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Trois responsables socialistes avancent leurs propositions pour une école plus juste - Le Monde, 11 février 2010
samedi 13 février 2010, par
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François Dubet publie ce 11 février aux éditions du Seuil, Les places et les chances, repenser la justice sociale. Dans cet ouvrage, le sociologue propose de repenser notre approche de l’égalité des chances. Pour lui, l’égalité des chances n’ayant pas fait ses preuves, il convient de repenser la société et de mettre en œuvre une politique d’égalité des places.
Dans sa conclusion, le sociologue attaque de front la gauche. " L’égalité des places pourrait constituer l’un des éléments de la reconstruction idéologique de la gauche, à condition que celle-ci ait un peu de courage : le courage de mécontenter une partie de son électorat (qui la fuit d’ailleurs à pas feutrés) et d’être autre chose que le parti des classes qualifiées et aisées. La gauche devrait aussi avoir la capacité de rompre avec les fables qu’elle aime à se raconter sur l’Etat-providence et le service public, dont elle devient le gardien vétilleux faute de vouloir les transformer ".
Le Monde a demandé à trois responsables socialistes de réagir.
* François Hollande, ancien premier secrétaire du PS
L’égalité est au cœur du projet démocratique. Et François Dubet nous rappelle utilement la tension qui est à l’œuvre dans toutes les sociétés développées entre l’affirmation de l’égalité pour tous et les écarts de situations qui cherchent leurs justifications. C’est une question politique majeure que le règlement de cet arbitrage : "l’égalité jusqu’où ?" et "l’égalité de quoi ?".
Entre l’égalité des places – c’est à dire le rapprochement des positions en terme de revenus et de conditions de vie – et l’égalité des chances fondées sur le mérite et la lutte contre les discriminations, François Dubet a fait son choix. Il montre comment le libéralisme s’est emparé de l’égalité des chances pour reproduire les hiérarchies sociales au prix de compensations financières et symboliques en faveur des minorités ou des groupes défavorisés.
Et il constate avec douleur que la massification scolaire s’est accompagnée d’une solution au fil de l’eau provoquant une"méritocratie" reflétant davantage les inégalités sociales que les mobilités personnelles. Il revient donc sur la pertinence de l’objectif de l’égalité des places qui présenterait le double avantage de conjuguer la cohésion sociale et l’autonomie personnelle. Elle assurerait la fluidité des parcours et resserrait les écarts entre les barreaux de l’échelle sociale.
D’où son interpellation à l’égard de la gauche. Il lui reproche à la fois d’avoir cédé au discours incantatoire sur l’égalité des chances, notamment en matière scolaire et d’avoir défendu une conception rigide et droite de l’égalité des places en faveur des inclus et des professions à statut. Il l’appelle donc au courage, au risque de mécontenter une partie de son électorat ! Ce qui, convenons en, n’est pas forcément la meilleur façon de la motiver.
Et pourtant, la gauche doit opérer un triple mouvement.
Elle doit reprendre le combat de la justice fiscale. C’est celui de la République. Il ne s’agit pas de punir la richesse, de pénaliser le risque, de sanctionner l’effort mais de redonner confiance dans le "vivre ensemble" et de renforcer la cohésion sociale. C’est le sens de la réforme sur l’imposition générale des revenus que j’ai proposée, fondée sur la transparence, la simplicité et la progressivité. Elle doit aussi prendre aux mots les thuriféraires de l’égalité des chances en introduisant un prélèvement global sur les patrimoines au moment des successions. C’est l’occasion de changer la donne à chaque génération !
Elle ne peut faire reposer sur l’école tout le poids de la résorption des inégalités au risque de mettre en cause son rôle et sa mission. Elle parviendra d’autant mieux à élargir les chances des élèves que les politiques publiques auront agi sur les causes des parcours d’échec (le logement, l’emploi, l’accompagnement familial…)
Elle doit parallèlement changer les modes d’intervention et le financement de l’Etat Providence en prenant en compte moins les droits généraux pour tous que la situation des groupes les plus exposés (les précaires, les jeunes, les familles monoparentales, les métiers pénibles…). Aux inégalités de positions doivent correspondre des réponses différentes, c’est là que des conflits d’intérêts peuvent éventuellement surgir au sein de l’électorat de gauche. Il ne sera possible de les dépasser que par un projet qui permette d’allier la promotion de chacun et la réussite collective, de prendre appui l’une sur l’autre, de faire de la solidarité non une contrainte mais un levier. Et de l’aspiration à l’égalité non pas une compétition individuelle mais une affaire commune. C’est à la fois la "place" de la gauche et c’est sa "chance".
* Bruno Julliard, secrétaire national à l’éducation, ancien président de l’UNEF
François Dubet pointe les faiblesses, certes relatives mais bien réelles, de notre modèle éducatif. L’école a réussi la massification de l’accès à l’éducation, sans atteindre l’ambition de réduction du poids des inégalités sociales d’origine dans la réussite scolaire. Organisée pour produire une élite, aux critères académiques rigides, elle calque à gros traits la réussite des élèves sur les conditions sociales de leurs parents. Elle s’efforce de soutenir les plus faibles dans la participation à la course, et elle trie, au fil des années, par un processus d’orientation-exclusion.
Si le constat est partagé, les remèdes le sont moins. La défense du statu quo, inévitable face aux politiques désastreuses du moment, mène à terme dans l‘impasse. L’appel systématique à l’égalité des chances est quant à lui largement insuffisant. Il ne suffit pas d’offrir un avenir heureux à quelques privilégiés parmi les déshérités sans se soucier du destin de tous les autres.
Si la gauche a pu par le passé manquer d’audace, il nous faut aujourd’hui cesser de retoucher à la marge et de compléter sans rien changer en profondeur d’un système éducatif en crise. L’attribution de moyens supplémentaires, certes nécessaire, ne sera pas suffisante. Les questions fondamentales ont été trop longtemps négligées et doivent être traitées : la définition d’une culture commune et les réformes pédagogiques nécessaires à son acquisition par tous, le service public de la petite enfance, la réforme profonde du collège pour lutter contre l‘exclusion scolaire et l’élitisme disciplinaire, la revalorisation effective des filières professionnelles et techniques, la redéfinition des missions et de la formation des enseignants, l’émergence d’une politique éducative qui ne se limite pas aux seuls établissements scolaires mais qui prennent en compte la famille, les médias, la culture, les tissus associatifs locaux…
Nous avons parfois considéré que les tirades élogieuses sur l’école républicaine et ses enseignants suffisaient à gagner les suffrages de ces derniers. Les récentes élections nationales ont été une utile piqûre de rappel qu’il n’en était rien. La communauté éducative, comme tous les citoyens, attendent de la gauche un nouveau pacte éducatif, courageux et progressiste dans les faits. Si cet objectif d’égalité réelle restera toujours une utopie, il mérite d’autant plus d’être poursuivi que les inégalités du système actuel, admises comme une fatalité, sont criantes et profondément immorales.
* Vincent Peillon, député européen, coauteur avec Xavier Darcos de "Peut-on améliorer l’école sans dépenser plus ?" (Ed. Magnard)
Ce n’est pas seulement « un exercice de philosophie sociale totalement gratuit », mais bien, pour la gauche, un élément de "reconstruction idéologique" que nous propose François Dubet dans son dernier ouvrage.
François Dubet examine avec précision deux modèles de justice sociale : celui de l’égalité des chances, celui de l’égalité des places. Les deux ont des défauts et des qualités. C’est pourquoi ils ne doivent pas être brutalement opposés mais plutôt judicieusement mixés. Le problème est que le mixte qui l’emporte aujourd’hui n’est pas le bon. En prenant le pas sur l’égalité des places, l’égalité des chances nous a fait perdre les deux modèles de justice, la solidarité et la mobilité sociale. Plus, ce qui n’est pas rien, une nécessaire efficacité économique.
Ce que propose donc François Dubet, c’est d’inverser le courant dominant en établissant, chiffres et exemples à l’appui, que l’égalité ne s’oppose pas à l’équité, mais la rend possible, à condition toutefois qu’on veille à ne pas transformer l’égalité des places en simple défense des avantages acquis. Entre le conservatisme et la soumission à l’idéologie ultra-libérale, la gauche doit renouer avec l’exigence d’un réformisme pour lequel la recherche d’une certaine égalité des conditions est un élément nécessaire à la liberté de chacun et de tous.
Je partage cette analyse, qui renoue avec la tradition du socialisme républicain de Pierre Leroux, de Louis Blanc, de Jean Jaurès. Mais pour mettre un terme aux redistributions à l’envers et aux discriminations négatives qui sévissent aujourd’hui, il convient d’en déduire un certain nombre de réformes dans le contexte de notre temps. J’en citerai quelques unes : un nouveau contrat entre la nation, son école et son université ; une grande réforme fiscale ; une sécurité sociale professionnelle ; un vaste plan de développement solidaire des territoires ; une réforme de l’assurance maladie ; une réorientation de la construction européenne ; une nouvelle République.
Cela fait un vaste programme, de justice sociale, de liberté et de modernité pour 2012. Et personne ne doit douter que cela supposera du courage.