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Rentrée scolaire : le rapport qui contredit Luc Chatel - Louise Fessard, Mediapart, 10 septembre 2010
vendredi 10 septembre 2010, par
Voir aussi l’article de Laurent Mouloud sur le site de "L’Humanité"
Pour lire cet article sur le site de Mediapart.
Mediapart publie un rapport interne, destiné au ministre de l’éducation nationale, Luc Chatel, sur la rentrée scolaire 2010. Ce rapport de l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR), daté de juillet, montre que le tableau rose dépeint par Luc Chatel lors de sa conférence de presse du 30 août, où il avait réussi à ne pas citer une seule fois les 16.000 suppressions de poste de la rentrée, était, pour rester poli, un pur exercice de communication.
Les retours des correspondants académiques synthétisés par trois inspecteurs généraux de l’IGAENR révèlent des administrations locales aux abois, dont les crédits de fonctionnement ne suffiront même pas à finir l’année 2010. Si la rentrée est « techniquement réussie » grâce « au savoir-faire technique des rectorats et des inspecteurs d’académie », les inspecteurs généraux tirent la sonnette d’alarme face à des restrictions budgétaires « qui vont créer des tensions et préparent assez peu l’avenir ».
L’école primaire s’en tire plutôt bien, du fait d’un surprenant recrutement excessif d’enseignants par rapport au nombre de postes à pourvoir (8000 enseignants en surnombre, le gouvernement avait surestimé le nombre de départs en retraite). Seule ombre au tableau : les fermetures de classes ont provoqué « dans beaucoup d’académies » des « frictions importantes » et une forte opposition des élus locaux.
Mais c’est au niveau du second degré où « une hausse démographique est attendue dans les collèges et lycées professionnels » que les choses se corsent. Les auteurs du rapport saluent le tour de force des recteurs qui « devaient accueillir 25.000 élèves en plus avec l’équivalent de trois ou quatre mille emplois en moins ». Des prévisions d’effectif que le ministère de l’éducation s’était bien gardé de publier jusqu’ici.
Pour respecter la promesse de Luc Chatel de ne pas diminuer le taux d’encadrement des secondes générales, l’année de la mise en œuvre de la réforme du lycée, les recteurs ont préservé les lycées... et taillé dans les collèges et postes de remplacement. « Certaines académies ont dégradé le taux d’encadrement des collèges », signale le rapport.
Les économies de bout de chandelle sur le dos des remplaçants laissent « sceptiques » les inspecteurs généraux « alors que la situation est déjà difficile suite aux centaines de suppressions d’emplois l’an dernier sur ce même poste (remplacement, ndlr), que la réforme du recrutement va nettement accroître les besoins de remplacement pour compenser les absences de professeurs stagiaires en formation (...), tandis que le ministre insiste sur la nécessaire amélioration du remplacement l’an prochain ».
« Quelque chose n’est pas cohérent dans ce schéma d’ensemble », concluent-ils.
Rabotage de la formation
Le recrutement au coup par coup d’enseignants non titulaires par les rectorats, solution prônée par Luc Chatel, atteint lui aussi ses limites. Les étudiants et jeunes retraités visés ne se bousculent pas au portillon pour pourvoir des postes « pas attractifs (...) : zones rurales, établissements difficiles, petit nombre d’heures faiblement rémunérées », relève le rapport. A Paris, « des courriers adressés tant aux étudiants de M2 qu’aux néo-retraités ont remporté un succès qu’on peut qualifier de modéré : quelques réponses chez les étudiants, une seule chez les retraités », raconte un correspondant académique.
Plus inquiétant, le rapport révèle que les crédits de fonctionnement seront « insuffisants pour terminer l’année civile ». « Le cri d’alarme est général dans les académies », relèvent les inspecteurs. En conséquence, « les autorités académiques s’apprêtent à annuler de nombreux stages en formation continue faute de pouvoir payer les déplacements et les formateurs ».
La formation initiale des profs débutants étant désormais laissée à la charge des académies, les inspecteurs craignent que les « disparités » des dispositifs mis en place d’une académie et d’un département à l’autre ne soient « source de recours pour rupture d’égalité de la part de candidats non titularisés et qui auraient bénéficié de conditions “moins favorables” ». Dans le cadre des 216 heures de formation fixées nationalement, le compagnonnage du tuteur peut ainsi varier selon les académies de 36 à 108 heures, et les regroupements de formations théoriques de 60 à 160 heures.
Quant aux efforts d’animation et de mutualisation des bonnes pratiques, appréciés par les académies car moins coûteux que de vraies formations menées par des experts, « on ne peut méconnaître qu’(ils) ont parfois débouché sur la contemplation du vide », sabrent les inspecteurs généraux.
Malaise dans les inspections académiques
« Pour la première fois, le principal message d’alerte des correspondants académiques (...) concerne les personnels administratifs, plus particulièrement les cadres, et plus nettement dans les services départementaux », s’alarment également les auteurs. « Ampleur des réformes à mettre en place », « notion d’urgence omniprésente », « succession d’enquêtes à retourner au plus vite », « surcharge de travail » à la suite de suppressions de poste : le malaise est tel que « certains personnels demandent leur mutation ».
Ainsi le correspondant académique de Bordeaux craint « une fuite des cadres vers les universités et les collectivités locales ». Un autre rapporte que « les suppressions de poste commencent à peser sur la capacité d’agir de l’inspection académique comme assurer les permanences pendant les vacances scolaires, assurer un fonctionnement continu du standard ».
Réagissant sur ce document qui a commencé à circuler hier dans les milieux éducatifs, Frédérique Rolet, co-secrétaire général du Snes, regrette que « le ministre n’ait pas entendu nos alertes, y compris pour prendre des mesures de prévision, car le rapport conforte notre analyse sur les disparités dans la formation des maîtres, les problèmes de remplacement, la remontée démographique, la réforme du lycée professionnel, etc. ».
Le parti communiste pour sa part demande au ministre de l’éducation nationale la publication officielle de ce rapport pour « que cesse la pratique instaurée par Darcos de mise sous l’éteignoir des outils de réflexion sur le système éducatif ». « Si, au sommet de la hiérarchie, les inspecteurs généraux tirent la sonnette d’alarme sur la rentrée 2010 et sur le manque de vision d’avenir, constat qui converge avec les dénonciations des syndicats, des jeunes et des parents d’élèves, c’est que l’heure est grave », note le communiqué du PCF.