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Quand les journalistes du Monde comprendront la réforme de l’Université, les universitaires liront-ils encore le journal ? - Christophe Pebarthe, le Blog de Médiapart, 4 janvier 2010
mardi 5 janvier 2010, par
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Après le fort mouvement des universités l’année dernière, même les plus pessimistes pensaient que les journalistes du Monde, Philippe Jacqué et d’autres, finiraient par comprendre. Qu’ils rédigeraient eux-mêmes leurs articles sans reprendre béatement les slogans gouvernementaux… Au moins pouvait-on souhaiter qu’en cette période de trêve, la rhétorique méprisante et modernisatrice perdrait de sa verve, qu’à minuit un toast serait porté à la santé de la déontologie, bref que de bonnes résolutions seraient prises en cette Saint-Sylvestre 2009. Plus de papiers rédigés à la sauvette, depuis le surplomb confortable que constitue un journal du soir et de référence, mais des articles faisant l’effort d’expliquer, de rendre compte des faits, quitte à maintenir dans un éditorial des commentaires peu amènes sur "le degré de crispation des universités" au moment de "la crise universitaire du printemps 2009" (Le Monde, 5 janvier 2010). Rassurons les journalistes du Monde, à force d’être crispés, les universitaires ont appris à vivre avec les crampes que certaines lectures leur procurent…
Remercions Maryline Baumard et Philippe Jacqué. Ils n’ont pas mis longtemps à nous détromper. Dès le 1er janvier (édition du 2 janvier), pas de temps à perdre, une nouvelle fois, ils célèbrent l’autonomie des universités, une véritable "révolution culturelle". Les plus anciens se souviendront que l’éloge avait déjà été fait l’année dernière, au moment des premiers passages aux responsabilités et compétences élargies. Les mauvaises langues supposent que la prochaine apologie pour janvier 2011 est peut-être déjà écrite… À moins que, pour plaire au président de la République, on ne décide de resservir le même article, afin de signifier à tous les esprits retors qui auraient le mauvais goût de moquer des discours identiques prononcés à un an d’écart, que si l’histoire ne repasse pas les plats, Le Monde n’hésite pas à servir la même soupe.
Comme le notent Maryline Baumard et Philippe Jacqué, l’épidémie des responsabilités et compétences élargies (RCE) gagne peu à peu le paysage universitaire. Trente-trois nouvelles universités accèdent à ce statut en cette année 2010. À y bien réfléchir, mais sans doute est-ce par précaution déontologique, nos deux journalistes auraient dû ajouter, "seulement trente-trois". Comment comprendre en effet que trente-deux établissements, vraisemblablement crispés, attendent au lieu de choisir cette libération ? Le lecteur attentif sent poindre quelque explication dans le constat incidemment énoncé. "Très peu d’universités de sciences humaines sont pour l’instant passées aux RCE". Pour quelles raisons ces universités-là demeurent-elles en dehors de la "révolution culturelle" ? N’est-ce pas leur dernier soubresaut, leur baroud d’honneur avant une capitulation en rase campagne devant la modernité triomphante de l’autonomie ? Mais sans doute s’agit-il simplement de souligner que certaines universités, toujours les mêmes, sont à la remorque des autres, toujours les mêmes, par pusillanimité ou par impréparation ("soit parce qu’elles ne l’ont pas encore demandé, soit parce qu’elles ne l’ont pas obtenue").
Cette hypothèse est toutefois malmenée dans la chute choisie par les journalistes. "Il leur reste jusqu’au 1er janvier 2012 pour s’y préparer. Deux ans pour que, selon l’expression de Valérie Pécresse, ’l’expérience donne envie aux autres’". Malmenée (pourquoi donc n’en auraient-elles pas envie ?), mais sans que le lecteur puisse en savoir plus. Pourtant, les mérites des responsabilités et compétences élargies ne peuvent que faire envie si on s’en tient à la présentation de Maryline Baumard et Philippe Jacqué : un budget triplé, un recrutement plus souple, une plus grande liberté pour les rémunérations, plus généralement une amélioration du quotidien des personnels, apparition de manne grâce à une gestion plus serrée, qui dit mieux ? Si le lecteur informé y ajoute les milliards du grand emprunt, il ne peut que fustiger le mouvement de l’année dernière et, incidemment, les universités de sciences humaines et sociales qui rechignent. Le plus modéré, on l’imagine fin lettré car, après tout, il lit Le Monde, s’en tiendra à une spirituelle allusion persane et s’étonnera : comment peut-on être contre ? N’en déplaisent à Maryline Baumard et Philippe Jacqué, les responsabilités et les compétences élargies ne font pourtant pas envie à tous les universitaires. Et nul besoin de chercher des arguments spécieux. La simple lecture de l’article suffit.
– Un budget triplé ? C’est un jeu d’écriture puisque il s’agit de l’intégration de la masse salariale au budget de l’université. En revanche, s’il est sûr que "nos établissements ont appris à gérer" aux dires de Lionel Collet, président de Lyon 1 et de la Conférence des Présidents d’Université, rien n’est dit sur le surcoût de cette autonomie, ne serait-ce qu’en terme de personnels (renforcement des services financiers, de la direction des ressources humaines…). Surcoûts, alors même que cette "révolution culturelle" se fait à moyen humain constant puisqu’il n’y a pas de création de postes.
– Un recrutement plus souple ? Foutaise, car les postes au fil de l’eau sont une réalité pour toutes les universités, tout comme les comités de sélection dont le bilan pour leur première année de fonctionnement fait apparaître nombre de dysfonctionnements que ne connaissaient pas les rigides commissions de spécialistes.
– Une plus grande liberté pour les rémunérations ? Mais sous quelle forme ? Des primes pour "sortir du carcan de la traditionnelle grille des salaires" ? Par principe ministériel, les primes d’excellence scientifique ne peuvent s’appliquer à tous les enseignants-chercheurs. Autrement dit, le quotidien de la majorité d’entre eux demeurera "la traditionnelle grille" et le niveau scandaleusement bas des indices, enseignants comme BIATOSS (personnels administratifs) du reste. Par CDD ou par CDI afin "d’aller chercher des enseignants très pointus à l’étranger" ? Mais alors, la liberté tant vantée consiste simplement à détruire le statut de fonctionnaire et à organiser les conditions d’une privatisation des universités, en commençant par le personnel. Est-ce donc la précarité qui améliorera leur quotidien ?
– L’apparition d’une manne par une gestion plus serrée ? Gaspillait-on l’argent auparavant dans les universités ? Disposait-on de ressources à ce point mirifiques qu’on les dépensait naguère sans compter ? Au-delà de ce déplaisant sous-entendu, il eut été plus honnête de rappeler que ce nouveau statut implique aussi des dépenses nouvelles qui sont loin d’être anecdotiques : certification des comptes, paie à façon… Si on ajoute la modification des règles établissant le montant de la dotation des universités (normes SYMPA ou, pour citer Le Monde, le fait qu’"un cinquième du budget des universités sera corrélé à leurs performances"), c’est plutôt à une mise en faillite programmée à laquelle nous assistons. Que ceux qui doutent tournent leurs yeux vers les hôpitaux publics et qu’ils y comparent la tarification à l’acte, l’autonomie de gestion avec la réforme que subit aujourd’hui l’Université. Ils y verront l’avenir du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Passe encore que dans un éditorial récent, Le Monde (5 janvier 2010) ne trouve rien de mieux qu’une vulgaire argumentation sur la mondialisation qui "fait de la connaissance un enjeu crucial" et qui "oblige à rechercher une taille critique" (Combien d’étudiants à Harvard ?) et une énième "seule voie pour construire une économie de la connaissance" pour suggérer qu’il n’y a pas d’alternative. Il y a longtemps que le syndrome TINA (There is no alternative) fait des ravages dans les éditoriaux. Mais pourquoi ajouter à ces truismes une présentation biaisée, pour ne pas dire plus, de l’autonomie ? Pourquoi, si Maryline Baumard et Philippe Jacqué souhaitent informer les lecteurs du Monde sur les réformes en cours, s’en tiennent-ils à interroger deux présidents, ou du moins se contentent-ils de citer ces deux seuls membres de l’Université ? Les BIATOSS, les enseignants-chercheurs ont-ils déjà disparu du paysage universitaire ? Ou bien s’agit-il d’éviter de faire apparaître, sur un autre mode que celui des crispations et autres malaises, que des arguments sérieux existent à l’encontre des responsabilités et des compétences élargies ? Autrement dit, que nombres d’étudiants, de BIATOSS et d’enseignants-chercheurs continuent de souhaiter une autre loi que la loi LRU pour présider aux destinées des universités ?
Soyons toutefois magnanimes et mettons sur le coup de l’effet retard d’une fête aux toasts un peu trop appuyés cet article partiel et partial. Et à défaut d’exiger de bonnes résolutions, faisons un rêve, lire dans Le Monde une analyse contrastée, faisant état des débats qui traversent l’Université, n’hésitant pas le cas échéant à mettre en évidence les limites de la propagande gouvernementale et de celle qui émane de la Conférence des Présidents d’Université, sans pour autant céder aux sirènes des esprits contestataires, bref y trouver un article écrit par des journalistes soucieux d’informer sans déformer qui se souviennent qu’avant la "révolution culturelle" il y eut cent fleurs… Encore un effort Maryline Baumard et Philippe Jacqué…
Christophe Pébarthe, maître de conférences en histoire grecque, Bordeaux 3.