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La loi Pécresse et ses impasses, Jean Fabbri, Le Monde, 22 juin 2010
mercredi 23 juin 2010, par
Voici plus de trois ans que l’un des premiers processus législatifs engagé par le gouvernement Fillon, quelques jours après l’élection de l’actuel chef de l’Etat, venait en débat à l’Assemblée.
Affichée comme l’un des socles de la législature, selon le premier ministre, la loi pompeusement baptisée "Libertés et responsabilités des universités", connaîtrait-elle à petit bruit le même sort que le trop fameux "bouclier fiscal" adopté dans le même temps ?
Il ne se passe pas un jour sans que l’ensemble du projet libéral visant le monde de la recherche et de l’enseignement supérieur subisse des à-coups et revers qui, petit à petit, le minent.
Ces deniers temps, le Conseil d’Etat, la Cour des comptes…, bientôt le Conseil constitutionnel – ce dernier pourtant non saisi avant la promulgation de la loi LRU par les parlementaires socialistes – s’emparent de divers aspects pointés du doigt depuis l’origine par nombre d’universitaires et singulièrement par leur syndicat le plus représentatif, le Snesup-FSU. Les modalités de recrutement des enseignants-chercheurs et, in fine, le droit de veto des présidents d’université, les distorsions de leur statut et de leurs obligations de service d’enseignement liées aux évolutions institutionnelles inégales des établissements qui pourraient d’ici trois mois être censurées par le Conseil constitutionnel, ne sont que l’une des dimensions juridiques. Sur un autre plan, l’empilement, étroitement contraint par le ministère des structures de PRES (Pôles de recherche et d’enseignement supérieur) qui visaient à faciliter l’émergence d’un petit nombre d’établissements universitaires présentés comme compétitifs, s’avère de fait, aux yeux même des hauts fonctionnaires et magistrats, comme une incroyable machine à fabriquer de la technocratie intermédiaire, provoquant redondances et conflits de compétences.
UNIFIER L’ENSEMBLE DU POST-BAC FRANÇAIS DANS UNE VISÉE DE SERVICE PUBLIC DÉMOCRATIQUE
Alors que la ministre promouvait sa loi comme la grande opération de rapprochement du monde académique et du monde "réel", en particulier des entreprises – figures emblématiques de la société –, l’examen attentif de la présence réelle des personnalités extérieures dans les conseils d’administration des universités en montre le fiasco complet, parallèle, d’ailleurs, avec le très faible rendement de la collecte de fonds via les fondations universitaires. Quant à la logique de professionalisation indifférenciée dont témoignait le slogan simpliste "des stages dans tous les cursus de Licence", elle se heurte non seulement à une crise économique d’une rare dureté pour l’entrée dans la vie active, mais à la réelle complexité d’organiser de judicieux stages bien intégrés à la fois dans les cursus universitaires et dans le tissu économique et social lorsque la reconnaissance des diplômes et qualifications n’est pas placée au cœur de la modernisation.
Il y a dès à présent deux voies pour dépasser la loi LRU. Celle de la commission Attali relève de la fuite en avant et envisage un pilotage direct de quelques universités par des PDG surveillés par un board of trustees – représentant direct des grands groupes économiques, cherchant à capter l’innovation scientifique et quelques futures élites.
Un autre chemin, puisant et renouvelant les traditions universitaires de collégialité, apparaît comme bien plus capable de mobiliser les milliers de personnels aujourd’hui désorientés, soumis à une concurrence stérilisant leur énergie et appauvrissant le pluralisme scientifique.
Les étudiants, de leur côté, mesurent l’écart immense entre les annonces et les actes, tant pour les bourses, qu’en matière de dispositifs réels de soutien dont, par exemple, l’aide à l’efficacité pédagogique de la seconde session d’examen. Tous trouvent néanmoins dans les universités, et les futurs bacheliers en feront eux aussi – très nombreux – leur stimulante et fructueuse expérience, une vitalité, une ouverture à des savoirs disciplinaires et croisés, étroitement nourris des recherches les plus actuelles, qui font la richesse du tissu universitaire public. Il est plus que temps d’unifier dans une visée de service public démocratique l’ensemble du post-bac français. C’est à cet objectif, dans des déclinaisons enfin discutées et décidées avec l’ensemble du monde scientifique, qu’il faut consacrer les moyens du budget comme ceux du grand emprunt.
Jean Fabbri, maître de conférences à l’université de Tours, ancien secrétaire général du SNESUP (de 2005 à 2009)