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Philippe Meirieu : « Très inquiet pour le service public de l’Éducation nationale » - VousNousIls, 18 juin 2010

samedi 19 juin 2010, par Laurence

Professeur des uni­ver­si­tés en sciences de l’éducation, Philippe Meirieu connaît par­fai­te­ment le monde éduca­tif. Pour VousNousIls, le plus célèbre des péda­gogues fran­çais dresse l’état des lieux sans com­plai­sance d’un sys­tème qu’il juge menacé.

Quel regard portez-vous sur l’année sco­laire qui s’achève ?

Ce fut une année extrê­me­ment chao­tique, qui débouche sur des pers­pec­tives très pré­oc­cu­pantes dans tous les domaines. Quelques ini­tia­tives ponc­tuelles, comme les états géné­raux sur la sécu­rité à l’école ou la réflexion sur les rythmes sco­laires, auraient pu lais­ser augu­rer d’intéressantes pos­si­bi­li­tés. J’ai même eu l’impression que le ministre avait entendu cer­tains des pro­blèmes des ensei­gnants et du sys­tème sco­laire. Mais la réa­lité de la ges­tion quo­ti­dienne est en déca­lage com­plet avec des pro­pos qui relèvent de lieux com­muns. Au point que je m’interroge : est-ce bien le même homme qui parle dans les confé­rences de presse et qui donne les ordres à son ministère ?

Que vous ins­pire la réforme de la for­ma­tion des enseignants ?

De très grandes inquié­tudes, en par­ti­cu­lier pour les futurs ensei­gnants du secon­daire. Elles sont un peu moins vives pour le pro­fes­so­rat des écoles dans la mesure où, dans cer­taines aca­dé­mies, nous pou­vons abou­tir à des ini­tia­tives inté­res­santes et des Master plu­tôt bien montés.

Il y aura cepen­dant doré­na­vant une grande inéga­lité de trai­te­ment sur les ter­ri­toires, voire entre les uni­ver­si­tés dans un même ter­ri­toire. Il y aura égale­ment une alter­nance moins struc­tu­rée, moins orga­ni­sée, un recru­te­ment effec­tué sans avoir pu obser­ver la per­sonne en situa­tion devant des élèves…

En quoi cette réforme est-elle plus pré­oc­cu­pante pour le secondaire ?

La for­ma­tion péda­go­gique des ensei­gnants du second degré est tota­le­ment sacri­fiée dans la mise en place des Master ; cela relève, à mes yeux, d’un sabo­tage. On peut ima­gi­ner que les choses pour­ront se faire de façon un peu plus accep­table, quoique déjà dis­cu­table, au niveau du lycée. Mais on se pré­pare à envoyer dans les col­lèges, en par­ti­cu­lier dans les plus dif­fi­ciles, des ensei­gnants qui n’auront qu’un choix : celui de la répres­sion ou de la dépres­sion ! Le moins que l’on puisse dire, en effet, est qu’ils ne seront abso­lu­ment pas armés pour faire face aux situa­tions qu’ils vont y rencontrer.

Enfin, je vou­drais sou­li­gner un point qui ne l’est pas suf­fi­sam­ment à mes yeux : cette for­ma­tion ini­tiale ampu­tée arrive dans un pay­sage où la for­ma­tion conti­nue du corps ensei­gnant est déjà com­plè­te­ment sinistrée.

La réforme du lycée entrera pro­gres­si­ve­ment en vigueur à par­tir de la ren­trée pro­chaine. Qu’en pensez-vous ?

Là encore, elle com­porte un cer­tain nombre de points, comme le tronc com­mun en seconde, qui peuvent consti­tuer des éléments posi­tifs. Mais je l’aurais sou­hai­tée plus har­die, à la hau­teur des enjeux du lycée, avec une vraie seconde de déter­mi­na­tion, la mise en place véri­table d’une éduca­tion au choix chez les élèves…

Or, on assiste à des ajus­te­ments tech­niques et cos­mé­tiques, à peine lisibles, dont l’application relè­vera de la stricte bonne volonté des indi­vi­dus ou des équipes qui pour­ront, ici ou là, s’en empa­rer pour réa­li­ser des choses inté­res­santes. La réforme ne me paraît donc pas consti­tuer en elle-même un outil sus­cep­tible de faire pro­gres­ser signi­fi­ca­ti­ve­ment le sys­tème scolaire.

D’autant qu’elle inter­vient dans le contexte extrê­me­ment pré­oc­cu­pant de la dimi­nu­tion dras­tique des postes, qui pèse comme une chape de plomb sur le moral de l’Éducation natio­nale. J’aurais, par ailleurs, voulu qu’on pense l’évolution en inté­grant les lycées géné­raux, tech­no­lo­giques et pro­fes­sion­nels. Or la voie pro­fes­sion­nelle a été trai­tée sépa­ré­ment, et cette réforme du bac pro me paraît avoir été très mal­adroi­te­ment gérée.

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