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Une remise en cause du recrutement national des profs ? - Louise Fessard, Mediapart, 22 octobre 2010
samedi 23 octobre 2010, par
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Mercredi 20 octobre 2010, à 18 heures à la Bourse du travail de Paris, assemblée générale des enseignants stagiaires nouvelle mouture, mis devant une classe à temps plein et sans formation professionnelle après avoir réussi les concours de juin. La catastrophe était annoncée depuis deux ans par plusieurs syndicats et, un mois et demi après la rentrée, c’est le concours de surenchère parmi les quelque 180 professeurs présents, pour la plupart venus de l’académie de Créteil. L’un dit avoir quatre niveaux différents en collège, donc autant de programmes différents à assimiler et de cours à préparer, plusieurs autres sont dans des établissements difficiles en zone d’éducation prioritaire (ZEP), et un dernier s’attire des « Oh » d’indignation savourée, quand il révèle qu’il fait ses débuts dans une Ulis (Unité localisée pour l’inclusion scolaire) avec des enfants autistes. Les directives ministérielles qui recommandaient d’« éviter, autant que faire se peut, les établissements les plus difficiles », « les postes spécialisés », « l’attribution des classes les plus délicates, de type cours préparatoire ou cours moyen deuxième année » et de privilégier, dans les collèges et lycées, un emploi du temps sur « deux niveaux maximum d’enseignement », ont été largement piétinées dans certaines académies.
Difficile de détailler la situation de ces quelque 15.000 nouveaux enseignants car, faute de cadrage national, elle varie d’une académie à l’autre, d’un département à l’autre et « même d’une circonscription, et d’une école à l’autre dans le primaire », précise Mathieu, professeur des écoles, stagiaire en maternelle. Seule constante : la formation professionnelle, qui représentait autrefois les deux tiers de leur emploi du temps, est passée à moins d’un tiers. Dans les collèges et lycées, la plupart des stagiaires assurent un temps plein et suivent des journées de formation en plus. Dans le primaire, où beaucoup d’académies disposent cette année de trop d’enseignants en raison d’une mauvaise gestion des ressources humaines, l’entrée dans le métier est plus progressive : une journée en classe et quatre journées de formation dans les IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres) jusqu’à la Toussaint.
« J’endors mes élèves »
Mais en Seine-Saint-Denis, faute de moyens, 160 débutants ont directement pris en main une classe de primaire à la rentrée. « Mon tuteur est venu une seule fois, deux semaines après la rentrée, pour voir si j’étais encore vivant, raconte un instituteur dans une classe de CE1. Et la seule journée de formation qu’on a eue à Bobigny portait sur la violence à l’école, comme si on n’était là que pour gérer une classe, pas pour enseigner. » La tête dans le guidon, les jeunes enseignants ont conscience de faire des erreurs « sans avoir le recul pour faire autrement ». « Je me suis mis à mettre des élèves au coin ; je me suis aussi aperçu que je les endormais littéralement, je les saoulais », s’exclame le même instituteur. A la Toussaint, il partira en formation et sera remplacé par un ou une autre stagiaire « qui se fera, elle aussi, la main sur la classe ». « C’est pourtant dans les premières années que se construisent les identités professionnelles des étudiants », regrette Claire Pontais, formatrice en EPS et membre du Snep-FSU (syndicat national de l’éducation physique). Et « l’apprentissage de la littération, de la numération, ça ne s’improvise pas », remarque Christian Chevalier, secrétaire général du deuxième syndicat enseignant, le SE-Unsa.
Il y a aussi Mathilde, une Grenobloise qui a atterri à Créteil, l’académie la plus jeune et la plus difficile de France et qui a fait sa rentrée logée à l’auberge de jeunesse, « le pire déménagement de ma vie ». « Je pleure tous le soirs en rentrant tellement je suis stressée par les élèves, lance d’entrée cette professeur d’anglais. Si ma tutrice n’était pas aussi présente, je serai déjà en dépression. Pourtant ça reste le métier de mes rêves, j’ai passé le Capes trois fois avant de l’avoir. »
Derrière le pataquès actuel et le cirque médiatique des stagiaires « jetés dans la fosse aux ours », certaines organisations de l’enseignement supérieur et de l’éducation s’inquiètent d’une éventuelle remise en cause des concours de l’enseignement eux-mêmes. « Au lieu d’en conclure qu’il faudrait mieux former les étudiants, il peut y avoir un discours inverse du type : “Voyez comme ces concours ne servent à rien, puisqu’ils sélectionnent des inaptes !” », craint Jean-Louis Fournel, ex-président de Sauvons l’université (SLU) et professeur d’italien à l’université Paris-8.
Moins de candidats aux concours de l’enseignement
Effet ou non de la confusion liée à la masterisation, La Croix signalait dès début septembre que les inscriptions aux concours de l’enseignement ont nettement chuté cette année et que les masters créés par les universités pour préparer à ce métier n’ont pas fait le plein. « Le nombre de candidats aux concours externes est, pour 2011, de 55.202 dans le premier degré, contre 96.714 en 2010, et de 65.000 dans le second degré, contre 86.500 en 2010 », détaille dans La Croix, la directrice des ressources humaines de l’éducation nationale, Josette Théophile.
Un manque de vocations tel, que dans l’académie de Créteil, les étudiants étaient moitié moins que l’an dernier à plancher sur les épreuves écrites du concours de professeurs des écoles fin septembre, et que 80% d’entre eux devraient donc être admissibles. « Nous sommes dans une situation paradoxale : on a élevé le niveau avec la mastérisation, mais les écrits du concours n’auront jamais été aussi peu sélectifs », commente, sur éducpros.fr, Jean-Louis Auduc, directeur adjoint de l’IUFM de Créteil.
Un nombre de postes ouverts aux concours en chute libre, des masters enseignement décriés, bricolés pour cumuler à la fois initiation à la recherche, réalisation d’un mémoire, préparation des concours et stages, un allongement des études à Bac+5 minimum qui a pu décourager les étudiants des classes défavorisées : autant d’hypothèses pour expliquer la moindre attractivité du métier d’enseignant. « Les étudiants savent très bien que c’est infaisable de cumuler préparation des concours, stages et mémoires, notamment en M2 : ils votent avec leurs pieds », estime Marie-Albane de Suremain, maître de conférence en histoire contemporaine à l’IUFM de Créteil-Université Paris-12.
Quitte, pour les plus motivés et les plus à l’aise financièrement, à préparer un master 2 classique avant de consacrer une sixième année à la préparation aux concours. Malgré les bourses mises en place par les rectorats, c’est la mixité sociale du corps enseignant qui risque d’en prendre un coup. « Si, à terme, il n’y a plus que des enfants de cadre et de la petite bourgeoisie qui peuvent devenir enseignants, le choc social dans les classes va être rude », prévoit Christian Chevalier.
« C’est Sarkozy qui a imposé la masterisation »
Pour lui, le dessein politique libéral derrière la confusion actuelle est « évident » et vise directement les concours nationaux de recrutement, dernier rempart du statut de fonctionnaire des enseignants. En 2005, dans la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, c’est François Fillon, alors ministre de l’éducation nationale, qui intègre les IUFM, créés par Lionel Jospin en 1989, dans les universités. « Il y avait une volonté d’harmonisation européenne, explique Christian Chevalier. En Allemagne et dans les pays nordiques, la formation des enseignants se fait dans des universités pédagogiques, alors que l’école de la République s’est contruite dans les écoles normales. » A peine élu, début juillet 2007, Nicolas Sarkozy indique à Xavier Darcos, dans sa lettre de mission, que « la formation des enseignants devra durer cinq ans et sera reconnue par un niveau master ».
« C’est l’Elysée qui a imposé la masterisation, ni le cabinet de l’enseignement supérieur, ni celui de l’éducation nationale n’avaient été informés, raconte Christian Chevalier. Dans le système actuel, on peut faire sauter le concours et ce seront les établissements, de plus en plus autonomes, qui recruteront directement leurs enseignants dans le vivier d’étudiants formés dans les nouveaux masters enseignement. » « Pourquoi, de toutes façons, préparer un concours difficile si on peut faire la même chose, comme vacataire ou contractuel, qu’avec le master seul ? », demande Jean-Louis Fournel.