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Profs : la rentrée de la grève - Véronique Soulé, Libération, 6 septembre 2010

lundi 6 septembre 2010, par Laurence

Voir aussi, sur le site des Echos, un papier sur le même sujet

À la veille du mouvement contre la réforme des retraites, le Snes appelle à une journée d’action aujourd’hui dans le secondaire contre des conditions de travail dégradées.

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« Je suis responsable départemental du syndicat. A la rentrée, j’ai fait le tour des collèges. Dans l’un, il manquait la professeure d’allemand. Pourtant on aurait pu l’anticiper : depuis des mois, elle a des problèmes de santé. Dans un autre, l’enseignante d’espagnol n’arrivera que dans un mois. Elle a été appelée à remplacer en septembre un prof débutant parti en formation. Car dans notre académie, les stagiaires commencent par une plage de formation. Alors il faut leur trouver des professeurs remplaçants, qui manquent dans les classes où ils ont été affectés » : Patrice Ancelin, responsable pour la Meuse du Snes, syndicat majoritaire du secondaire, explique que les enseignants sont fatigués de ces conditions de travail dégradées. Pour cette raison selon lui, la grève, appelée aujourd’hui par son syndicat à la veille du mouvement contre la réforme des retraites, devrait être plutôt bien suivie.

Parachutages.« A situation exceptionnelle, en raison de la somme des problèmes accumulés, réponse exceptionnelle » : en décidant d’une grève trois jours à peine après la rentrée, au moment où les professeurs commencent leurs cours, le Snes a pris un risque. Il n’est pas sûr que les enseignants, qui seront sans doute déjà nombreux à manifester demain, aient envie de débrayer deux jours d’affilée. Pour eux, la rentrée est un moment important pour caler les relations avec leurs élèves. Ils n’ont, en outre, guère envie de perdre deux jours de salaire. L’appel du Snes, rejoint par Sud Education et par l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (Apses), est symptomatique de la colère montante au sein des enseignants, face aux coupes claires, mais aussi au mépris avec lequel ils ont le sentiment d’être traités. A cet égard, la mise en place cette année de la réforme de la formation (la « masterisation »), avec des milliers de jeunes enseignants parachutés dans des classes sans préparation, a été catastrophique. Comme si « enseigner était un métier qui s’apprend sur le tas », dénonce le Snes.

Le ministre de l’Education, Luc Chatel, a voulu minimiser l’appel, soulignant que le Snes était bien seul dans sa démarche. Hormis Sud Education et l’Apses, les autres syndicats n’ont en effet pas suivi, jugeant qu’il valait mieux concentrer toutes les forces pour la réussite de la journée du 7. Mais ils portent eux aussi un jugement sévère sur cette rentrée. Le SE-Unsa fait état d’un « climat lourd et pesant ». Le Sgen-CFDT critique « une politique sans aucune ambition ». Le principal syndicat du primaire, le SNUipp, dénonce le « sous-investissement dans le primaire », alors même que l’on veut lutter contre le noyau dur des 10 à 15% d’élèves ne maîtrisant pas les bases à la fin du CM2.

Parmi les principaux griefs avancés par le Snes, il y a d’abord les suppressions de postes (50 000 en quatre ans, de 2007 à 2010). D’après le ministre, cela n’a strictement aucun impact sur le terrain car on ne fait qu’« optimiser les emplois » - les ressources humaines étaient très mal gérées jusqu’ici, selon lui. Il a d’ailleurs fièrement annoncé que, à la rentrée, « tous les élèves auraient un professeur en face d’eux ». « C’est encore heureux, ironise Thierry Cadart, secrétaire général du Sgen-CFDT, voilà à quoi la politique éducative est réduite. Mais l’école, ce n’est pas une garderie. »

Baby-boom. Les enseignants ont une tout autre vision que le ministre. Pour eux, à force de rogner, on touche à la qualité même de l’enseignement. Luc Chatel brandit des moyennes nationales, pas si élevées, du nombre d’élèves par classe. Mais il s’agit de moyennes. Et si on peut alourdir, sans trop de problèmes, les effectifs des classes dans un grand lycée de centre-ville, cela est en revanche durement ressenti dans des établissements plus défavorisés. En outre cette année dans le secondaire, on compte 39 000 élèves en plus. Et la hausse va se poursuivre avec l’arrivée de la génération du baby-boum du début des années 2000. La réforme de la formation des enseignants focalise le mécontentement. Le ministre souligne que jamais les profs débutants n’ont été aussi bien accueillis dans les rectorats à la veille de leur rentrée. « Comme si un accueil de deux jours pouvait remplacer une année de formation en alternance », souligne Christian Chevalier, du SE-Unsa.

Le Snes dénonce aussi la « mise en place opaque » de la réforme du lycée. Mais ce sont les professeurs de SES (sciences économiques et sociales) qui sont les plus mobilisés. Ils dénoncent les nouveaux programmes et « la marginalisation » de leur discipline, devenue un « enseignement d’exploration » d’une heure et demie par semaine - contre trois heures avant.


Maillon faible.
Enfin les syndicats s’inquiètent de toute une série de questions en suspens, qui pèsent sur le climat : une revalorisation en trompe-l’œil après toutes les belles promesses de Nicolas Sarkozy, l’abandon de toute politique vis-à-vis du collège, pourtant un maillon faible du système, enfin le grand silence autour des effets de l’assouplissement de la carte scolaire. Le ministre avait promis un bilan. On l’attend toujours.