Accueil > Revue de presse > La rentrée 2010 inquiète déjà les lycées et collèges marseillais, Louise Fessard, (...)
La rentrée 2010 inquiète déjà les lycées et collèges marseillais, Louise Fessard, Mediapart, 3 mars 2010
mercredi 3 mars 2010, par
Pour lire l’article sur le site de Mediapart
Au retour des vacances de février, la préparation de la rentrée 2010 s’avère compliquée dans les collèges et
lycées qui devront absorber près de 7.000 des 16.000 suppressions de poste dans l’éducation nationale. Ajoutez
à cela des réformes de la formation des enseignants et de la seconde qui passent mal et vous obtenez une
certaine effervescence dans le second degré. Boycott des conseils d’administration, protestations lors de la
venue des inspecteurs pour présenter la réforme du lycée, refus de siéger en conseil pédagogique, grèves, etc. :
moins spectaculaires que la récente mobilisation en Seine-Saint-Denis, les gestes de protestation se multiplient
en interne. Une intersyndicale appelle à une journée de grève nationale le 12 mars.
Reportage dans deux établissements de l’académie d’Aix-Marseille, où les collèges perdront 97 postes pour 6
élèves en moins, et les lycées 87 postes pour une baisse de 34 élèves. « Par rapport à l’année dernière, les
collèges sont particulièrement ponctionnés, car la tactique est de préserver les lycées pour faire passer la
réforme de la seconde, souligne Alain Barlatier, secrétaire académique adjoint du Snes d’Aix-Marseille. Or dans
les Bouches-du-Rhône, un tiers des établissements sont en zone d’éducation prioritaire et vivent de façon
encore plus dramatique la baisse de moyens. »
Au Collège Jules-Ferry : « Maintenant on touche même aux quartiers »
500 élèves ; 83% d’élèves d’origine défavorisée ; 79% de réussite au brevet en 2009
Ce vendredi après-midi 26 février, les 45 enseignants du collège Jules-Ferry, à Marseille, ont décidé de débrayer
pour protester contre la suppression de deux postes. Collège vitrine de l’ambition réussite (les établissements les
plus difficiles) dans les quartiers Nord de Marseille, avec un taux de réussite au brevet exceptionnel (79%) qui lui
vaut de nombreuses demandes de dérogations, l’établissement n’avait jusqu’ici pas été touché par les
restrictions budgétaires. « Nous sommes l’un des rares collèges attractifs du quartier et on nous enlève 37 heures
(soit environ deux postes, ndlr) pour dix élèves en moins », se révolte Anne Rosset, professeur de lettres
classiques. « Ça veut dire que maintenant, on touche même aux quartiers alors qu’on est quand même là pour
corriger les inégalités de départ, offrir une ouverture culturelle... » L’amertume est d’autant plus forte que les
enseignants ont l’impression qu’un contrat implicite a été rompu. « On nous disait : “Si vous fonctionnez bien, on
ne touchera pas à vos moyens” », raconte Michel Accault, professeur d’EPS.
L’établissement va perdre une classe de sixième pour répercuter la baisse du
nombre d’élèves de CM2 dans le secteur. Paradoxalement, du fait de son
attractivité, « le collège pourrait facilement ouvrir trois ou quatre
classes, mais l’inspection d’académie a limité le nombre de dérogations
car on viderait les collèges avoisinants », précise Fabien Mairal,
principal adjoint. « Une classe fermée, c’est 26 heures de moins,
calcule quant à lui Rodrigue Coutouly, le principal. Il reste 6 à 7
heures à supprimer que nous devrons prendre sur les projets de soutien
pour les élèves en difficulté. »
Doté de moyens supplémentaires relatifs à
son statut Ambition réussite, l’établissement avait développé de
nombreux projets sportifs : voile, natation, danse, etc. « Les horaires
planchers sont assurés mais les projets qui permettent de faire des
parcours personnalisés, d’assurer la réussite des élèves risquent
d’être supprimés », s’inquiète Michel Accault. « Ces projets permettent
de donner une image différente de l’école et de raccrocher certains
élèves », explique Laurence Solari, coordinatrice EPS.
Pour limiter la casse côté enseignants, le principal a choisi de
« prendre sur les départs » en ne remplaçant qu’à moitié un enseignant de
mathématiques qui part à la retraite et une enseignante d’EPS qui a
demandé sa mutation. Ainsi aucun enseignant ne perdra son poste. « On va
essayer de ne détruire aucun projet malgré la diminution de moyens car,
au vu des effectifs actuels de CM1, il est possible qu’on se retrouve
avec une création de sixième en 2011 », prévoit Rodrigue Coutouly.
Laurence Solari n’est pas convaincue : « On a une superbe salle de danse
avec parquet et miroirs, qui a coûté beaucoup d’argent au conseil
général, pour une section danse qui va mourir, dit-elle. Car aucun
professeur spécialisé n’acceptera de venir juste pour un mi-temps. »
En augmentation, les heures supplémentaires représentent désormais
environ 10% de la dotation horaire du collège, selon Rodrigue Coutouly.
Théoriquement seule la première heure supplémentaire est obligatoire
mais les enseignants de Jules-Ferry dénoncent un chantage aux projets
pour accepter des heures en sus. « C’est complètement illogique : on
nous enlève des profs et on met des heures supplémentaires car ça coûte
moins cher, conteste Laurence Solari. On est dans une logique purement
comptable qui désarme tout le monde. » Trois enseignants d’EPS vont
ainsi devoir se partager 11 heures supplémentaires. « Moi je viens
d’Istres, un collègue est de Salon-de-Provence (deux villes à une
cinquantaine de kilomètres, ndlr), ce n’est pas évident, explique Michel
Accault. Bien sûr, les heures sup ne rentrent pas dans les impôts,
financièrement c’est tout bénef, mais dans un bahut en ZEP comme celui-ci
il faut être présent ! »
La mobilisation des enseignants a cependant peu de chance d’inverser la
donne. « Il y a quelques années quand des enseignants faisaient grève,
l’inspecteur académique avait quelques marges de manœuvre, dit Rodrigue
Coutouly. Plus maintenant. »
Lycée Saint-Exupéry : « On parle de sécurité et on diminue le nombre d’adultes dans les établissements »
1430 élèves ; 62% d’élèves défavorisés ;
68% de réussite au bac général, 53% au bac technologique en 2009
Malgré la promesse d’une réforme du lycée à taux d’encadrement constant, le lycée
Saint-Exupéry, un lycée en zone d’éducation prioritaire (Zep) des quartiers Nord de Marseille, perdra 50
heures à la rentrée 2010 pour une quarantaine d’élèves en moins. « Nos
classes sont à 30 élèves, la limite maximum en Zep, on est au taquet partout :
on ne demande même pas une augmentation des moyens mais leur maintien,
dit Franck Balliot, enseignant de mathématiques, élu Snes au conseil
d’administration du lycée. On est dans un établissement où deux
adultes en moins, ce n’est pas anodin. C’est un peu contradictoire de
nous parler tout le temps de sécurité quand, tous les ans, on diminue
le nombre d’adultes dans les établissements. Ce n’est pas en mettant
des caméras que personne ne regarde qu’on va lutter contre la
violence. »
Pourtant, plus que les suppressions de poste, la réforme du
lycée et de la gouvernance des établissements inquiète les enseignants.
« La salle des profs est massivement opposée aux réformes, dit Caroline
Chevé, enseignante de philosophie, elle aussi au Snes. Toutes les
disciplines, réunies en conseil d’enseignement, sauf une, se sont
engagées à refuser de siéger au conseil pédagogique, refuser
d’accueillir les stagiaires nouvelle mouture et refuser les heures
supplémentaires si nous n’obtenons pas un maintien des moyens. »
Sur les 28h30 de cours de la nouvelle seconde, 10h30, dites
d’autonomie, sont laissées à disposition des établissements pour créer
des demi-groupes dans certaines matières. « Ce n’est pas une vraie
autonomie, estime René Cautres, professeur de mathématiques au lycée
marseillais Marcel-Pagnol où des élèves ont mis en place un blocus le
22 février. On nous demande de gérer la pénurie et de nous mettre en
concurrence car, les moyens n’étant pas suffisants, si le prof de math
veut avoir son dédoublement (cours en demi-groupe), il va falloir le
prendre à une autre discipline. » Une autonomie pourtant appréciée par
les chefs d’établissement. « Avec l’accompagnement personnalisé des
élèves, elle permettra une meilleure adaptation au public et à la
réalité du terrain », estime, pour sa part, Catherine Petitot, secrétaire
adjointe du principal syndicat des chefs d’établissement, le SNPDEN.
Nouveauté de la rentrée 2010, la mise en place de ces deux heures
d’accompagnement personnalisé pour tous les élèves de seconde laisse
cependant les enseignants sceptiques. D’abord parce qu’au passage, les
deux heures d’aide individualisée en français et mathématique, avec des
groupes de huit élèves en difficulté, disparaissent. Ensuite, parce que
l’accompagnement personnalisé risque de n’avoir de personnalisé que le
nom. « Les parents croient qu’il y aura un enseignant auprès de leur
enfant mais ce qui est financé ce sont juste deux heures prof, explique
Franck Balliot. Si on fait le choix d’un vrai accompagnement
personnalisé à huit élèves, il faudrait prendre six heures sur les 10h30 d’autonomie. Il ne resterait presque rien
pour les
disciplines. »
L’objectif de cet accompagnement est triple : soutien
pour les plus faibles, approfondissement pour les autres et découverte
des métiers et formation pour tous. « On nous demande de faire un
travail sur l’orientation, c’est délirant, proteste René Cautres. On
supprime des conseillers d’orientation psychologue et on espère que les
enseignants feront ce travail ! »
Le contenu des nouveaux programmes de seconde ne fait pas non plus l’unanimité. Outre la
polémique sur les programmes de sciences économiques et sociales, en
histoire-géographie, le chapitre intitulé « La Méditerranée au XIIe
siècle : carrefour des civilisations » qui traitait entre autres du
monde musulman, a été remplacé par un chapitre sur « La civilisation
rurale dans l’Occident chrétien médiéval, du IXe au XIIIe siècle ».
« L’espace méditerranéen n’est plus étudié, c’est quand même un comble
dans une ville comme Marseille », remarque Nicolas Sueur, enseignant
d’histoire-géo à Saint-Exupéry et élu Snes au CA. Il trouve le
programme « européo-centré » et y voit « un retour à une histoire très
XIXe siècle, qui met en avant les grands hommes qui font l’histoire et
délaisse les groupes sociaux ».
Dernier point d’achoppement, le décret du 27 janvier 2010 sur
l’organisation et le fonctionnement des établissements publics locaux
d’enseignement crée, selon Alain Barlatier, secrétaire académique adjoint du Snes,
« une gestion autoritaire des collèges et lycées ». Le décret précise les
missions du conseil pédagogique, un organe créé en 2004 et composé
d’enseignants désignés par le chef d’établissement. « Au détriment du
conseil d’administration composé lui de personnes élues par leurs
pairs », estime Alain Barlatier qui craint « la mise en place de petits
chefs alors que jusqu’ici il n’y avait pas de hiérarchie entre les
enseignants ».
« Pas du tout, proteste Catherine Petitot. C’est remettre
la pédagogie au cœur des établissements et c’est une force de
proposition, pas une remise en cause des instances réglementaires de
l’établissement. » Autre modification, en cas de désaccord entre le
conseil d’administration et le chef d’établissement sur la répartition
des moyens entre discipline et postes, celui-ci aura désormais le
dernier mot. Auparavant, c’était le recteur ou l’inspecteur d’académie
qui tranchait.