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"Labex, Equipex, Idex : Qui veut gagner des millions !", SNCS-HEBDO 10 n°16, 12 octobre 2010
mardi 12 octobre 2010, par
« L’excellence, c’est ce qu’il y a de meilleur », confiait récemment Valérie Pécresse à un journal. Forte sentence, qui dévoile les profondeurs de l’intelligence ministérielle. Mais la mise en place du Grand emprunt et de ses produits dérivés (« Equipex », « Labex », « Idex ») suggère pour l’ « excellence » des synonymes plus justes : caporalisme, mépris, médiocrité.
Philippe Büttgen, Secrétaire général adjoint du SNCS-FSU
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L‘excellence, c’est ce qu’il y a de meilleur ». Meilleur pour qui ? Chercheurs, ingénieurs, techniciens des EPST, enseignants-chercheurs et personnels des universités ont eu en tout et pour tout trois mois pour répondre aux appels d’offre « Labex » et « Equipex ». Ils l’ont fait parce qu’il fallait le faire, sans adhérer, sans y croire, sans espoir : le Grand emprunt est une loterie. Ils l’ont fait parce que le transfert des crédits de la recherche vers l’ANR avait déjà mis à sec les finances des laboratoires. Ils l’ont fait en sachant que cette fois encore les chances sont minimes, les gains incertains et les pertes assurées : les intérêts du Grand emprunt - pas ceux qui seront peut-être distribués au détour d’un montage financier invraisemblable, mais ceux que l’État devra à coup sûr rembourser aux marchés - seront compensés par une réduction des budgets courants. Sans compter que l’argent du Grand emprunt financera post-docs, CDD et autres précaires de la recherche. Superbe « Investissement d’avenir » !
« L’excellence, c’est ce qu’il y a de meilleur ». Et c’est si vite fait... Trois mois d’appel d’offres : l’excellence s’expédie. Qui peut croire que le Grand emprunt fera avancer la science ? Pas les chercheurs, bien sûr. Pas la ministre non plus, mais pour d’autres raisons. Son temps est passé : la liste des « laboratoires d’excellence » sera publiée au Journal officiel, sur arrêté du Premier ministre. On sentait Valérie Pécresse peu sûre d’elle face à l’« excellence ». Et pour cause : la recherche n’est plus de son ressort. Avec le Grand emprunt, le Premier ministre devient notre tutelle : magnifique symbole. Au fait, y a-t-il encore un Premier ministre ?
Si l’on était cruel, on renverrait la ministre à ses modèles. On parlerait d’autres « initiatives d’excellence » européennes qu’elle prétend admirer, mais qui ne se sont pas faites en trois mois, ni dans un tel chaos. La France de Nicolas Sarkozy est le seul pays du monde où l’agitation du pouvoir crée la qualité de la science. Du moins feint-on de le croire.
Mais les modèles de la ministre, même mal compris par elle, importent peu. C’est le modèle français de la science qui est en cause ici. Il n’y aucun hasard à ce que les appels d’offres aient été lancés en trois mois, qui plus est pendant trois mois d’été. Il fallait que personne ne discute. Le Grand emprunt est le grand contournement des conseils, de toutes les instances élues de la recherche et de l’enseignement supérieur. Même la Conférence des présidents d’universités n’a pas été consultée, c’est dire. Ne parlons pas du Comité national de la recherche scientifique, du CNU, des conseils scientifiques d’universités et des organismes de recherche, du CNESER, etc. : quelqu’un a-t-il entendu parler du Grand emprunt ? Quant aux « comités d’experts internationaux » censés examiner les projets de Labex, la composition n’en est toujours pas connue, à quelques jours du dépôt des candidatures. Pendant ce temps-là, les milliards du « Plan Campus » se font attendre et à nouveau la CPU s’émeut.
La démocratie scientifique se construit au quotidien dans les laboratoires. La menace que Labex et Equipex font peser sur les UMR et les équipes d’accueil a été vite identifiée. À coups de dépeçages d’équipes et de fusions autoritaires, les Labex cassent les labos. Ils sont faits pour cela. Sur le terrain, nombreux sont ceux qui s’efforcent d’inventer des Labex respectant le tracé et l’identité des UMR, pour limiter la casse. Ceux qui au contraire attisent la compétition entre chercheurs sont les soldats perdus de la loi LRU. Ils sentent qu’ils jouent gros. Mais les uns comme les autres se savent exposés à la faveur du Prince.
Au même moment, le CNRS et les organismes de recherche renoncent à tout ou presque. L’excellence n’est plus un label qu’on délivre en créant des équipes de recherche stables et durables ; c’est un slogan et un oukaze. Les directions d’organisme appliquent donc docilement. Aucune n’est capable de donner la moindre garantie sur le devenir des UMR après le Grand emprunt. Dans la terminologie officielle, les organismes de recherche devaient « accompagner » l’application de la loi LRU. C’était encore trop dire : ils n’accompagnent pas, ils suivent. Le CNRS n’est même plus une escorte, c’est une remorque.
Comment saccager la recherche avec de l’argent qui n’existe pas ? C’est le dilemme du gouvernement. Aidons-le à ne jamais le résoudre.