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Malaise à l’université : "Au pire je ne suis pas payé" - Le Monde.fr, 6 octobre 2009
mardi 6 octobre 2009, par
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"J’accumule post-doc sur post-doc afin de vivre", par N. P.
Doctorat scientifique en biologie moléculaire dans une université américaine de l’Ohio, je ne trouve strictement rien de durable et j’accumule post-doc sur post-doc afin de vivre. En ce moment à l’hôpital Pompidou pour trois mois, je ne vois pas la fin de ma pathétique précarité. Qui est responsable ? Mariée et mère de deux enfants, je ne peux partir à l’étranger pour améliorer ma carrière.
Que puis je faire ? Rien, si ce n’est attendre. Je persiste dans un domaine qui est des plus intéressants, à savoir la recherche sur le cancer. Heureusement l’amour pour mon métier me permet de m’acrocher jusqu’à de meilleurs jours. Salaire ? 2000 € brut quand la bonne étoile me sourit, sinon, c’est moins, nettement moins.
"Au mieux je suis payé tous les six mois, au pire je ne suis pas payé", par Olivier
Depuis 8 ans, on me fait confiance, on me confie désormais moins de TD (travaux dirigés), plus de cours magistraux, mais mon statut ultra précaire ne changera jamais. D’un semestre sur l’autre, on peut tout me retirer de manière totalement arbitraire mais légale.
Au mieux je suis payé tous les 6 mois, au pire je ne suis pas payé, mais on sait que j’ai une conscience professionnelle et que j’assumerai tous mes cours, que je corrigerai les copies d’examens terminaux alors qu’administrativement je n’y suis pas autorisé et que je surveillerai les épreuves et ferai passer les oraux, tout cela bénévolement.
Je ne signe pas de contrat de travail, on m’oblige à avoir un travail à côté, quelqu’il soit, parfois je triche pour continuer à enseigner car j’aime cela et on me fait des attestations de complaisance. J’entame ma 9e année, des titulaires qui me pensaient statutaires m’appellent le "vacataire honoraire" ou "émérite" ! Dès qu’une occasion de stabilité se présente à l’extérieur je la saisirai, à contre-coeur car j’aime cela.
"Je m’éloigne donc progressivement de l’université", par Charles V.
"Jeune" enseignant-chercheur depuis 2003 dans une faculté de droit parisienne, je peux témoigner de cette galère à l’université. J’ai pour ma part eu finalement de la "chance", puisque j’ai toujours enseigné dans le cadre juridique d’un statut, certes précaire (contrat d’un an) et peu rémunéré (1 200 à 1 500 euros par mois). Si la situation des statutaires précaires est meilleure sur ce plan que celle des vacataires, elle ne l’est en revanche pas en ce qui concerne les conditions de travail, notamment la considération de nos pairs, spécialement difficile à vivre.
Pour ma part, j’ai la chance d’être avocat par ailleurs, et je m’éloigne donc progressivement de l’université pour m’investir dans mon activité libérale bien plus satisfaisante humainement et socialement. Mon éloignement est délibéré depuis les grèves de l’an passé et le mépris de notre ministre. Période à laquelle j’ai d’ailleurs ouvert mon propre cabinet.
Cela étant, je n’ai pas renoncé à obtenir un poste de maître de conférence ou de professeur, ce qui dépendra du succès de mes travaux universitaires. Mais tout de même quelle galère !
"La recherche, c’est la liberté", par Laurent-Victor S.
Je fais ce métier parce que j’aime enseigner et chercher. C’est un métier en soi. On travaille énormément, contrairement à l’image qui nous est réservée (entre cours et recherche, au mininum 50-60 heures par semaine, week-end souvent compris, une-deux semaines de vacances, les éditeurs n’attendant pas).
Soutier un temps, j’ai travaillé dans le privé. J’ai aimé, cela m’a permis de continuer à enseigner (car il faut travailler pour enseigner si on a plus de 28 ans). Mais, l’enseignement, ce sont les étudiants ; la recherche, c’est la liberté.
Alors m’entendre dire que je suis un glandu, un étudiant attardé, non. J’ai formé des étudiants, je les ai orientés. J’ai assumé ma fonction. La plupart m’en savent gré, pas tous, heureusement. Mais de grâce, respectez nous, nous nous sacrifions pour des misères en escomptant un avenir incertain. Nous le faisons en connaissance de cause, non pas par goût de la sécurité de la fonction publique, à laquelle nous n’accédons pas forcément, mais parce qu’on aime le public étudiant, parce qu’on aime la recherche, dont la vocation est bien d’être, un jour, appliquée, nous en avons conscience, je vous rassure.
"L’attribution des postes se fait en réseau, par cooptation", par Cobol 91
Docteur en science politique (bac +8), j’ai renoncé à l’enseignement et à la recherche à cause du caciquisme de l’université dont l’Etat s’accommode apparemment très bien. L’attribution des postes se fait en réseau, par cooptation.
Actuellement au RSA, je vis avec 500 euros. Mes contrats de vacation sont volontairement tronçonnés par le rectorat pour éviter de me payer des congés et des allocations chômage (selon le propre aveu de l’administration !). Parce que des postes à 1 500 euros, c’est encore le sort le plus enviable.
J’en connais plein qui émargent pour 400 euros par mois, parfois pour encore moins (voir travaillent au noir), à faire le larbin des professeurs (correction des copies, correction des articles et ouvrages des professeurs, cours que ces derniers ne veulent pas faire...). J’en connais même qui vont aller chercher leur colis alimentaire aux Restos du cœur, pendant que leurs enseignants vont se goberger dans les réceptions somptueuses (champagne et petits fours) payées sur le budget de la recherche (sans parler des voyages pour colloques bidons). Et Valérie Pécresse qui lâche encore de l’argent pour les universités pour alimenter ce système aberrant (et avoir la paix dans les campus) qui fabrique plus de chômage et de précarité ? Et cela sans aucune contrepartie ! C’est scandaleux.
"A bac + 10, je gagne 1 700 euros par mois", par Romain-Philippe
Docteur en droit et ATER dans une grande université parisienne, je regarde le monde universitaire avec beaucoup d’amertume. A bac + 10, je gagne 1 700 euros par mois avec la perspective d’être au chômage dans moins d’un an. La procédure de qualification par le CNU (pour pouvoir postuler en tant que maître de conférences) est tout sauf impartiale (nous ne sommes même pas auditionnés). La loi Pécresse a renforcé le localisme et le clientélisme (les comités de sélection pour les recrutements n’ont plus qu’un avis facultatif, c’est le président de l’université qui décide).
Un véritable malaise s’est installé chez les doctorants. Les dépressions sont monnaie courante. Les inscriptions en thèse ont chuté de moitié depuis 2007. Quand un étudiant vient nous demander des conseils d’orientation, comment l’inviter à passer les 5 ou 6 prochaines années de sa vie seul à rédiger une thèse que personne ne lira à part son jury (et encore...) avec des chances de réussite extrêmement faibles. Le taux d’abandon est de 90 % en thèse de droit.
Faut-il évoquer la situation des parents ou des proches qui vous demandent sans arrêt quand vous aurez un vrai métier ? Ou encore le regard souvent condescendant des professeurs qui ne vous trouvent jamais assez bon et ne perdent jamais l’occasion de vous faire surveiller leurs examens et corriger leurs copies. Difficile de garder la foi.
"Maintenant que tout va bien, l’université se souvient de moi", par Marie C.
Aujourd’hui, je peux me considérer comme sauvée, mais cela m’a pris 15 ans. Je fais partie de ces gens qui ont un cursus universitaire et rien d’autre, c’est-à-dire ni une grande école ni une agrégation pour aller avec. On m’a régulièrement mis en garde : votre thèse ne vous mènera pas à grand-chose, ce sera très difficile, voire impossible d’obtenir un poste.
J’ai donc été - officiellement - encouragée et financée avec de l’argent public pour faire des recherches ne menant - officiellement - nulle part.
N’ayant de facto quasiment aucune chance d’obtenir un poste de maître de conférences et n’ayant pas la force morale de dépenser une énergie toute aussi grande à mendier quelques heures incertaines d’enseignement ici ou là, j’ai passé un concours admnistratif de catégorie C d’une collectivité territoriale où j’ai progressivement fait carrière jusqu’à occuper un poste des plus valorisants dans un établissement culturel, obtenu in fine en faisant valoir mes compétences scientifiques. Ce qui me permet désormais de pouvoir enfin publier ou participer à des colloques en ayant un titre et un établissement de rattachement. Et comme par hasard, maintenant que tout va bien, l’université se souvient de moi. Je vois venir le moment où l’on me demandera de devenir professeur associé. Je crois que je refuserai.
" Au bout de 5 mois, je n’étais toujours pas payé", (anonyme)
Ancien élève de l’Ecole normale supérieure (Ulm), agrégé, en 3e année de thèse, aucune université n’a voulu m’employer cette année. J’étais auparavant moniteur à Lille, où il n’y avait plus de place pour moi, car les effectifs diminuent dans ma matière.
Je n’avais d’autre choix que d’aller enseigner en secondaire. J’ai demandé à enseigner en lycée, le rectorat m’a affecté dans un collège à Clichy-sous-Bois. Pour finir ma thèse, c’étaient des conditions idéales (j’ironise bien sûr). Finalement j’ai obtenu un poste dans le supérieur.
Aujourd’hui je suis payé 1 650 euros par mois pour enseigner 12 heures dans une université de province loin de chez moi. Le train me coûte 360 euros par mois, non remboursés. Et certains m’envient, qui n’ont pas trouvé l’équivalent.
Il y a 4 ans, j’ai travaillé à l’université de Versailles-Saint-Quentin comme vacataire. Au bout de 5 mois, je n’étais toujours pas payé. Je me suis rendu à l’administration. On m’a répondu : "Vous ne comptiez pas être payé ?" J’ai énergiquement protesté, et le président de l’UFR de l’époque m’avait hautainement répondu que c’était "habituel, donc normal". Certains mandarins ont oublié le sens des mots.
Le monde à l’envers, par Expatrié volontaire
Après des études fort onéreuses (pour moi et pour la société), une thèse (en 2004) en co-tutelle avec une université suisse, c’est désormais en Suisse que je poursuis mes recherches (après les USA et l’Allemagne).
Je n’ai certes pas le confort d’un poste de fonctionnaire, mais je gagne presque le triple de ce que je gagnerais au CRNS, avec des conditions de travail excellentes.
Revenir en France ? Dans l’état actuel de la situation, la question ne se pose même pas. C’est maintenant mon ex-directeur de thèse, professeur, qui me demande des coups de pouces financiers pour une inscription en congrès ou une page couleur dans un article. Le monde à l’envers...
"J’ai dû faire donc cadeau de plusieurs dizaines d’heures de cours à mon université", par Céline R.
Je suis enfin soulagée de voir la situation des chercheurs précaires de l’université exposée au grand jour. Il y a deux mondes à l’université : les titulaires et les précaires.
Comme la jeune femme dans votre article, j’ai fait une thèse et enseigné en parallèle, principalement les cours et les heures dont les titulaires ne veulent pas. Pour votre information, le statut d’ATER ne permet pas le paiement d’heures sup mais cela n’empêche pas de les faire : j’ai dû faire donc cadeau de plusieurs dizaines d’heures de cours à mon université pour des raisons de statuts.
L’université française fonctionne grâce au travail au black des doctorants tant sur le plan de la recherche que de l’enseignement.
Pendant 5 ans, on a jugé mon travail satisfaisant pour me renouveler. Mais une fois le doctorat passé et la qualification obtenue, malgré mes dizaines d’articles, on juge mon activité d’enseignante insuffisante. J’ai multiplié les articles et les conférences en comparaison de certains titulaires planqués dans leurs bureaux mais la plupart du temps chez eux. C’est pourquoi, lors de la mobilisation des enseignants-chercheurs, j’étais divisée car ce n’était pas pour des personnes comme moi que l’on se mobilisait mais pour les titulaires et le maintien de leur petit confort. Aujourd’hui, je fais autre chose.
La fuite à l’étranger, par Stéphane A.
Normalien, j’ai enseigné comme chargé de cours (très mal payé et payé 6 mois après les cours) puis moniteur (1 000 euros par mois il y a dix ans) puis ATER (1 500 euros) en littérature française pendant 8 ans dans 3 universités françaises, publié une bonne quinzaine d’articles, participé a autant de colloques et publié une thèse. Je savais que les débouchés étaient maigres mais j’ai cru en ma bonne étoile. Las ! Le système de recrutement est opaque et totalement verrouillé par les professeurs qui casent leurs favoris.
Les auditions de recrutement sont une mascarade, humiliante de surcroît. Les jeunes docteurs naïfs parcourent toute la France à leurs frais pour passer en dix jours une audition à Metz, une à Nice, une à Pau, une à Paris, finissent désargentés et sur les rotules pour apprendre qu’on a recruté partout le candidat local. Après 3 ans, j’ai compris que faute d’un réseau suffisant et d’un directeur de thèse influent je n’aurai jamais de poste en France. Tant pis pour la France, je suis parti à l’étranger, j’y ai des conditions de travail bien meilleures dans une universite privée. Quant à enseigner dans le secondaire, je l’ai fait (140 élèves à gérer par an) mais alors plus aucun temps pour la recherche, sauf pendant les vacances.
"Je pense souvent à mon temps de précaire", par Rémi G.
J’occupe un poste de post-doctorant dans une grande université américaine. C’est le poste précaire par excellence. Mon contrat est renouvelé tous les ans, et malgré mes excellents rapports avec mon chef, je ne peux jamais savoir de quoi demain sera fait ; c’est un peu angoissant.
Pour l’instant je m’efforce d’accumuler les publications qui me permettront peut-être dans le futur de décrocher un poste permanent, et dans le présent de garder les financements qui paient mon salaire. Je ne fais pas d’enseignement, car on attend de moi que je donne le maximum en recherche. En échange j’apprends beaucoup, j’assite à des congrès, et on me présente aux plus grands spécialistes de ma discipline. Il faut dire que c’est dans l’intérêt de mon employeur que je décroche un bon poste par la suite.
J’ai un salaire correct, sans plus, et une bonne couverture maladie. Je travaille beaucoup, mais je me permets aussi pas mal de loisirs. En somme, je n’ai pas à me plaindre.
Voilà le témoignage que j’aurais pu donner il y a trois ans. A présent j’ai un poste permanent dans une grande université française. Mon salaire a très nettement baissé (il parait que les nouveaux recrutés vont gagner plus, tant mieux pour eux), je passe les journées à enseigner, les soirées et les week-ends à préparer mes cours et à corriger des copies. Logiquement, ma recherche en pâtit, et pour les promotions je me ferai certainement doubler par des chercheurs à plein temps. Je pense souvent à mon temps de précaire.
"En attendant je "vivote", par Philippe R.
J’ai enseigné en CDD pendant 9 ans à l’université de Picardie-Jules Verne. Depuis deux ans un contentieux administratif m’oppose à cet établissement : je demande la transformation de mon poste en CDI, en m’appuyant sur l’article 13 de la loi du 26 juillet 2005.
En attendant je "vivote", en essayant de demeurer actif dans le champ de la recherche. Mon quatrième ouvrage sort dans quelques semaines, et je ne sais plus très bien quelle est ma réalité professionnelle : est-on encore un universitaire après tant d’années passées à attendre, à écrire, à intervenir dans le champ scientifique, mais en ne possédant aucun statut ? Pour nombre de camarades (je n’ose, précisément, dire collègues), nos huit années d’études ne nous ont pas conduits à grand-chose d’autre qu’à une sorte de bénévolat de la pensée.
Pour lire une analyse des causes de la précarité et une réaction à l’article de C. Rollot sur les "soutiers de l’université", on peut consulter le blog de L. Bouvet