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Complot à l’Élysée contre le président Nicolas Sarkozy ? - Christophe Pebarthe, Le Blog de Médiapart, 3 mars 2010
mercredi 3 mars 2010, par
Pour lire ce texte qui parle aussi et surtout de la mastérisation et des conditions de stages, voir le blog de Médiapart.
Les signes s’accumulaient pourtant. Il fallait être sourd pour ne pas voir et entendre les manifestations répétées que les comploteurs se plaisaient à disséminer, ici et là. Ces derniers jours, ils s’étaient manifestement donnés le mot. Chacun d’entre eux arpentait les couloirs de l’Élysée et affichait qu’il en était. Dossiers et maroquins sous le bras, adoptant une allure grave qui ne sied qu’aux ministres et aux conseilleurs tout en affichant un air dégagé, bref dans la tenue du parfait courtisan, ils commençaient à siffler. Une mélodie simple, entêtante, que leurs interlocuteurs, intrigués, peinaient d’abord à reconnaître. Entendue quelque part, c’est sûr, mais où ? Au moment où l’interrogation cédait la place à la complicité et à la joie de la résolution de ce mystère, le comploteur se mettait à chanter, doucement car dans ce palais on n’est jamais sûr de rien, tout en modifiant légèrement les paroles. "On Lui cache tout, on Lui dit rien". Arrêtant brutalement son sifflement, il fixait alors longuement les yeux de son interlocuteur du moment. Signe que le complot progressait à grand pas, nombreux étaient ceux qui répondaient sur le même air, "on L’informe vraiment sur rien".
Rien ne semblait pouvoir arrêter les comploteurs, plus nombreux chaque jour. Las, en quelques minutes, toute l’entreprise fut découverte. Ce n’est pas faute d’avoir été prudent. Non, simplement, il n’est jamais possible de tout contrôler. Qui aurait pu penser qu’il fallait parler à ce plumitif, un obscur universitaire sans doute en mal de reconnaissance, qui rédigeait les discours du président ? À première vue, la visite de Nicolas Sarkozy à Laon (Aisne) ne comportait aucun risque. Les passeports biométriques ? Un boulevard pour dérouler un discours sécuritaire. Il fallait juste rappeler à la plume du moment que le président préférait des discours qu’il n’avait pas déjà prononcés. Ce n’est pas que l’idée de répéter lui déplaise ; à quelques formules près, il dit toujours la même chose. Mais il y a encore des journalistes qui travaillent et à quelques jours des élections régionales, il n’était pas question de prendre le moindre risque.
Que s’est-il passé ensuite ? Une mauvaise clé USB ou une confusion avec un discours de Jaurès dans lequel le plumitif cherchait une citation pour gêner la gauche ? Une page provenant d’un dossier des renseignements généraux consacré au Front de Gauche venue malencontreusement se mélanger à celles du discours de Nicolas Sarkozy ? Nul ne le sait à ce jour. Mais désormais, l’information circule en temps réel sur internet, personne ne peut ignorer que le président est tenu soigneusement à l’écart des réformes de la fonction publique. Le personnel de la mairie de Laon l’a immédiatement compris et n’a eu de cesse depuis d’envoyer mails et sms pour que tout le monde prenne conscience du complot. Ils ont quand même eu le souffle coupé d’entendre "Soyez fiers d’être fonctionnaires", "On ne respecte pas assez vos compétences. On ignore les difficultés qui sont les vôtres".
L’un d’eux, dont la fille est enseignante, n’en est toujours pas revenu. À vrai dire, quand il discutait avec elle de la formation des maîtres, il n’en croyait pas ses oreilles. À partir de septembre 2010, les lauréats des concours de recrutement ne recevront aucune formation. Ils seront directement placés devant des élèves, à temps complet, et ce jusqu’aux vacances de la Toussaint. Au début, le fonctionnaire municipal écoutait sans rien dire et sans trop y croire. Électeur de Nicolas Sarkozy, la gauche l’avait déçu et il y avait quand même trop d’abus en France, en particulier dans la fonction publique, il se méfiait des opinions tranchées de sa fille, militante encartée. Elle avait quand même tendance à voir le mal partout !
Il avait commencé à douter quand elle lui avait mis sous le nez le texte de la note de cadrage du 25 février 2010. Car ce n’était pas tout. Avant la rentrée, un accueil était prévu mais seulement sur la base du volontariat, dans les jours qui précèdent la rentrée scolaire. Aucune garantie réelle n’était donnée quant à l’affectation des stagiaires autre que "autant que faire se peut". Certains iront manifestement dans des établissements difficiles. Et ils devront préparer des cours pour plusieurs niveaux. Deux maximum, disait la circulaire, tout en envisageant explicitement de nombreuses exceptions. Cela, il l’avait compris en se souvenant que sa fille lui avait parlé de la réduction du nombre d’heures d’enseignement dans sa discipline. Souvent même, à chaque fois qu’il lui parlait du niveau qui baissait et de ce nouveau baccalauréat qui ne valait pas le certificat d’étude d’antan. Aussi quand il avait lu "l’emploi du temps pourra toutefois correspondre à plus de deux niveaux dans le cas des disciplines à quotité horaire réduite (arts, musique...)", il avait tout de suite pensé qu’il en y avait beaucoup de disciplines à quotité horaire réduite ; beaucoup et de plus en plus. Sûrement que les futurs enseignants de sciences économiques et sociales seraient dans ce cas avec la division par deux de l’horaire en classe de seconde, de trois heures à une heure et demi. Et puis quand même, à la cantonale, ses instituteurs lui avaient toujours dit que les points de suspension, c’était pour les écrivains et pas les meilleurs en plus. L’un d’eux avait un nom de fille. Bref, il aurait fallu être précis et dire quelles étaient ces disciplines. Derrière ces trois points, il devait y en avoir beaucoup de disciplines à quotité horaire réduite.
Il avait tout de même voulu en avoir le coeur net. Alors, il y a deux jours, il lui avait demandé des précisions. N’hésitant pas à aborder les questions qui fâchent. Dans les collèges et les lycées, c’était bien 18 heures par semaine, non ? La circulaire, elle dit bien qu’il ne sera pas possible de donner des heures supplémentaires aux stagiaires ? Au moment où il lui faisait cette objection, il ressentit comme une gêne. Des heures supplémentaires à des enseignants inexpérimentés ? Il était donc nécessaire de préciser que ce n’était pas possible ? Des chefs d’établissement auraient-ils pu être tenté d’affecter des stagiaires sur des supports horaires plus importants sans cette précision ? Il ne fit toutefois pas part de ses doutes.
Pour une fois, sa fille ne s’énerva pas. Elle lui expliqua, pour la énième fois, que 18 heures d’enseignement n’équivalent pas à 18 heures de travail. Il y a les cours, les copies, les bulletins à remplir, les réunions parents-profs, les réunions d’équipe pédagogique, les conseils de classe... Et pour des néophytes, il n’était pas possible de dire qu’il suffisait de répéter le même cours chaque année, même si dans la réalité, il n’est guère envisageable de ne pas modifier ses enseignements, ne serait-ce que parce que les programmes changent régulièrement. Il fallait également ajouter les rencontres avec le tuteur, l’enseignant chevronné qui suivait le stagiaire. Et, comme si cela ne suffisait pas, ce dernier pouvait demander à s’inscrire au plan académique de formation. Elle allait donc être chargée, l’année de stage.
Touché, reconnut-il. Mais quand même, il y a bien un tuteur. Celui-ci pourra apporter de l’aide, donner des cours tout préparés. Là, sa fille marqua quelques signes d’énervement. Comment former de futurs enseignants sans leur apprendre à préparer leurs propres enseignements ? Et puis, ce n’était pas tout. Une amie devenue inspectrice lui avait confié que le ministère ne voyait pas d’inconvénient à ce qu’un contractuel puisse être tuteur. Un enseignant non formé sinon sur le tas, on voyait par là ce qu’il fallait entendre par chevronné, formant un enseignant néophyte ? Même plusieurs, car il était possible d’avoir la responsabilité de plusieurs stagiaires ! Cela commençait à faire beaucoup en effet. Le père de l’enseignante et aussi fringant grand-père pensa à son petit-fils. Un vrai surdoué celui-là, comme sa mère. Ferait-il partie des 1,6 million d’élèves devant lesquels le gouvernement entendait placer des enseignants inexpérimentés ? La discussion s’était prolongée et sa fille devait rentrer. Quelques copies à finir. Pas eu le courage entre midi et deux. D’ailleurs, dit-elle, ils allaient devoir en corriger des copies les stagiaires. Avec les suppressions de postes, les classes à trente, voire même à plus, devenaient la norme. Huit à neuf classes pour un service complet, c’était un beau paquet de 250 copies qu’ils allaient recevoir au bout de trois semaines pour les premiers devoirs écrits.
C’est en pensant à tout cela qu’il était venu travailler à la mairie ce mardi 2 mars 2010. D’une taille moyenne, personne n’avait vu d’inconvénient à sa présence. Alors, quand il entendit le président, celui qu’il avait élu et dont il doutait à présent, dire "J’ai bien conscience de tous les changements qu’on vous impose. C’est normal que cela crée du stress et de l’inquiétude", il comprit. Nicolas Sarkozy n’était pas au courant de la réforme de la formation des maîtres. Ou bien simplement de ses grandes lignes. Ses conseillers et ses ministres se gardaient bien de lui dire que le gouvernement ne faisait pas qu’ignorer les difficultés des fonctionnaires mais qu’il en créait de supplémentaires. Qu’il détestait la fonction publique et ne cessait de l’affaiblir pour mieux la supprimer. Il aurait bien aimé en parler directement au président mais impossible de l’approcher. Trop de journalistes, trop de policiers. En discutant ensuite avec ses collègues, il s’aperçut que tout le monde était de son avis. Il était mal entouré, le président. On lui cachait ce qui se passait. Le hasard voulut que l’un des conseillers municipaux UMP, non impliqué dans le complot car trop éloigné des cercles parisiens, fusse là. Il connaissait personnellement un conseiller du président. Il allait essayer de le joindre, lui expliquer et surtout tenter de faire passer l’information à Nicolas Sarkozy.
Depuis hier soir, les effets de ces événements fortuits se font sentir. La résistance s’organise à l’Élysée. Les sifflements sont de plus en plus nombreux dans les couloirs. Mais désormais, les paroles ont changé. "Monsieur le président, je vous fais une lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps". Et d’autres réponses fusent : "Refusez d’obéir, refusez de la faire, n’allez pas à la guerre contre les enseignants". Nicolas Sarkozy a-t-il déjà les oreilles qui sifflent ?
Christophe Pébarthe, maître de conférences en histoire grecque.