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Profs débutants et petit kit de survie : « Le gouvernement nous tire une balle dans le pied » - Louise Fessard, Mediapart, 1er septembre 2010
jeudi 2 septembre 2010, par
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« Je ne comprends pas trop pourquoi on nous met autant de bâtons dans les roues, on se sent abandonnés », dit Romain, 25 ans, son Capes d’histoire-géographie fraîchement en poche. A deux jours de la rentrée, cet enseignant nouvelle mouture ne sait ni quels niveaux de classe lui seront confiés, ni s’il a un tuteur, faute d’avoir pu joindre son chef d’établissement. Sur le parvis du lycée Jean-Macé, à Vitry-sur-Seine, où se déroulaient, le 30 et le 31 août, deux journées de formation pédagogique pour les enseignants débutants d’histoire-géo de l’académie de Créteil, flotte un sentiment d’incompréhension face à la réforme de la formation des enseignants.
Alors que quelque 50.000 postes de professeurs ont été supprimés depuis 2007, « on envoie au casse-pipe toute une génération », lance Thierry Aprile, maître formateur de l’université Paris-Est Créteil (Upec). « Pour un pays soi-disant fondé sur son école, c’est la honte de l’Europe, dans aucun autre pays on ne voit ça. »
Le recrutement passe en cette rentrée 2010 du niveau licence à master 1 (master 2 l’an prochain), mais dès leur première rentrée, les profs débutants doivent désormais assurer 18 heures de cours par semaine au lieu de 6 heures auparavant. Et la formation dispensée dans les IUFM, aujourd’hui intégrés dans les universités, passe à la portion congrue (une vingtaine de journées dispersées sur les vendredis pour les profs d’histoire-géo de l’académie de Créteil).
Comme les 15.000 professeurs reçus cet été aux concours de l’enseignement, Romain va donc se retrouver jeudi en face de ses élèves, à temps plein, sans avoir reçu de formation professionnelle, à part ces deux jours décrits par un des maîtres formateurs de l’Upec, Daniel Ourman, comme « un kit de survie ».
Deux jours, histoire de « commencer la vie scolaire sans se mettre en difficulté dès la première heure de cours, explique ce professeur. Car entrer en contact avec les groupes d’élèves, les faire rentrer, les placer, comment commencer le travail, tout ça n’est pas inné ». Et le détail qui fait la différence : « penser à demander les clefs et les craies en arrivant au collège », rigole Florian, 22 ans, qui a appris le 27 août qu’il s’occuperait de classes de sixième et cinquième.
Image catastrophique
Carel, 28 ans, ancien assistant d’éducation, « angoisse ». Il a calculé qu’à raison de deux heures de travail par heure de cours (« hypothèse très optimiste »), préparer ses cours pour ses cinq classes (sixième, cinquième et quatrième) lui demanderait au minimum 18 heures chaque semaine. « On ne nous a expliqué que le 31 août comment faire un cours, quelle longueur de trace écrite doivent conserver les élèves, etc., dit-il. Ça me fait très peur, je voudrais faire les choses bien, mais le gouvernement nous tire une balle dans le pied dès le début. »
Pour la plupart des stagiaires, qui ont au minimum un master 1, « le dernier contact avec l’école remonte à la terminale, qui est l’inverse de la pédagogie, là où il y a le moins de réflexion », remarque Daniel Ourman. « Nous n’avons pas eu l’occasion de faire de stage, raconte Florian. De toutes façons, préparer un concours où moins de 10% des candidats sont reçus est un boulot à temps plein. » Parmi les sujets sur lesquels ont bûché à l’oral ou à l’écrit les candidats au Capes d’histoire-géographie cette année, « pouvoir et violence dans les royaumes de France, Bourgogne et Germanie », « les Habsbourg », « l’émigration dans le monde britannique », etc. : « des thèmes souvent sans aucun rapport avec ce qu’on enseigne en collège et lycée », explique Romain.
Julien, 28 ans, a hérité pour sa part de deux terminales S et STG, en plus de sa seconde et de sa première, en contradiction avec les textes qui conseillaient aux chefs d’établissement de ne pas confier de classes à examen aux débutants. Quant à son tuteur, il enseigne dans un lycée voisin, faute d’avoir trouvé un volontaire dans son propre établissement. Le principal syndicat du secondaire, le Snes, opposé à la réforme, a en effet incité les enseignants à ne pas la cautionner et à refuser de devenir tuteur.
La moitié des nouveaux profs d’histoire-géographie de Créteil n’avaient ainsi aucun tuteur à la veille de la rentrée. « Les tuteurs sont censés assister aux cours de leur stagiaire au moins une demi-journée par semaine jusqu’à la Toussaint, en plus de leurs 18 heures de cours à eux, décrypte Olivier Trannoy, maître formateur. Et en mars, ils devront laisser leur classe, deux semaines, à des étudiants de master 2, pour suivre leur stagiaire, ce qui explique aussi les réticences. »
Egalement très sollicités pour accompagner sur le terrain cette génération d’enseignants déboussolés, les inspecteurs sont inquiets. « On va vers une catastrophe, s’exclame Patrick Roumagnac, secrétaire général du principal syndicat d’inspecteurs, le SI-EN-Unsa. On dit haut et fort qu’on prépare des incompétents, bons à rien : imaginez l’image qu’on donne aux élèves et aux familles des enseignants qui seront dans les classes dès cette semaine ! »
Pour autant, pas question pour les profs débutants de commencer leur carrière par une grève, comme y appelle le Snes le lundi 6 septembre, la veille de la mobilisation sur les retraites. « Nous sommes les premiers concernés par les revendications, mais ce n’est pas une très bonne idée étant donné que nous n’avons même pas encore vu nos élèves, glisse Romain. Et je ne suis pas sûr que le rectorat, dont dépend notre titularisation, apprécierait... »