutent un exode scolaire dans les petites communes rurales. « La moindre des choses était que le maire puisse donner son avis », a regretté lundi devant l’Assemblée nationale, le député UMP des Yvelynes, Pierre Cardo. Il souligne qu’« à partir du moment où l’aîné d’une fratrie sera scolarisé dans un collège ou un lycée d’une ville voisine, cela autorisera à scolariser les frères et sœurs dans le privé de la même ville ». Du côté socialiste, la députée de Haute-Garonne, Martine Martinel, estime qu’« on va voir s’aggraver une hémorragie scolaire déjà déclenchée par l’assouplissement de la carte scolaire ».
Eddy Khaldi, coauteur du livre Main basse sur l’école publique et d’une tribune sur le sujet, va plus loin et parle de l’ouverture d’« une brèche vers le financement individualisé ». « On individualise le rapport à l’école, explique cet enseignant. Nous ne sommes plus dans un contrat de financement entre la commune et l’école mais entre l’élève et l’école qui nous rapproche du chèque-éducation – un système qui permet aux parents de financer directement l’école de leur choix, NDLR – que souhaitaient les libéraux. »
Lasse des contentieux, l’association des maires ruraux de France se réjouit toutefois d’un texte qui met fin à un « brouillard juridique ». « Ça va pacifier les relations entre enseignement catholique et élus, même s’il ne réglera pas les litiges actuellement devant le juge puisqu’il n’est pas rétroactif, note son directeur, Eric Schietse. Les communes qui feront l’effort d’assurer une capacité d’accueil suffisante, de s’équiper d’une cantine et d’une périscolaire savent qu’elles n’auront pas à payer de forfait communal en dehors des cas dérogatoires listés par la loi. »
A la Fnogec, Jean-Marie Lelièvre, secrétaire général, se dit « satisfait » mais « pas pleinement car la proposition de loi est en recul par rapport à la loi Debré et nous allons perdre de 30 à 40% des financements auxquels nous pouvions prétendre ».
Litige sur le coût d’un élève
Nul ne connaît le coût de ce texte pour les communes. Comme c’est déjà le cas pour les écoles privées implantées sur leur sol, elles devront attribuer aux écoles privés extérieures un forfait par enfant équivalant au coût de fonctionnement d’un élève du public. C’est là que le bât blesse car communes et enseignement catholique n’ont pas la même interprétation du terme « dépenses de fonctionnement ». 21 contentieux opposent actuellement les organismes de gestion des établissements catholiques (OGEC) aux communes.
A Lille par exemple, la ville verse 494,50 euros par élève, le montant que coûte, selon elle, un élève dans une école publique. L’enseignement catholique a réclamé le double devant le tribunal administratif, estimant qu’un élève coûte au minimum 800 euros. Sur les neuf années du litige (1997 à 2006), l’enjeu s’élève à 12 millions d’euros. Toujours dans le Nord-Pas-de-Calais, une commune de 5.400 habitants, Ferrière-la-Grande, pourrait se voir condamnée à payer près de 250.000 euros d’indemnités à l’école privée Notre-Dame. « Quand une commune vous calcule 260 euros de forfait par enfant alors que l’expert nommé l’estime à 960 euros, ce n’est même plus une mauvaise interprétation de la part des maires, c’est de la mauvaise foi ! », s’exclame Jean-Marie Lelièvre. Un débat que la proposition de loi Carle ne clarifie pas.