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Ecole-entreprise, de nouveaux amis ? (1/3) - Le bastion de l’éducation nationale a baissé la garde - par Louise Fessard, Mediapart, 30 novembre 2009
lundi 30 novembre 2009, par
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Visites d’entreprises par les élèves, venues de salariés dans les classes pour parler de leur métier, stages d’enseignants en entreprise, créations de mini-entreprises par les élèves, parrainages de collégiens par de grands groupes et même mécénat pour financer les projets pédagogiques de lycées... De l’aveu de tous, enseignants comme entrepreneurs, l’éducation nationale « s’ouvre » à l’entreprise. Que ce soit sous forme d’échanges humains, ou – encore plus rarement – de financements privés.
Dernier exemple en date : l’internat d’excellence de Sourdun (Seine-et-Marne), destiné aux élèves « méritants » issus de milieux modestes et inauguré à grands coups de trompette à la rentrée 2009, sera associé à une fondation de l’académie de Créteil, abondée par des entreprises privées, comme Coca-Cola et Veolia. Et ce, pour financer des projets pédagogiques et multiplier les rencontres entre élèves et professionnels. Signe des temps, à part quelques communiqués des syndicats, la nouvelle n’a pas provoqué de bronca manifeste du côté du monde enseignant.
« Pendant longtemps l’éducation nationale a dit “on fait tout tout seuls” mais on s’aperçoit qu’on a besoin des autres, de partenaires culturels ou privés venant nourrir les gamins », résume Jean-François Bourdon, proviseur de l’internat. « Depuis 2003, les relations école-entreprise progressent de façon phénoménale », témoigne Alain Harrari, responsable des affaires publiques et de la diversité au sein de Coca-Cola. « Même s’il reste des différences d’une académie à l’autre », précise le responsable, qui cite Créteil et Aix-Marseille parmi les bons élèves.
Le 15 novembre 2007, au sortir de la signature d’un partenariat avec l’association « 100.000 entrepreneurs », qui organise des témoignages d’entrepreneurs dans les établissements scolaires, Xavier Darcos, ministre de l’éducation, reconnaissait lui-même, au micro de BFM Radio, que « voir la présidente du Medef ou le responsable d’un grande fédération venir devant les recteurs leur expliquer comment on peut travailler ensemble (...) ce sont des choses qui n’étaient pas imaginables il y a encore quelques années ».
La crise « déclencheur de prise de conscience »
La création, en 2005 sous Gilles de Robien, d’une option découverte professionnelle de trois heures en classe de troisième, dite DP3, a joué un rôle considérable. « Aujourd’hui 10% des élèves de troisième suivent cette option, dit Philippe Hayat, chef d’entreprise et professeur à Sciences-Po et à l’Essec. Donc les enseignants sont très demandeurs d’interventions extérieures. » En 2006, cet homme de 44 ans a fondé l’association « 100.000 entrepreneurs ».
L’an dernier, 1.000 interventions ont eu lieu en Île-de-France, en Rhône-Alpes et en Normandie. D’ici une dizaine d’années, Philippe Hayat espère bien « toucher les 6 millions de 13-25 ans scolarisés et toutes les régions de France ». Rien que ça.
Car pour lui, la crise a été un « déclencheur de prise de conscience » dans le monde de l’éducation. « Face au chômage persistant des jeunes, les enseignants se disent qu’il faut connaître les débouchés et établir des passerelles », estime-t-il. « Si les filières technologiques et professionnelles en sont les plus friandes, les filières générales restent encore assez timides. » Rien de tel, en somme, qu’une bonne crise pour remettre les enseignants dans le droit chemin, celui de la formation d’une main-d’œuvre adaptée au marché du travail...
Principal de collège à la retraite et investi dans un programme de parrainage d’élèves « méritants » par de grandes entreprises, l’institut Télémaque, Roger Peltier confirme que le bastion impénétrable a baissé la garde. « Ça change parce que les nouvelles générations d’enseignants n’ont pas été bercées par le récit des conquêtes de la Libération, dit-il. Elles n’ont pas la même culture syndicale qu’autrefois et les enseignants sont plus ouverts à ce qui vient de la société civile. » L’austérité budgétaire n’y est sans doute pas pour rien. « Vu la déliquescence de l’Etat, l’éducation nationale, telle qu’on l’a connue, a vécu », lance Roger Peltier. « On ne s’en sortira pas si on ne s’appuie pas sur la société civile. »
Le parrainage d’élèves
L’institut Télémaque, fondé en 2005 par le groupe PPR, est présidé aujourd’hui par Henri Lachmann, ancien PDG de Schneider Electric. Ses financements sont cette fois centrés sur l’élève et non plus sur des projets collectifs. Via cette association, quatorze grands groupes parrainent des collégiens, socialement défavorisés et « méritants », à hauteur de 3.000 euros par jeune et par an. Les deux cents élèves ainsi « sponsorisés » sont suivis tout au long de leur scolarité par un enseignant et un parrain, salarié d’une des entreprises partenaires.
Certaines grandes entreprises se sont précipitées sur le filon : Total, PPR, Axa, La Poste, Schneider Electric, UBS... « Les entreprises impliquées sont toujours un peu les mêmes, ce sont souvent celles qui ont signé en 2006 la charte d’engagement des entreprises au service de l’égalité des chances dans l’éducation », dit Gaëlle Simon, déléguée générale de l’institut Télémaque. La principale contribution financière du privé à l’école reste bien sûr la taxe d’apprentissage que les entreprises peuvent choisir de verser directement à un établissement professionnel et technologique de leur choix. Mais elle concerne seulement les lycées professionnels et les CFA, pas les collèges.
Alors depuis 2005, d’autres modèles se sont développés. Sciences-Po a ainsi lancé une expérimentation dans des lycées de Seine-Saint-Denis (quatre au départ, aujourd’hui une dizaine dans six académies) en s’appuyant sur une fondation, alimentée par une quinzaine de grands groupes, pour financer des projets extraordinaires, comme un voyage en Chine. Ce modèle a inspiré la création de la fondation de l’académie de Créteil, lancée en 2009 par le recteur Jean-Michel Blanquer, pour soutenir le nouvel internat d’excellence de Sourdun.
Pourquoi les entreprises consacrent-elles du temps et de l’argent à une meilleure égalité des chances au sein du système d’enseignement ? Est-ce uniquement une question d’image ? Et que signifie le concept d’élève « méritant », souvent cible de ces programmes ? A partir de demain, deux reportages pour comprendre.
Demain, notre deuxième volet :
Des collégiens « méritants » parrainés par de grandes entreprises