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La crise de l’école - par Guillaume Duval, rédacteur en chef du mensuel « Alternatives économiques », chronique L’autre économie, France Inter, 18 février 2010
jeudi 18 février 2010, par
Cette chronique a été diffusée le 18 février 2010 à 6h50. Elle est mise en ligne et peut être lue sur le site de France Inter.
Ces derniers jours l’école a beaucoup défrayé la chronique. Surtout autour de l’insécurité avec une série d’incidents souvent montés en épingle par les médias. Il n’empêche ces problèmes illustrent aussi un malaise plus profond qui traduit la dévalorisation de l’école. Elle a cessé en effet d’être une priorité pour ceux qui nous gouvernent.
L’insécurité s’accroît à l’école ? Ce n’est pas surprenant : en 2004 l’Education nationale employait encore 50 000 personnes pour assurer la « surveillance » sous différents statuts. Aujourd’hui ils ne sont plus que 28 000, quasiment moitié moins… Mais ce qui se passe sur ce plan ne fait qu’illustrer un désinvestissement plus général. La part des richesses produites chaque année, autrement dit le fameux PIB, consacrée à l’éducation était de 7,6 % en 1996. En 2008 elle n’était plus que de 6,6 %, en baisse une fois de plus par rapport à 2007. Eric Woerth veut limiter à l’avenir la part des dépenses publiques dans le PIB. En matière d’éducation c’est déjà le cas chaque année depuis près de 15 ans…
Que déduire de cette baisse des dépenses d’éducation ?
1 point de PIB en moins, cela parait sans doute très abstrait pour nos auditeurs. Cela veut dire en fait qu’il manque 20 milliards d’euros au budget de l’éducation pour que l’effort de la nation soit équivalent à ce qu’il était en 1996. 20 milliards en moins sur 129 milliards c’est un trou de 15 %, un euro sur six. Ces 20 milliards représentent plus de dix fois ce que l’Etat dépense chaque année pour son action à l’étranger ou encore deux fois ce que dépense le très grand ministère de Jean Louis Borloo pour l’écologie, le développement et l’aménagement durable… Cela se traduit par des reculs très significatifs : en 1996, 84 % des jeunes de 18 ans étaient scolarisés, on est redescendu aujourd’hui en dessous de 80 %. Et à 20 ans la chute est encore plus prononcée, de l’ordre de 6 points… Tandis que 150 000 jeunes sortent toujours du système scolaire sans aucun diplôme. L’école française apparaît aussi dans les comparaisons internationales menées par l’OCDE comme une de celles qui reproduisent le plus les inégalités sociales…
Est-ce seulement une question d’argent ?
Ces difficultés ne relèvent évidemment pas seulement de questions de moyens. Les racines du mal sont plus complexes et profondes. Il n’empêche, il n’existe aucune possibilité d’améliorer les choses dans un contexte d’austérité budgétaire accrue. Or, l’école a été la principale cible des politiques de maîtrise des dépenses publiques ces dernières années. En 2010 sur les 30 000 suppressions d’emplois publics programmées par le gouvernement, 16 000, plus de la moitié, sont prévues dans l’Education. Avec des conséquences absurdes comme la réforme de la formation des enseignants. On va les recruter un an plus tard et les envoyer faire cours sans qu’ils aient suivi quasiment aucune formation pédagogique ni stages pratiques. Simplement parce que cela permettra d’économiser quelques milliers de postes…
Ces aberrations illustrent un contresens total sur la notion d’« investissements d’avenir » régulièrement mise en avant par le gouvernement : il vient en particulier de lancer une (coûteuse) campagne de communication pour justifier le « grand emprunt ». Celui-ci « n’est pas une dépense courante, affirme cette campagne, C’est un programme qui… financera des investissements dans des secteurs d’avenir… ». Mais cette distinction entre « dépenses courantes » et « investissements d’avenir » n’a aucun sens dans des sociétés de la connaissance. L’investissement a cessé en effet de s’y mesurer en tonnes d’acier ou de béton. En s’attaquant en priorité aux dépenses d’éducation, qui sont censées être des dépenses courantes, le gouvernement hypothèque au contraire lourdement l’avenir de notre société et de notre économie.