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"Mastérisation" de la formation des enseignants : la double charlatanerie de l’anxiolytique gouvernemental - André Ouzoulias, Le Café pédagogique, 7 janvier 2010
jeudi 7 janvier 2010, par
Quels effets aura la réforme de la formation des enseignants sur les universités ? Pour André Ouzoulias, professeur en IUFM, les masters recherche pourraient être les premières victimes d’une réforme qui prétend les protéger. "Cette politique est stupide et perverse. Stupide : alors qu’elle prétend promouvoir l’excellence de notre Université, elle conduira des enseignants-chercheurs à sacrifier la qualité de la formation à la recherche… Perverse : ce sont les universitaires eux-mêmes qui décideront ces automutilations".
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Après la promulgation, la veille du réveillon de Noël, de la circulaire dite Hetzel sur le "cadrage des masters", nous connaissons presque complètement la "réforme" de la formation des enseignants voulue par le gouvernement (nous apprendrons courant janvier ses dernières décisions sur les épreuves des concours). Dans une analyse au plus près du texte, ici-même, Jean-Louis Auduc a pointé les ambiguïtés, les incohérences et les contradictions de cette circulaire et du dispositif d’ensemble, tel qu’il résulte de la circulaire Hetzel et des décrets publiés en juillet dernier (lesquels placent les concours au long de la deuxième année du master).
Comme Jean-Louis Auduc et comme c’est naturel, la plupart des analystes se sont intéressé aux effets de ce dispositif sur la formation des enseignants. Tous sans exception ont souligné la dégradation qu’il impliquerait. Mais peu d’analystes se sont intéressés aux changements qu’il introduit dans les équilibres entre formations et recherche au sein de l’Université. Or, c’était l’un des deux principaux motifs de la mobilisation universitaire l’an dernier (l’autre étant le statut des enseignants-chercheurs) !
Rappelons en effet que de nombreux enseignants-chercheurs craignaient que les "masters professionnels-enseignement" siphonnent le public des étudiants des masters-recherche et mettent ainsi en péril le potentiel de recherche des universités. Le mot d’ordre : "Ne concevons aucune maquette de master professionnel-enseignement" avait été massivement suivi. Avec la version automne-hiver 2009 du dispositif gouvernemental, les ministères concernés prétendent explicitement écarter la menace que dénonçaient les universitaires : les masters-enseignement sont purement et simplement supprimés ; les étudiants qui veulent devenir enseignants sont invités à s’inscrire dans les masters disciplinaires existant (les "masters recherche") ; les concepteurs de ces formations sont néanmoins invités à prévoir des parcours particuliers pour ces étudiants, notamment en donnant une place à la préparation aux épreuves des concours.
Or, à y regarder de plus près, cette concession ne devrait pas du tout rassurer les universitaires inquiets pour le devenir de la recherche. En effet, dans la concurrence que les UFR seront amenées à se livrer pour inscrire dans leur(s) master(s) disciplinaire(s) les étudiants désireux de passer les concours, à moyen terme, ce sont celles qui offriront les meilleures chances de succès aux épreuves qui obtiendront les plus grosses parts du "marché" des étudiants-candidats. Mais comme une préparation réellement efficace aux diverses épreuves des concours n’est guère compatible avec une formation de type master digne de ce nom, les UFR n’auront-elles pas à trancher entre l’étendue de leur public et l’excellence de leur(s) master(s) ? Si elles veulent inscrire un grand nombre d’étudiants, ne devront-elles pas mettre l’accent sur la préparation aux épreuves, au besoin sous forme de bachotage intensif, quitte à être moins regardantes sur les conditions de délivrance de leur(s) master(s) ? Mais si elles sont intransigeantes sur la nécessité d’une formation rigoureuse, sérieusement adossée à la recherche, ne prendront-elles pas le risque de raréfier leur public ?
Nul doute que les médias spécialisés publieront un palmarès des réussites aux concours, comme cela se fait déjà rituellement pour les pourcentages de réussite au bac et les admissions aux grandes écoles. Il ne faudra pas s’étonner si les UFR les plus exigeantes sur la qualité de leur(s) master(s) se retrouvent, paradoxalement, reléguées aux derniers rangs du palmarès ! Il ne faudra pas non plus s’étonner si quelques boites privées figurent dans les premiers rangs…
L’anxiolytique que le gouvernement a ainsi prescrit pour calmer les craintes des enseignants-chercheurs face au risque de siphonnage des masters-recherche par les "masters professionnels-enseignement", et qui consiste à supprimer ceux-ci pour leur substituer des parcours dans des masters disciplinaires, est une double charlatanerie ! Non seulement, les futurs enseignants seront moins bien formés que dans feu les "masters-enseignement" (qui dégradaient déjà la formation professionnelle), mais la demande bien normale des étudiants de se préparer du mieux possible aux concours amènera maintes UFR à réduire les ambitions scientifiques de leur(s) master(s).
Cette politique est stupide et perverse. Stupide : alors qu’elle prétend promouvoir l’excellence de notre Université, elle conduira des enseignants-chercheurs à sacrifier la qualité de la formation à la recherche et l’excellence de leur discipline au maintien d’un public d’étudiants mobilisés par les concours. Perverse : ce sont les universitaires eux-mêmes qui décideront ces automutilations… en toute autonomie.
Le vote du Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (CNESER) du 21 décembre éclaire les conflits engendrés par cette "réforme", et qui ne sont pas près de s’éteindre : universitaires de tous bords, étudiants et usagers ont refusé la circulaire Hetzel ; les seules voix qui ont approuvé le texte gouvernemental furent celles des 3 représentants du MEDEF et de l’UNI, un petit groupe d’étudiants satellite de l’UMP.
André Ouzoulias,
Professeur à l’IUFM de Versailles (Université de Cergy-Pontoise)