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Luc Chatel, encore un effort pour être vraiment le fossoyeur de l’Éducation Nationale ! - par Christophe Pébarthe, blog sur Mediapart, 6 décembre 2009
lundi 7 décembre 2009, par
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La destruction de l’Éducation Nationale est un travail de longue haleine. Difficile, les Français lui sont attachés et ont plus ou moins conscience qu’elle accueille l’excellence en son sein ; harassante, les lycéens et les enseignants (parfois aussi les parents d’élève) n’hésitent jamais à exprimer leur mécontentement et à manifester ; exaltante, à coup sûr, quand on pense à l’énergie déployée par les ministres, pensons aux deux derniers, pour masquer leur entreprise.
Pour comprendre cette tentative qui consiste à désorganiser ce qui, bon an mal an, fonctionne bien, en particulier si on prend en considération les moyens alloués, la tentation est bien entendu grande d’en rester à l’économie, à la suppression de postes sur fond de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Après tout, l’heure est au gain de productivité comme le précise sans fausse pudeur le projet de loi de finances 2010. En un tour de passe-passe (la réforme de la formation des enseignants), l’allongement du temps d’enseignement pour les professeurs stagiaires, plusieurs milliers de postes disparaissent. Mais si l’on veut bien s’inscrire dans un temps plus long, toutes ces réformes témoignent d’un attachement à une entreprise beaucoup plus ambitieuse.
Laissons de côté l’affaire bien connue du "rôle positif de la colonisation française" (article 4 de la loi du 23 février 2005). Trop explicite, cette injonction faite aux enseignants a simplement eu pour effet de révéler à tous ceux qui voulaient bien la voir la volonté des gouvernants d’instrumentaliser l’enseignement. Il a donc fallu en revenir au travail discret, aux commissions et autres enquêtes visant à démontrer l’inadaptation de l’Éducation Nationale.
Habituée de la scène médiatique, et depuis longtemps, l’enseignement des sciences économiques et sociales a été particulièrement choyé. Les travaux de la commission Pochard ont du reste donné lieu à des déclarations méritant l’immortalité. Michel Rocard, membre de la dite commission, déclare ainsi (sic) : "Puisque apparemment cet enseignement est assez largement fait pour dégoûter les élèves de la libre entreprise, du marché, de l’entreprise elle-même et de pas mal d’horreurs. Tout ça qui est assez stupide et qui est un des constituants du blocage dans sa forme d’aujourd’hui". Il pointe de même un peu plus loin "le manque d’une dimension de compréhension réaliste de l’économie pratique". Réalisme, pragmatisme, bref, les faux nez habituels de l’idéologie.
Son interlocuteur du moment, Bernard Thomas, délégué interministériel à l’orientation, n’est pas en reste. Il surenchérit : "Donc un élève qui entre en première S, un élève qui entre en première L, un élève qui fait d’autres formations comme les sciences et techniques industrielles, futur technicien, ingénieur, etc… Tous ceux-là, je le dis de façon provocante, sont privés de tout enseignement économique, social et donc d’entreprise… […] Après tout, heureux sont-ils d’en être privé…". Bref, il s’agit bien d’un contenu idéologique à diffuser et non du souci d’une plus large diffusion d’un enseignement de sciences économiques et sociales. Le résultat de ce matraquage est édifiant. Alors que moins d’un Français sur deux estiment avoir de bonnes connaissances économiques, un récent sondage BVA vient de les consacrer champions d’Europe en la matière, loin devant le Royaume-Uni bon dernier !
Mais, on n’est jamais trop prudent, autant réduire le temps d’enseignement. Luc Chatel n’y va pas avec le dos de la cuiller, -40% en seconde pour ne parler que de la filière générale. Et comme si cette drastique réduction ne suffisait pas, voilà qu’arrive en classe de seconde, de "l’économie appliquée et de la gestion", en lieu et place des sciences économiques et sociales, pour ceux qui choisiront cet enseignement. Le nouveau lycée s’inscrit donc dans un cadre idéologique qui ne doit pas être sous-estimé. L’entreprise, rien que l’entreprise, et jetons un voile pudique sur les inégalités.
Dès lors, tant les déclarations de Luc Chatel que le contenu de la réforme de l’enseignement de l’histoire-géographie devraient être lues à cette aune. Au-delà de l’économie de postes réalisée, c’est sans nul doute la dimension critique inhérente à ce type de cours qui est visée. À quoi bon réfléchir, s’il s’agit de chanter la Marseillaise tous les jours, agiter un petit drapeau à sa fenêtre le 14 juillet, se réjouir obligatoirement de la victoire de l’équipe de France de football et s’attrister à chaque défaite (à cette occasion, une observation critique sur la couleur de peau de certains membres de la dite équipe sera bien vue…), verser une larme à l’écoute de la lettre de Guy Môquet… Mais évitons les procès d’intention et restons-en aux déclarations de Luc Chatel.
À en croire le ministre (dimanche 6 décembre), "on ne supprime pas le programme d’histoire-géo en terminale scientifique, ce programme sera vu en première. En première, les lycéens de la filière S vont voir leur horaire d’histoire-géo passer de 2 h 30 à 4 heures". L’artifice est évidemment grossier. En ajoutant une heure et demi, Luc Chatel tente d’apparaître comme un partisan de cet enseignement. Las, l’arithmétique livre un résultat sans appel. Le lycéen "S" d’aujourd’hui, 51% des bacheliers inscrits au bac général, disposait de 2h30 d’histoire-géographie en première et de 2h en terminale. Voilà déjà une petite demi-heure économisée, soit une vingtaine d’heures sur une année (deux bons gros chapitres d’un programme), et de précieuses dizaines de postes pour la Révision Générale des Politiques Publiques. Décidément, Luc, la force est avec toi…
Mais au-delà de cette observation pragmatique – les enseignants n’auront pas un temps identique pour traiter un même programme –, le raisonnement pédagogique, si tant est qu’on puisse utiliser cet adjectif pour cette réforme, est proprement stupéfiant. En le résumant, on aboutit à une question révolutionnaire : pourquoi faire en deux ans ce qu’on peut faire en un an ? Voilà donc la solution, les fameux gains de productivité à réaliser ! Pris de vertige, le réformateur s’interroge. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pour en rester à la seule histoire-géographie, ne serait-il pas temps de dépoussiérer cet enseignement en collège ? Au lieu des trois heures par semaine, proposons douze heures en sixième ! Ou plutôt onze car il serait stupide de ne pas réaliser un petit gain de productivité… En une année, l’élève de sixième aurait ainsi vu "tout le programme". Nul doute qu’en tenant compte de la longueur des journées, bloquées à vingt-quatre heures mais le gouvernement préparerait une réforme, il devrait être possible de concentrer d’autres cours. Avec un peu de bonne volonté, le niveau bac devrait pouvoir correspondre à cinq années après le primaire au lieu de sept aujourd’hui. Dans un premier temps car, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?
Et quand on pense à ces feignants d’étudiants qui se la coulent douce avec moins de vingt heures de cours par semaine le plus souvent, on se doute qu’il y aurait encore de formidables gains de productivité à réaliser. Alors, chiche, Luc Chatel, encore un effort ! Osez cette proposition révolutionnaire à votre collègue de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. À quand le master en un an au lieu de cinq ?
Christophe Pébarthe, maître de conférences en histoire grecque