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Élections régionales 2010 : ce que les chercheurs scientifiques attendent des élus régionaux - Communiqué du SNCS-FSU (11 mars 2010)
jeudi 11 mars 2010, par
Pour lire ce communiqué sur le site du SNCS.
À l’occasion des élections régionales 2010, le bureau national du SNCS-FSU présente ici une analyse rapide de ce qu’il attend de la politique des régions en matière de recherche. Cette analyse ne peut être définitive dans un contexte où les réformes (Lois « Pacte pour la recherche » puis « Libertés et Responsabilités des Universités ») et leurs avatars (plan campus, campus d’excellence, grand emprunt) déstabilisent chaque jour un peu plus, les universités et les organismes de recherche, pour les soumettre à des intérêts politiques et économiques à court terme. Dans ce contexte, les régions peuvent accentuer la politique ultralibérale qui conduira à la casse de l’enseignement et de la recherche publics, ou alors se positionner clairement pour éviter le pire de ces réformes, dans l’attente de pouvoir instaurer une autre politique.
Un soutien à la recherche qui ne soit pas une Nième déclinaison de la stérilisante et ultralibérale « culture de projet »
À l’heure de briguer le suffrage des électeurs, les responsables politiques, soucieux de mettre en avant des réalisations phares, cherchent généralement à soutenir des projets dont la qualité première est la visibilité. À ce titre, les candidats aux régionales, en charge du développement économique et social ne peuvent faire l’impasse sur la recherche. Mais actuellement, quel est le rôle des régions, quels sont leurs implications et leurs champs d’action exacts dans ce secteur ?
Depuis 2005, sous les gouvernements Raffarin, Villepin et Fillon, les lois Pacte pour la Recherche et Libertés et Responsabilités des Universités ont changé l’organisation structurelle de la recherche française, avec l’idée de privilégier une douzaine de campus universitaires, appelés à avoir un rayonnement mondial. Cette politique met en concurrence les sites universitaires favorisant ceux qui ont une forte visibilité en recherche grâce à la présence des organismes de recherche, au détriment de ceux plus centrés sur les activités d’enseignement et de formations. Cette organisation d’essence concurrentielle et ultralibérale met en difficulté les régions n’ayant pas de sites universitaires répondant aux critères des « plans campus » et « autres campus d’excellence ».
En plus de ce facteur déstabilisant, le contexte politique national met en opposition l’État central, souhaitant déléguer ses charges tout en contrôlant de près les décisions, et les régions qui se retrouvent dans de nombreux cas en position de donneurs d’ordre. La recherche n’y échappe pas. Ainsi à de notables exceptions, comme le soutien à la construction de grands instruments réellement attendus par la communauté scientifique, ce souci politique entraîne facilement les régions à lancer leurs propres appels à projets, voire à les encadrer dans des frontières qui risquent de constituer de nouvelles entraves à l’indispensable liberté intellectuelle des chercheurs. Le caractère dangereusement étroit de ce qui se voudrait une politique régionale de la recherche est précisément ce qui avait fait rejeter par les scientifiques la réforme du CNRS de 2005, que notre syndicat avait combattue.
Il est donc particulièrement nécessaire de dire aux futurs élus régionaux, dont la bonne volonté en faveur de la recherche doit naturellement être accueillie favorablement, ce que les régions peuvent réellement faire d’utile en faveur de la recherche, en liaison avec ce qu’elles font pour l’enseignement supérieur.
Dans un contexte où les organismes de recherche peinent à affirmer leurs présences à l’échelon régional, les conseils régionaux se sont dotés lors de la dernière mandature de schémas régionaux de l’enseignement supérieur et de la recherche, les positionnant comme des décideurs à même de peser sur la structuration régionale de la recherche. Il faut veiller à ce que les régions ne deviennent pas des opérateurs de recherche par défaut. En revanche, elles doivent se positionner comme des acteurs soutenant régionalement les recherches qui y sont menées et comme des décideurs pour ce qu’elles jugent utile pour leur développement économique. Notre conviction profonde est que la recherche scientifique est un des rôles majeurs de l’État. Son rôle est donc déterminant, car l’effort de recherche doit avant tout être effectué au niveau national - en attendant un monde meilleur où la recherche, qui ne se conçoit que dans l’intérêt de l’humanité tout entière, sera soutenue de façon satisfaisante aux niveaux européen et mondial. Par ailleurs, comme dans bien d’autres domaines, il ne faut pas que l’action des régions en faveur de la recherche serve de prétexte au désengagement national. En particulier, les chercheurs scientifiques, dont l’activité est par nature risquée et dont la liberté académique doit rester entière, doivent continuer à être protégés par un statut de fonctionnaires publics nationaux, sous la tutelle d’établissements publics tout autant nationaux.
Le Comité consultatif régional de recherche et de développement technologique
Le code des collectivités territoriales (article R4252-1) prévoit qu’un Comité consultatif régional de recherche et de développement technologique (CCRRDT) soit institué dans chaque région. Ce conseil peut et doit être l’instrument permettant aux régions d’éviter les écueils précédemment signalés.
Selon les termes de la loi, le CCRRDT doit être constitué de représentants des différents secteurs de la recherche et du développement technologique de la région (50 %) et des organisations syndicales représentatives des salariés et employés dans la région (25 %) ainsi que de personnalités choisies en fonction de leur participation à l’expansion de la région (25 %). Il faut que les futurs conseillers régionaux s’engagent à constituer le CCRRDT de façon équilibrée et représentative et que les décisions régionales en matière de recherche soient prises après discussions faisant intervenir les véritables acteurs scientifiques présents dans la région (sans préjudice de l’intervention éventuelle d’experts scientifiques extérieurs). La région n’a pas forcément vocation - à son échelle, elle manque généralement de points de comparaison - à lancer systématiquement des appels à projets. Elle doit veiller à ce que les administrations régionales mises en place pour interagir avec la communauté scientifique œuvrent dans un souci de synergie et de coopération, dans la continuité des actions définies par le CCRRDT. En revanche, la région ne doit pas craindre de soutenir l’activité de ses chercheurs déjà reconnus aux niveaux national et international, car cela peut être le meilleur moyen de faire croître d’excellents centres de recherche implantés sur son territoire, susceptibles non seulement d’intéresser à la fois les meilleurs étudiants locaux et d’en attirer d’autres mais aussi de contribuer à sa dynamique d’ensemble économique, social et culturel. Enfin, en coopération avec les organismes de recherche et les universités, elle peut aussi soutenir l’émergence de jeunes chercheurs ou l’insertion de chercheurs internationaux, en favorisant par exemple pour ces derniers la venue de leurs familles.
Le financement des infrastructures de recherche et d’enseignement supérieur
Les contrats de plan État-Région ont aidé à faire des régions des acteurs majeurs du soutien aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Cet engagement des régions a été, en général, une réussite et sa poursuite, à travers les contrats de projet État-Région, doit être encouragée dans toutes les directions où elle peut être utile (bâtiments, équipements, bibliothèques, moyens de diffusion de l’information scientifique), tout en prenant garde une fois de plus à ce que cela ne serve pas de prétexte au désengagement de l’État. Il faut aussi veiller à ce que les régions ne contredisent pas les priorités nationales définies par les organismes de recherche.
Le financement des colloques
Le financement des colloques, qui constituent une part non négligeable des dépenses de recherche, est une action où les régions peuvent à la fois soutenir significativement la recherche et trouver un intérêt économique évident. Le choix des colloques à financer ne doit pas être arbitraire, mais typiquement ressortir des attributions des CCRRDT.
Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur
Les Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur (17 existent aujourd’hui) épousent, le plus souvent, la géographie des régions. Du coup, ces dernières, à la recherche de visibilité et d’attractivité, s’activent pour leur mise en place. Les PRES associent aujourd’hui universités et parfois grandes écoles dans une même structure qui a pour vocation de mutualiser leurs activités et moyens. Il est possible d’imaginer qu’à moyen terme les organismes de recherche contractualisent directement avec les PRES. Dans tous les cas, le SNCS défend des organismes de recherche forts qui, sur la base d’une politique scientifique nationale, contractualisent avec des universités, elles-mêmes fortes d’une politique scientifique qui, par définition, sera plus orientée par des impératifs régionaux. Les régions ont un rôle à jouer dans ces orientations, mais elles ne doivent pas en être le donneur d’ordre, pas plus que l’État vis-à-vis des politiques scientifiques nationales des organismes de recherche.
L’aide à l’emploi scientifique
Le financement de salaires de doctorants - soit en totalité, soit à 50 % avec un autre financeur (organismes de recherche, entreprises...) - est une action où à la fois la région et les étudiants peuvent trouver leur compte. Mais il n’est pas souhaitable que les régions financent des emplois de chercheurs postdoctoraux (c’est-à-dire des CDD), car ce serait augmenter encore l’emploi précaire largement soutenu par les politiques actuelles, dont celles des recherches financées sur projets (ANR...). Les régions pourraient utilement en revanche créer des incitations à l’embauche stable des scientifiques en motivant par exemple les entreprises implantées localement à augmenter leur activité de recherche et de développement. Le développement économique est bien un des rôles des régions et passe par l’augmentation de l’emploi scientifique dans les PME tout aussi bien que par les pôles de compétitivité.
Le soutien aux transferts de découvertes de la recherche
Le transfert des découvertes de la recherche vers l’innovation technique suit un processus complexe, aux résultats souvent très aléatoires. Les régions doivent donc comprendre que ce n’est pas en soutenant seulement les recherches a priori susceptibles d’application qu’elles font le meilleur investissement pour l’avenir. L’économie d’une région se nourrit d’ailleurs moins de l’importance de sa recherche appliquée que d’un cadre général dans lequel l’ensemble de la recherche est favorisé. Ponctuellement, certains programmes de recherche générateurs d’applications n’arrivent pas à trouver les moyens de sauter le pas vers l’innovation. Les régions peuvent utilement offrir là un soutien, en prenant par exemple en charge tout ou partie du coût des brevets ou en incitant à l’établissement de passerelles recherche-industrie. Mais ces aides ponctuelles « à l’arrivée » ne doivent pas exonérer la région de la nécessité d’un soutien global à la recherche fondamentale, y compris aux laboratoires effectuant des recherches dont les applications potentielles ne sont pas encore effectives, ou qui assurent la formation de femmes et d‘hommes compétents. Il est cependant important de redire que de tels soutiens ne doivent pas être prétexte pour les régions de devenir le pilote, voire l’infrastructure organisationnelle, des laboratoires de recherche.
La mise en place du « grand emprunt » sera un outil supplémentaire de pilotage de l’État, dénoncé dès son annonce par le SNCS. Piégées pour obtenir le « label d’université d’excellence », label relié à l’organisation de la valorisation, les régions, si elles ne résistent pas, seront obligées d’accentuer le pilotage des politiques de recherche et d’enseignement supérieur.
Il est en effet prévu de créer dans chaque région une « Société pour l’Accélération du Transfert de Technologie » (SATT) qui sont des Sociétés à Action Simplifiées, chargées a minima de servir de fonds de maturation des projets d’innovation. Le rôle de ces SATT pourrait dériver rapidement vers la gestion de tous les contrats des laboratoires publics avec les entreprises, voire des contrats académiques (ANR, PCRD...). Nous demandons aux futurs conseillers régionaux de ne pas cautionner une telle dérive, qui est un outil supplémentaire pour casser les universités et les organismes de recherche !
L’aide matérielle aux acteurs de la recherche, citoyens comme les autres
Outre le soutien aux étudiants, la région a un rôle naturel à jouer dans l’action sociale en faveur de la recherche. Les grandes manœuvres gouvernementales font trop oublier, dans le secteur de la recherche comme dans tant d’autres, que les succès sont d’abord l’œuvre d’acteurs humains. Or ces acteurs ont besoin, comme tous les citoyens, de logements à des prix abordables pour leurs salaires et de moyens de transport, par exemple. On fait difficilement de la bonne recherche lorsqu’on doit s’épuiser deux heures par jour dans des trains bondés ! On peine à faire une bonne thèse lorsqu’on ne dispose pas, au minimum, d’un logement d’étudiant décent et pas trop éloigné de son laboratoire.
L’ « opération d’intérêt national » de Saclay en région Île-de-France est à cet égard une caricature : on n’offre aux chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs, techniciens et étudiants que la perspective d’un « réseau de transport » entrant en service dans un quart de siècle, alors qu’on prétend rassembler d’innombrables scientifiques sur un plateau aux infrastructures de transport saturées, dans un coin excentré d’une région française déjà hypertrophiée ! À rebours de cette caricature, les régions doivent mesurer très précisément les besoins réels des citoyens en matière de logements et de transport et y répondre, ou les satisfaire par une planification intelligente.
Une valorisation citoyenne des recherches subventionnées par la région
Pour les thèses de doctorat, les colloques, les recherches, financés ou co-financés sur crédits régionaux, le SNCS est favorable à ce que les régions assujettissent l’accord de leurs subventions à une clause contractuelle incitant, voire obligeant, les bénéficiaires à publier en archive ouverte les résultats (thèses, actes de colloques, rapport de recherche...), dans le respect des droits des auteurs, afin de permettre aux citoyens d’avoir libre accès aux travaux qu’ils financent.
Une prise en compte sociale de la recherche
Au-delà des actions directes - de celles qui peuvent illustrer un programme électoral ou un bilan -, le monde de la recherche attend aussi des politiques une certaine reconnaissance dans la conduite même de leur politique générale. La question classique de l’utilité de la recherche peut ici, à bon droit, être retournée vers les décideurs : que faites-vous des résultats que nous, chercheurs, produisons ?
Ainsi, des travaux du GIEC, les décideurs politiques ont tiré le « Grenelle de l’environnement ». Mais, ce bel exercice terminé, on reprend presque aussitôt les mauvaises habitudes de gaspillage de l’environnement.
Quelles leçons, en effet, a-t-on retenues lorsqu’on prétend bétonner le plateau de Saclay, où se trouvent des terres agricoles parmi les plus fertiles de France, alors qu’il y a en région parisienne tant de friches industrielles à recycler, sans doute plus centrales ?
Quand commencera-t-on à écouter les chercheurs en cessant de construire dans des zones inondables ?
Quand écoutera-t-on les sociologues et les économistes pour mener une autre politique d’intégration sociale et culturelle ?
Quand croira-t-on les experts, lorsqu’ils prévoient que tel transport collectif n’ira pas plus vite que celui qu’il remplace ? Ou lorsqu’ils argumentent du meilleur moyen de transporter des marchandises au lieu de développer les moyens du transport routier ?
Quand se dépêchera-t-on, pendant qu’il est encore temps, d’assurer une transition progressive vers des modes de vie plus économes en énergie ?
Quand, au lieu de vouloir frapper les particuliers d’une taxe carbone, leur offrira-t-on les possibilités d’inventer des alternatives réelles de transport à l’automobile à pétrole ou à gaz comme moyen de transport ?
Quand, au lieu de développer des infrastructures permettant l’éclatement de l’habitat sur le territoire, fera-t-on en sorte de mettre en œuvre une politique du développement durable qui, dans ce domaine, conduit à recentrer les villes ?
Quand protègera-t-on la biodiversité avant qu’il se soit trop tard, alors que les politiques actuelles agricoles et d’aménagement du territoire conduisent un peu plus chaque jour à son effondrement ?
Cette liste de questions pourrait être développée longuement sur de nombreux sujets de société. La recherche produit beaucoup de résultats. Elle en produit beaucoup qui ne sont pas directement exploitables. Elle en produit aussi qui devraient donner lieu à l’infléchissement immédiat de certaines politiques. Toutes ne sont pas du ressort des régions, mais les dirigeant(e)s des régions françaises peuvent, en certains domaines, montrer l’exemple de l’intelligence. C’est cela aussi qu’attend de ses élus régionaux, la communauté scientifique.