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Un “nouveau” Conseil pour les sciences humaines et sociales - Association Nationale des Candidats aux Métiers de la Science Politique, 13 janvier 2010
jeudi 4 mars 2010, par
Pour lire cette analyse du CDHSS sur le site de l’ANCMSP.
Les sciences humaines et sociales ont déjà fait l’objet de nombreux rapports publics ; elles apparaissent également dans les statistiques de l’enseignement supérieur et de la recherche ; enfin, des dossiers et articles, comme ceux que l’ANCMSP publie régulièrement, sont régulièrement publiés pour alerter sur leur état de délabrement. Qu’à cela ne tienne, un nouveau Conseil “SHS” a vu le jour en septembre. Au programme : nouveaux diagnostics, nouveaux constats… Enfin, pas tant que ça.
Suite aux mobilisations universitaires de l’année 2009, le discours médiatique n’a pas manqué de souligner que les étudiants et personnels des filières de sciences humaines et sociales (SHS) avaient été les plus nombreux à protester contre les réformes qui annoncent une réduction supplémentaire de leurs autonomie et de leur capacité de travail.
En réponse à ce problème, le discours politique s’est équipé d’un dispositif qui ne mange (presque) pas de pain : la réinstallation d’un Conseil pour le Développement des Humanités et des Sciences Sociales (CDHSS), chargé de faire évoluer ces disciplines vers de meilleurs horizons en termes d’attractivité et d’emploi. En 1998, Claude Allègre avait déjà versé dans ce type d’initiative, avec le succès général qu’on lui connaît en matière de politique de recherche. Six ans plus tard, l’ensemble du secteur concerné organisait des États Généraux pour dénoncer la réduction de ses moyens de fonctionnement et l’absence de vision stratégique.
En septembre 2009, à mi-mandat d’une présidence "de rupture", la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a donc choisi de poursuivre l’exercice de style qui consiste à créer des commissions pour mieux encadrer la disparition des moyens matériels et humains, et a présenté les objectifs de son Conseil dans un discours de rentrée qui prête parfois à sourire, par exemple lorsqu’il cite les Maisons des Sciences de l’Homme ou les Instituts d’Études Avancées comme les fleurons de la recherche française en SHS alors que ces établissements sont régulièrement menacés de fermeture par le retrait des financements publics, comme c’était encore récemment le cas à Berlin.
Sur la forme, la démarche de Valérie Pécresse n’est que marginalement plus audacieuse que celle de Claude Allègre, comme le montre la composition des deux conseils (section 1). Sur le fond, les discours lénifiants à la sauce marketing-managériale ont de toute évidence de beaux jours devant eux (section 2).
Petit exercice de composition
L’histoire s’apprête certes à devenir une "option" pour la moitié des bacheliers français, toujours est-il qu’elle a parfois une forme d’intérêt.
Rappelons la composition du Conseil "Allègre" de 1998 [1] : sur 28 membres, 6 femmes seulement, et une sur-représentation du Collège de France et de Paris. À l’identique, le "Conseil Pécresse" ne contient que 5 femmes sur 21 membres et sur-représente les grandes institutions parisiennes (EHESS, HEC, École des Mines, ENS, Sorbonne), à hauteur de 15 membres ; en conséquence, moins de la moitié des membres travaillent quotidiennement à l’Université, mais sont censés en posséder une "connaissance intime", dans les termes de la Ministre.
Les deux Conseils sont par ailleurs composés exclusivement de professeurs et des directeurs de recherche : on ne compte aucun jeune chercheur, même au grade de maître de conférences. D’ailleurs, le terme "jeune" apparaît une seule fois dans le discours de la Ministre, lorsqu’en dernière page, elle évoque les "débuts de carrière des jeunes doctorants". Peut-être a-t-elle voulu dire des jeunes docteurs. On ne le saura probablement jamais.
Les seules innovations du Conseil 2009 tiennent au nombre de membres étrangers, passé de 2 à 4 [2], et au secteur professionnel des personnalités qualifiées : alors que le Conseil 1998 comptait 2 représentants du secteur public et une personnalité médiatique, le Conseil 2009 a qualifié un représentant du secteur public, deux figures médiatiques, et surtout deux patrons, venus du monde de l’audit et du yaourt [3].
Vu du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, le monde "universitaire" et le "monde socio-économique", expression utilisée par la Ministre pour désigner les personnes qualifiées [4], sont ainsi faits. Peu de dents ont grincé, sauf celles des disciplines oubliées dans la composition du Conseil, qui ne voient rien d’autre à y redire que “nous n’y sommes pas”…
De même, sur la méthode de travail, peu de contestation jusqu’à présent, alors que le Conseil s’apprête à rencontrer d’autres hommes blancs, âgés, issus cette fois-ci de l’élite bureaucratique de l’enseignement supérieur [5]. Seule organisation à réagir à ce jour, la Conférence des Doyens et Directeurs d’UFR Lettres Langues Arts Sciences Humaines et Sociales (CDUL) a vivement protesté lorsqu’elle a appris qu’un seul directeur de composante “Lettres et Sciences Humaines” avait été auditionné dans le cadre des travaux du Conseil.
Si les nouvelles — mais si prévisibles… — composition et méthodes de travail du Conseil soulève inévitablement la question de sa représentativité et de sa capacité à prendre en compte la réalité de l’ensemble du système d’enseignement et de recherche français, d’autres interrogations restent en suspens.
Mainstream et marketing
Le discours du 2 septembre 2009 fixe plusieurs objectifs du CDHSS. Le premier consiste à obtenir des sciences sociales ce que l’on obtient également du tourisme, du commerce de spiritueux et de la vente d’avions de chasse, c’est-à-dire en faire “un atout […] pour la compétitivité de notre pays”, d’asseoir leur “utilité” et d’augmenter leur “visibilité internationale”. Le deuxième consiste à en faire un remède poétique aux troubles actuels : bien que “souvent marginalisées dans un monde où règnerait la seule loi de l’utilité immédiate”, les sciences sociales peuvent en fait “nous éclairer” en nous aidant, par exemple, “à penser la crise”, ou encore en devenant “les pionnières de la professionnalisation par les compétences” valorisées dans le secteur privé.
L’orientation du discours confine donc les SHS à rejoindre la dynamique propre du marché économique. Compétence, évaluation, utilité : la formation universitaire en SHS doit se destiner à servir le marché de l’emploi, sans refuser aucune "ouverture professionnelle" au nom de "la gratuité du savoir et de la culture", et en évitant de s’enfermer dans "des débats qui, très vite, pourraient se révéler stériles". L’enchaînement de ces prémisses mériterait certes de se demander si la Ministre manie le non sequitur par volonté ou par accident, mais la stérilité du débat qui s’annonce sur ce point invite plutôt à une forme silencieuse de consternation, et que ce type de discours, en plus d’être logiquement incohérent, est donc également non vérifié dans les faits..
Lors de sa première réunion de travail, le Conseil a défini trois thèmes pour structurer ses travaux : l’existence – ou non – d’une spécificité des sciences sociales au regard de l’ensemble de la recherche, la pratique de l’évaluation et l’“employabilité” des diplômés. Les objectifs de travail du Conseil, tels que formulés par sa présidente, Marie-Claude Maurel (directrice de recherche à l’EHESS), sont parsemés de références à la “compétitivité”, à “l’évaluation multidimensionnelle”, à “l’ouverture sur la société et l’économie”, sans oublier les indispensables stages de formation et d’insertion professionnelle, preuve s’il en fallait que les universitaires sont tout à fait à même de produire la même resucée marketing sur l’emploi des jeunes diplômés que leurs collègues du secteur privé. Il suffisait de leur demander.
Il faut rappeler une nouvelle fois que l’ensemble de ces questions sur "l’insertion professionnelle des étudiants" seront débattues en l’absence du moindre étudiant, ou jeune chercheur, ou même jeune enseignant-chercheur. Aucune discussion ne semble prévue sur les aspects concrets du financement et de l’emploi dans le secteur de la recherche, alors même que des études récentes indiquent que la dépense intérieure de recherche et de développement en France la classe dans les pays les plus faiblement investisseurs de la zone OCDE [6], que le secteur privé embauche cinq fois moins de docteurs qu’en Allemagne ou aux États-Unis, et que la France persiste à former beaucoup moins de docteurs que l’Allemagne ou le Royaume-Uni [7].
Réalités pratiques
De retour dans la réalité après cette envolée planante dans les hautes sphères ministérielles, l’ANCMSP constate que Valérie Pécresse se plaint, dans son discours, de l’existence de "filières sans débouchés", typiquement situées parmi les filières SHS [8]. L’ANCMSP invite donc Valérie Pécresse à faire des SHS des "filières à débouchés" de deux manières : en rétablissant les crédits de l’enseignement supérieur et de la recherche, afin que l’emploi scientifique redevienne une branche attractive du marché du travail (plus de postes, mieux payés) ; et en réservant des postes aux docteurs parmi la haute fonction publique, comme cela se fait en Allemagne et comme le recommandent l’Académie des Sciences, les syndicats et les associations du secteur [9].
[1] Source : Journal Officiel du 22 octobre 1998 (NOR : MENB9802787A).
[2] À noter que ces personnalités représentent notamment le système allemand, l’un des plus mandarinaux en Europe, et le système italien, l’un des plus gravement touchés par le manque de financement, comme l’ont rappelé les grèves récentes.
[3] Il s’agit, respectivement, des présidents de Danone et de PriceWaterhouseCoopers France. Source : site Internet du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.
[5] Dans le texte : "les membres du conseil se proposent de rencontrer des directeurs d’unités, des responsables de formation, des présidents d’universités susceptibles de leur apporter une vision concrète des problèmes." (source : compte-rendu du 23 septembre 2009).
[6] Source : rapport Audier-Douillard, 2009, ch. 2.
[7] Source : Henri Audier, “Jeunes scientifiques : un enjeu prioritaire”, VRS n°372, 2008 ; voir également l’article de Matthieu Hély et Sophie Pochic dans le même numéro, et celui de Danielle Blondel dans VRS n°366, 2008.
[8] Les enquêtes statistiques montrent que le taux de chômage en sciences de la vie y est identique, sinon supérieur, mais ce type de détail n’apparaît pas dans le discours ministériel.
[9] Voir, respectivement les rapports Schwartz, 2008, Audier-Douillard, 2009, et SLR-JC/ANDèS/CJC, 2008.