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Une histoire sans fin ? Les inégalités sociales perdurent dans l’enseignement supérieur, par Annabelle Allouch, "La Vie des Idées" , 13 septembre 2010
mardi 14 septembre 2010, par
Le nouveau numéro des Actes de la Recherche en Sciences Sociales (juin 2010) souligne la constance du paradoxe qui accompagne les catégories populaires dans l’enseignement supérieur : malgré plusieurs vagues de massification, elles demeurent sujettes à des inégalités sociales d’autant plus persistantes qu’elles semblent échapper aux réformes.
Pour lire cet article sur le site de La Vie des Idées
Huit ans après la sortie de son ouvrage 80% au bac et après [1]], qui portait sur les modalités d’accession à l’université de ceux qu’il appelle « les enfants de la démocratisation » Stéphane Beaud – avec Bernard Convert – continue dans le dernier numéro des Actes de la Recherche en Sciences sociales d’explorer les pratiques des étudiants des milieux populaires dans l’enseignement supérieur massifié. Le numéro, spécifiquement tourné vers les stratégies et les pratiques des élèves, permet ainsi le renouvellement empirique d’un objet d’études où l’apport bourdieusien demeure encore aujourd’hui central, bien que, comme le notent les auteurs, ses tenants et aboutissants ne soient pas toujours clairement compris par les pouvoirs publics. Les discours institutionnels, constitués d’objectifs chiffrés comme le fameux « 30% de boursiers en Grande École » lancé en janvier 2010 et de thématiques floues comme « la professionnalisation » ou « l’égalité des chances » contribuent en effet à obscurcir une partie des mécanismes de création des inégalités sociales à l’égard des classes populaires, qui semblent résister à toutes les formes de réponses structurelles.
Dès lors, la grande force de ce numéro repose sur la prise en compte d’un grand nombre de filières du supérieur, à travers une approche globale de la condition étudiante qui inclut l’emploi et les sociabilités. Cette mise en perspective rend les contributions particulièrement éclairantes sur la multiplicité des processus de production des inégalités sociales dans un espace éducatif de plus en plus segmenté. De ce panorama semble pourtant émerger une convergence des pratiques et des perceptions de l’avenir entre ces étudiants issus du même milieu social, malgré des contextes d’études différenciés. C’est justement cette tension entre la segmentation des filières et la régularité des trajectoires des classes populaires dans l’enseignement supérieur qui nourrit ici les contributions.
Un espace segmenté qui continue de nourrir les inégalités
Á partir de données quasiment exhaustives sur la répartition des élèves dans l’enseignement supérieur dans l’académie de Lille, Bernard Convert propose ainsi une mise en perspective de l’espace de l’enseignement supérieur, en se fondant sur les stratégies d’orientation des élèves. Dans ce panorama, il confirme le morcellement disciplinaire de l’université qui, si elle demeure le destin modal des bacheliers issus de milieux populaires, n’en est pas moins le lieu d’un véritable éclatement des réalités académiques entre choix disciplinaire électif (en droit par exemple) et choix par défaut, entre le niveau de la Licence et celui du Master. Ainsi, une même discipline peut faire l’objet d’une plus ou moins grande diversité de sens, c’est-à-dire qu’elle peut attirer des élèves qui y font un investissement fortement différencié. C’est notamment le cas des mathématiques, par exemple investies par les femmes pour ses débouchés dans l’enseignement et par les hommes attirés par l’informatique. Cette diversité des attentes étudiantes et des publics pour une même filière relance la question de leur gestion par l’institution, notamment à l’égard d’un public populaire ne possédant pas les dispositions académiques ou sociales pour entrer dans le « métier d’étudiant », pour reprendre le titre d’un ouvrage d’Alain Coulon.
Des discours institutionnels en trompe l’œil
C’est dans la lignée des résultats de Bernard Convert autour des trajectoires modales des élèves des catégories populaires qu’il faut comprendre la contribution de Sophie Orange sur les processus de choix d’orientation en BTS. Sur la base d’un matériau original, (les données issues des procédures de choix d’orientation remplies par les lycéens de Terminale de l’académie de Poitiers), elle reprend et éclaire deux hypothèses importantes. Tout d’abord, que le marché de l’enseignement supérieur court symbolisé par le BTS constitue un « espace de projection privilégié, voire exclusif » (p.33) pour les élèves des filières technologiques du secondaire, anticipé en amont de leurs choix d’orientation de terminale. En conséquence, malgré la sélection à l’entrée, le choix du BTS peut aussi être un choix par défaut. La seconde hypothèse repose ensuite sur le fait que les filières courtes ne font pas concurrence à l’université pour les meilleurs élèves mais au contraire demeurent attachées à un public d’élèves moyens, jugés les plus conformes à la filière, c’est-à-dire les plus susceptibles d’assurer sa continuité académique avec les filières du secondaire. Les caractéristiques du public ne sont pas sans lien avec les stratégies institutionnelles : l’étude des catégories de jugement professoral en cours dans les processus de sélection révèle la capacité de ces institutions à se saisir de leur image afin d’assurer des positionnements optimaux sur un marché de la formation et de l’emploi qui est, pour le cas des BTS, aussi marqué par une grande clôture géographique, pour ne pas dire un localisme. Dès lors, de telles stratégies ne contribuent pas seulement à homogénéiser le public des filières courtes, mais aussi à fausser le signal de la sélection à l’entrée, souvent considéré comme un gage de réussite dans le supérieur.
Tout comme la sélection, la professionnalisation des filières académiques fait partie des motifs récurrents de la réforme de l’université au titre de la responsabilisation des élèves et de leur préparation à la vie active. Vanessa Pinto tente d’en mesurer l’effectivité en éclairant les trajectoires scolaires et professionnelles des étudiants accédant à un emploi pendant leurs études. Si l’espace des emplois étudiants est a priori perçu par les jeunes comme un temps de latence provisoire, hors des « classements sociaux », elle y décèle pourtant trois logiques d’articulation entre travail et études qui contribuent à reproduire la stratification sociale : la logique de l’emploi provisoire ; celle de l’anticipation où l’emploi est cohérent par rapport aux études ; et enfin celle de l’éternisation où la situation d’emploi d’appoint devient durable, parfois en lieu et place des études. Dans ce contexte, « les enfants de la démocratisation » sont les moins armés pour reconnaître que « le job étudiant », loin d’assurer la professionnalisation, peut être source d’insécurité surtout s’il n’est pas contrebalancé par un dispositif d’intégration plus fort de la part de l’institution scolaire. Au-delà de la rhétorique de valorisation de l’expérience professionnelle, on distingue clairement des processus inégalitaires mais aussi des mécanismes d’intériorisation du destin social des classes populaires.
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[1] Stéphane Beaud, 80% au bac et après, Paris, La Découverte, 2002.