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Supérieur et recherche : la gauche relève le défi - Point de vue de Laurent Audouin, Olivier Gebuhrer et Bertrand Monthubert, Le Monde, 2 octobre 2009
dimanche 4 octobre 2009, par
Pour lire cet article sur le site du Monde.
Depuis plusieurs années, de nombreux universitaires, étudiants, chercheurs, ont souhaité travailler collectivement à la définition de réformes progressistes pour leurs secteurs. Un travail majeur a ainsi été effectué lors des Etats généraux de la recherche, en 2004, dont la plus grande partie reste d’actualité.
Dévoyant nombre de conclusions de ceux-ci, le gouvernement a délibérément imposé des bouleversements dans les finalités, les structures et les modes de financement de notre système. Cette politique a été très largement rejetée, comme l’a montré le mouvement massif du début de cette année.
Le Parti communiste, le Parti socialiste et les Verts ont fait le choix, il y a plusieurs mois, de travailler ensemble à la formulation concrète d’une politique ambitieuse dans ces domaines, pour donner un débouché politique à ceux qui souhaitent offrir à nos universités et laboratoires l’avenir dont le gouvernement actuel sape les fondations. Nous avons choisi le dialogue exigeant en partant de ceux qui connaissent le mieux les universités et les laboratoires : étudiants, personnels, directeurs de laboratoire, d’IUT ou d’école, présidents d’université, syndicats et associations, dans leur diversité. Nous rendons leurs auditions publiques sur Internet. Nous avons retrouvé dans ces contributions des analyses et valeurs communes permettant de définir les axes d’une politique de gauche : ce texte a pour but de lancer un débat public autour de ces réflexions.
Il n’y a pas matière à consensus entre les principes et les objectifs que nous entendons décliner en commun et ceux qui sont mis en oeuvre aujourd’hui ; cela n’empêche aucunement d’autres forces politiques de s’y reconnaître, mais nous n’effectuerons pas nos choix en fonction de cette éventualité.
En premier lieu, nous avons été frappés par la convergence des critiques faites par les intervenants : logique gouvernementale à la fois "managériale" et autoritaire, stagnation effective des moyens et de l’emploi, abandon de la collégialité des décisions, mise en concurrence systématique au détriment des coopérations, développement de la précarité, contrôle politique croissant de décisions qui devraient relever des instances scientifiques compétentes. Tous nos interlocuteurs insistent sur la question de l’indépendance intellectuelle des chercheurs et enseignants-chercheurs et d’un statut qui la garantisse. La recherche et l’enseignement supérieur forment un service public auquel l’Etat doit assurer des moyens financiers à hauteur de ceux de grands pays développés.
La question de la balkanisation des formations supérieures (universités, écoles, classes préparatoires, BTS, etc.) est un thème majeur de préoccupation. Construire un système d’enseignement supérieur donnant de véritables chances de réussite à l’ensemble des étudiants, en s’appuyant sur le rapprochement des filières et sur des processus d’orientation améliorés : voilà un enjeu central, auquel la politique actuelle s’oppose.
La société doit reconnaître le droit aux études supérieures comme un atout collectif, pas comme un investissement à la charge des familles ou des individus concernés. Cela suppose de donner aux étudiants les moyens de leur réussite, alors que les inégalités sociales se creusent. Des pôles territoriaux rassemblant la plus grande partie des formations doivent être progressivement mis en place. C’est au sein de ces pôles que pourra se mettre en place une offre d’enseignement et un dispositif d’orientation rénovés, permettant à chaque étudiant de trouver le parcours conduisant à la réussite.
L’autonomie des établissements doit être un outil actif de coopération citoyenne (collectivités territoriales, acteurs de la vie culturelle, économique et sociale) et multidimensionnelle (universités, écoles, organismes). Cette autonomie s’exerce dans le cadre d’une politique nationale : grandes orientations débattues au Parlement avec le concours de procédures participatives, aménagement du territoire, diplômes nationaux, statuts des personnels, etc. Mais cette autonomie réelle n’est pas celle dont parle la droite, qui a organisé la mise en concurrence systématique des établissements, des laboratoires ou des individus, et qui renforce en pratique le contrôle politique aux niveaux scientifique comme pédagogique. De ce fait, même les invités les moins critiques à l’égard de la LRU considèrent qu’elle doit être réécrite en grande partie ou en totalité.
La recherche a été tout autant mise à mal par des années de politique destructrice : systématisation du financement sur projet de court terme au détriment des moyens assurant aux laboratoires une vision à terme de leur travail, volonté de démolition des organismes, du système d’évaluation et des instances représentatives, absence de perspectives pour les jeunes chercheurs (aux scandaleuses suppressions d’emplois de 2009 succède leur stagnation).
L’indépendance intellectuelle des métiers de la recherche est pour nous un principe intangible, dont le cadre statutaire est une des garanties. Le principe de l’évaluation pluraliste par des commissions composées d’une majorité de pairs élus, la participation déterminante de la communauté scientifique à la prospective, la collégialité des décisions doivent être restaurés dans leur plénitude.
Le financement des laboratoires par leurs tutelles pourrait s’accompagner de programmes pluridisciplinaires négociés entre les établissements. En particulier, le défi climatique et écologique, la coopération scientifique avec les pays du Sud doivent être de puissants vecteurs de mobilisation des programmes d’enseignement et de recherche.
Nos échanges ont aussi porté sur les liens avec le tissu industriel, qui doivent concilier indépendance et politiques d’incitations efficaces. Au-delà du seul "crédit impôt recherche" qui absorbe des sommes faramineuses en dehors de toute évaluation politique ou scientifique, c’est tout le dispositif d’aide à l’innovation industrielle qui doit être revu : qu’il s’agisse d’énergie, d’environnement, de santé ou encore de technologies de pointe, l’action des pouvoirs publics doit être ciblée sur des objectifs conformes aux besoins du pays et des citoyens, débattus dans l’ensemble du champ social.
Accomplir ces objectifs suppose de remplacer les lois contestées sur la recherche et les universités (de 2006 et 2007) par une nouvelle loi d’orientation et de programmation budgétaire ambitieuse, comprenant un plan pluriannuel de recrutement de scientifiques, permettant d’améliorer l’encadrement pédagogique, l’accueil à l’université, la définition de parcours de réussite, le financement des laboratoires.
La dépense par étudiant à l’université doit être enfin comparable à celle des autres filières. La mise en place d’une allocation d’autonomie est une nécessité urgente en ces temps de crise.
C’est autour de ces principes que nous ouvrons aujourd’hui le débat publiquement : nous invitons tous ceux qui le souhaitent à participer à cette procédure d’élaboration collective. Nous affinerons notre projet politique à partir des propositions concrètes qui auront été faites dans ce cadre. L’enseignement supérieur et la recherche sont des piliers de notre avenir commun : c’est ensemble que nous les fortifierons.
Laurent Audouin, responsable de la commission recherche et enseignement supérieur des Verts ;
Olivier Gebuhrer, membre du conseil national du PCF, responsable enseignement supérieur et recherche ;
Bertrand Monthubert, secrétaire national du PS à l’enseignement supérieur et la recherche.