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Le pilotage des universités autonomes : au service des universitaires - Laurent Batsch, Le Monde (Point de vue), 31 mai 2010
lundi 31 mai 2010, par
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La gouvernance de l’université doit concilier deux logiques : celle de la science et celle du pilotage. La tension entre ces deux logiques est riche de progrès, elle est aussi porteuse de risques.
La compétence appartient à la communauté scientifique : les recrutements, les axes de la politique scientifique, l’évolution des formations et l’évaluation des performances doivent relever des spécialistes. C’est la condition de la qualité, et c’est une règle en vigueur dans tous les systèmes universitaires, quels que soient leur gouvernance et leur financement. Si le débat a émergé sur la gouvernance des universités, c’est en raison de deux évolutions profondes.
En premier lieu, la compétition entre les établissements internationaux a fait surgir la nécessité d’une dynamique collective au niveau de chaque établissement, qui a pu être ressentie comme une menace sur l’exercice des libertés académiques individuelles. Il est vrai que les choix individuels doivent s’inscrire dans un programme collectif, mais le projet d’établissement est élaboré et porté par la communauté universitaire. La dynamique de l’établissement élargit le champ des possibles pour les individus, en même temps qu’elle les invite à chercher une plus grande cohérence d’ensemble.
Une seconde évolution, celle du fonctionnement des universités, est venue percuter les modes traditionnels de gouvernance. Il y a belle lurette que la vie universitaire ne se réduit plus à mettre des bataillons d’étudiants dans un amphi devant un professeur qui lit son polycopié. Les formations ont été multipliées et professionnalisées. Les modalités pédagogiques se sont considérablement différenciées. Les prestations qui encadrent l’enseignement stricto sensu se sont étendues. Les attentes sur la qualité des services se sont accrues. La technicité des fonctions de support s’est élevée. Les sources de financement se sont diversifiées. Les échanges internationaux ont pris une place éminente. La valorisation de la recherche est entrée dans les mœurs. Et dans le même temps, les enseignants-chercheurs de plus en plus sollicités par les exigences de la recherche doivent arbitrer dans l’allocation de leur temps. Il s’ensuit que les fonctions de soutien et de pilotage de l’université se sont professionnalisées, alors que la disponibilité des universitaires pour les assumer s’est réduite. D’où la crainte de certains d’entre eux qu’une logique technocratique ne vienne s’imposer à l’exercice des prérogatives académiques.
LA DIFFÉRENCIATION DES RÔLES LIBÈRE LES UNIVERSITAIRES
Il y a donc la conjonction des deux facteurs : la promotion d’une dynamique collective d’établissement d’une part, et le recentrage des enseignants-chercheurs sur leur cœur de métier d’autre part. La loi LRU [portant sur l’autonomie des universités] et le décret sur les obligations de service des enseignants-chercheurs ont cristallisé une réaction à ces deux tendances longues.
Mais au nom de quoi faudrait-il récuser l’évolution ? Est-il attentatoire aux libertés individuelles qu’un établissement décide collectivement de ses priorités scientifiques et organise librement ses recrutements en fonction de ses objectifs ? Doit-on regretter que les enseignants-chercheurs mettent tous leurs efforts et tout leur temps sur l’enseignement et la recherche qui sont leur raison d’être et de travailler ? Faut-il déplorer la montée en puissance des fonctions de pilotage dont dépend de plus en plus la qualité des services rendus à tous ? Veut-on se réfugier dans les bras de l’Etat central au motif affiché qu’il est "le garant", à moins qu’on ne compte sur sa vacuité pour préserver le "chacun pour soi" ? Faut-il craindre la conduite collective des missions de l’université sur le terrain par ceux-là mêmes qui les assurent ?
L’évolution de notre système universitaire conduit inexorablement à une différenciation accrue des rôles dans l’université, qu’il convient d’assumer et de maîtriser. Aux universitaires revient la direction de la politique scientifique, tant en matière de recherche que de formation. Et la centralité de cette mission justifie la primauté accordée à la représentation des enseignants-chercheurs dans les instances décisionnelles. Par ailleurs, le pilotage de l’organisation et la dimension stratégique de son projet ne peuvent plus reposer sur l’investissement des seuls enseignants-chercheurs. Ceux-ci ont besoin de s’adosser à l’activité de cadres administratifs et techniques de haut niveau et de s’appuyer sur le conseil de personnalités ouvertes sur l’évolution de l’environnement économique et social au niveau international. Si elle est bien pensée et codifiée, la différenciation des rôles ne réduit nullement l’espace des libertés académiques : au contraire, elle libère les universitaires de contraintes administratives et elle améliore les conditions d’exercice de leur métier.
Ce n’est donc pas dans la réaction à l’autonomie de l’université qu’il faut chercher une voie d’avenir, mais plutôt dans l’accompagnement de l’évolution des conditions d’exercice du métier d’enseignant-chercheur, puisqu’il s’agit de cela. Parce qu’elle est un levier d’amélioration du pilotage des universités, l’autonomie est un excellent service rendu aux professionnels de l’enseignement et de la recherche : les universitaires.
Laurent Batsch est président de l’université Paris-Dauphine.