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Université : les ratés de l’autonomie (1) - Jade Lindgaard, Mediapart, 3 novembre 2010

mercredi 3 novembre 2010, par Elie

Cet article est le premier d’une série consacrée par Mediapart à l’université un an et demi après la contestation des enseignants chercheurs. Voici la présentation que fait Mediapart de cette enquête :

"Mediapart avait consacré un grand nombre d’articles l’année dernière au mouvement dans les universités contre la LRU (à retrouver sous l’onglet Prolonger). D’où notre souhait aujourd’hui de retourner dans les facs pour voir comment s’y met en œuvre la loi sur l’autonomie. Cette enquête a été réalisée sur une durée d’environ un mois. Un grand nombre de personnes ont été interrogées, soit par téléphone, soit lors de rencontres. Un certain nombre d’entre elles ont préféré rester anonymes, ce que j’ai accepté afin de leur permettre de s’exprimer plus librement. Les propos cités en “on” ont été relus par leurs auteurs et souvent retouchés, mais toujours à la marge."

Pour lire le ’second volet de cette enquête->./article4162.html] consacré à l’excellence (4 novembre 2010)

Pour lire cet article sur le site de Mediapart.

La réforme des universités est devenue le symbole de sa réussite : « Ce qui se passe dans les universités françaises est absolument extraordinaire », se félicite Nicolas Sarkozy le 24 septembre, « je trouve que ce qui a été fait depuis trois ans est exceptionnel. » Et « tout ceci s’est fait sans drame, uniquement parce que nous avons créé un climat de confiance ».

Tout aussi ravie, Valérie Pécresse : « Une nouvelle université est en train de voir le jour. Et cela se voit. Cela se sait. Cela se dit. » Dans une interview aux Echos, fin septembre, elle prévient : « Dès 2012, j’aurai, je l’espère, réparé les dégâts de Mai 1968, qui avait cassé l’université. » Oubliée, la plus longue grève de l’histoire de l’université contre la loi sur l’autonomie, en 2009 (voir sous l’onglet Prolonger).

Rentrée 2010. Alors que le mouvement contre la réforme des retraites remplit les rues de lycéens, les étudiants défilent en groupes épars. Seule une poignée d’universités votent le blocage des cours. Creusets de mouvements contestataires depuis des décennies, les facs apparaissent aujourd’hui – pour l’instant – pacifiées. Peut-on y voir un effet de la loi sur la responsabilité de l’université (LRU) ? Difficile d’établir un lien de cause à effet. Mais des universitaires expriment un sentiment désabusé. « C’est la grande déprime », décrit Bastien François, directeur de l’UFR de sciences politiques de Paris-1. « Il y a eu un effet descente très fort » après la fin du mouvement de protestation, « tous les universitaires que je rencontre se sont pris un coup sur la tête. »

La LRU a-t-elle réussi à réformer la réputée irréformable université ? Dans les 83 universités, la loi se met en place, petit à petit. Fin 2010, 51 d’entre elles sont passées aux « compétences élargies », gérant désormais leurs ressources humaines et leur masse salariale (voir l’onglet Prolonger). En janvier 2011, elles seront 24 de plus. Si les budgets sont désormais gérés au niveau de chaque établissement, et non plus au niveau national, l’autonomie demeure cependant toute relative puisque les financements restent attribués par l’Etat, qui décide au cas par cas de la dotation qu’il leur accorde.

Sur le terrain, les premiers effets de la réforme se manifestent. Ils sont indissociables d’un processus de transformation de l’enseignement supérieur et de la recherche initié avant l’élection de Nicolas Sarkozy : rapprochement du monde professionnel, généralisation de l’évaluation quantitative, entrée en vigueur de nouveaux critères « d’excellence », regroupement en gros pôles régionaux. A l’initiative du groupe des refondateurs – rassemblement d’universitaires qui ont tenté l’année dernière de proposer une contre-réforme–, un livre tout récemment publié, Refonder l’université offre une excellente synthèse de 30 ans de politiques publiques.

Premiers déficits budgétaires

Depuis l’adoption de la LRU en août 2007, l’une des toutes premières lois d’envergure du mandat présidentiel, les réformes universitaires se sont multipliées à une cadence intensive : plan campus pour rénover les bâtiments, plan « réussir en licence » pour lutter contre l’échec scolaire, « initiatives d’excellence », partenariats public-privé, grand emprunt, réforme du CNRS... C’est tout le paysage universitaire que le pouvoir exécutif souhaite remodeler. « On ne peut pas nier qu’il y a plus de moyens pour l’université, surtout en comparaison de ce qui se passe dans d’autres pays européens, comme l’Italie ou la Grande-Bretagne », analyse, sous le sceau de la confidence, un opposant virulent à la politique de Valérie Pécresse.

Cet argument des moyens supplémentaires sert aujourd’hui de bannière promotionnelle au gouvernement. Mais de l’argent donné où et pour faire quoi ? Surprise : en allant voir comment se met en œuvre la réforme universitaire et quels en sont les premiers effets, Mediapart a découvert des universités en désarroi, des procédures bureaucratisées, des personnels déprimés, engloutis sous les dossiers administratifs à remplir pour suivre le rythme des annonces gouvernementales. Dans certains cas, des postes supprimés, et même quelques premiers cas de difficultés budgétaires.

Ces situations de crise ne résument pas à elles seules la réalité de l’application de la LRU. Il revient au comité de suivi de la loi, au ministère, aux organisations représentatives d’en dresser le bilan exhaustif. « Dans l’immense majorité des cas, le passage à l’autonomie s’est très bien passé », se défend le ministère, citant les cas de Metz, Marseille, Toulouse.

Si certaines profitent des réformes, en devenant plus puissantes (comme à Strasbourg), en captant d’importantes ressources privées (Toulouse-1), en recrutant des stars académiques (Sciences-po), les situations de crise plus ou moins larvées que nous avons rencontrées renvoient une autre photographie de l’état de l’université. Et dévoilent les premiers ratés de l’application de la LRU. En les étudiant, nous avons décelé cinq principales contre-vérités énoncées par le gouvernement.

- « Ce n’est pas vrai que l’autonomie profite à certains et pas à d’autres », Valérie Pécresse, 27 septembre 2010, sur France Culture.

Une université en déficit après l’acquisition de son autonomie ? L’info est restée confidentielle jusqu’ici mais on compte déjà au moins trois victimes du passage aux « responsabilités et compétences élargies » (RCE) : les facs de Limoges, Toulouse-3 et Nice. Jacques Fontanille, président de l’université de Limoges, vient de faire savoir à son équipe de direction qu’ils devaient faire face à un surcoût, imprévu, de la masse salariale de 1,3 million d’euros. Autrement dit, le budget actuel ne permet pas de payer toutes les dépenses salariales. C’est peu, moins d’un dixième du budget prévisionnel 2010 (environ 150 millions d’euros), mais c’est suffisamment inquiétant pour qu’une négociation s’ouvre avec le ministère. Surtout, le nombre de postes s’en ressent puisqu’au total dix postes d’enseignants-chercheurs ne seront pas pourvus en 2011-2012. « Un diagnostic est en cours », répondent les services de Valérie Pécresse, qui précisent qu’entre 2007 et 2010 la dotation de l’Etat à l’université a augmenté de 14% (hors masse salariale).

Que s’est-il passé ? Un problème de « Glissement vieillesse-technicité » (GVT). Autrement dit, l’augmentation mécanique de la masse salariale en raison des avancements dans la carrière, changement de grade, promotions... Dans le cas de Limoges, ces coûts semblent avoir été sous-estimés, et la ventilation des emplois mal évaluée entre catégories A (les plus onéreux), B et C (les moins chers). La faute à qui ? Comme dans la plupart des facs, « Limoges n’a aucun instrument de pilotage prévisionnel qui permette de calculer sa politique d’emploi à moyen et long terme », pointe un membre du conseil d’administration. Autre souci : afin de transférer le paiement des salaires à l’université, l’Etat a réalisé une « photographie de la masse salariale » en 2008. Or, cette année-là, certains postes étaient restés vacants, d’autres occupés par des intérimaires. Résultat : la masse salariale 2010 excède celle d’il y a deux ans.

Des « compétences » sans compétence

Les difficultés actuelles de l’université de Limoges prennent un tour ironique lorsqu’on se souvient que Jacques Fontanille, aussi vice-président de la conférence des présidents d’université, fut l’un des défenseurs de la LRU. Son établissement fit partie de la toute première vague de passage à l’autonomie, dès janvier 2009. Ces déboires budgétaires sont-ils imputables à une défaillance de l’Etat ou à une mauvaise gestion de l’université ? C’est tout l’enjeu des discussions qui se poursuivent entre Limoges et la rue Descartes. Mais rien ne semble prévu dans le projet de loi de finances 2011 pour régler ce problème de financement, qui peut toucher d’autres établissements.

A Toulouse 3-Paul-Sabatier, passée à l’autonomie au 1er janvier 2010, ce sont un peu plus de six millions d’euros qui manquent pour boucler le budget 2011. « Des factures ne sont plus payées, notamment en restauration », s’inquiète Daniel Sidobre, élu FSU au comité technique paritaire. Dans une lettre envoyée aux personnels, le président de l’université Paul-Sabatier, Gilles Fourtanier, identifie plusieurs causes : chute des revenus de placements de fonds, baisse de 1,6 million d’euros de la dotation de l’Etat entre 2009 et 2010, surcoût de 1,2 million d’euros des contrats doctoraux (qui remplacent les anciennes allocations de thèse). Résultat : les dépenses liées à l’enseignement doivent baisser de 6%. Concernant l’investissement et le pilotage, elles doivent être réduites de 25%. Les bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens..., personnels contractuels quittant l’établissement ne sont plus remplacés. Là encore, le ministère de l’enseignement supérieur insiste sur la hausse de moyens accordés à l’établissement depuis 2007 : +9%.

La situation semble critique pour les IUT, dont la gestion est elle aussi désormais du ressort de l’université, et non plus du ministère. L’IUT A de Paul-Sabatier doit ainsi réduire la voilure de 1,6 million d’euros (sur un total de six millions de budget). Les moyens alloués à l’IUT de Tarbes doivent diminuer de 25%. En septembre, les directeurs des deux instituts alertent le ministère : « Avec la baisse annoncée pour 2011, envisager le développement ou même le fonctionnement des IUT de l’université Paul-Sabatier est tout simplement impossible. » Conscient de ces difficultés entre IUT et facs, le ministère de l’enseignement supérieur fait plancher un groupe de travail pour trouver des solutions de meilleure cohabitation.

A Nice, passée à l’autonomie au 1er janvier 2010, le différentiel entre moyens prévus et besoins réels atteint également six millions d’euros, selon la présidence de l’université. Là, ce sont les plans de lutte contre l’échec scolaire qui devraient en pâtir. « La LRU donne des compétences aux universités mais elles ne sont pas équipées pour y faire face », analyse Thierry Astruc, élu Snesup au comité technique paritaire. « Mais aucune université passée à l’autonomie ne veut revenir au système antérieur ! », répond l’entourage de Valérie Pécresse, « chagriné » que ces trois exemples de difficultés budgétaires obtiennent autant d’attention.

Les premières modulations de service

- « Les premiers pas des universités autonomes ont rassuré et lancé le mouvement en levant les craintes qui pendant tant d’années ont empêché toute réforme », Valérie Pécresse, dans une interview aux Echos (27 septembre 2010).

En 2009, un décret d’application de la loi LRU a mis le feu aux poudres : l’instauration de la modulation de services, c’est-à-dire la possibilité pour un président d’université d’imposer des heures de cours supplémentaires aux enseignants qui ne « chercheraient » plus, ou pas assez. Après des semaines de protestation, le ministère l’avait finalement remplacé par un texte se contentant d’autoriser les chefs d’établissement à proposer un aménagement de la charge d’enseignement des profs ne publiant pas assez de travaux de recherche (pour en savoir plus, lire ici).

Dix-huit mois plus tard, c’est pourtant bien la modulation de services qui commence à se mettre en place à l’université de Poitiers, premier cas recensé à ce jour, et découvert par Mediapart. Dans une lettre envoyée aux enseignants-chercheurs le 22 septembre dernier, le président de la fac, Jean-Pierre Gesson, annonce que « les collègues ayant perdu tout contact avec la recherche » devraient enseigner 288 heures équivalent TD – et non plus 192, comme c’est la règle aujourd’hui – avant de prétendre au paiement d’heures supplémentaires. En clair, ils devront obligatoirement enseigner plus pour le même salaire. Le dispositif entre en vigueur dès la présente rentrée universitaire.

Le syndicat AutonomeSup, plutôt à droite du champ syndical même s’il n’apprécie pas cette étiquette, a aussitôt sonné l’alarme dans un communiqué, sans citer l’établissement visé : « Qui veut embraser l’université ? ». « On essaie de faire entrer les gens dans un moule, dénonce Michel Gay, secrétaire d’AutonomeSup, mais c’est une conception uniquement statistique de la recherche. » Premier problème : pour distinguer les non-publiants des autres, l’université de Poitiers veut se reposer sur l’AERES, l’agence d’évaluation des chercheurs, alors que statutairement la charge de cette distinction revient au Conseil national des universités. De plus, la fac semble ne vouloir prendre en compte que la recherche effectuée en son sein, « alors que c’est la liberté de l’enseignant-chercheur de dépendre d’un laboratoire extérieur », ajoute Michel Gay. Le comité de suivi de la LRU doit se réunir à la fin de l’année. Le cas de Poitiers devrait y être soulevé.

« Tout passe par le ministère »

- « Ce qui fait la richesse de l’université, c’est la liberté qui s’y trouve », Nicolas Sarkozy, discours à l’université de Columbia à New York, le 29 mars 2010.

La loi LRU a-t-elle donné leur autonomie aux universités ? Un grand scepticisme accueille cette question chez les universitaires. « On n’a jamais été aussi dépendants budgétairement », analyse Bernard Dompnier, élu Snesup au conseil d’administration de Clermont-Ferrand-I. Cette sujétion prend la forme de nouveaux outils de gestion : le logiciel « SYMPA » (système de multipostage automatique) qui conditionne en partie l’attribution du budget des universités à des critères de performance, les règles budgétaires de la LOLF (loi organique relative aux lois de finances), comme par exemple l’impératif d’exécution budgétaire qui oblige à tout dépenser pour espérer avoir la même somme l’année suivante.

A Nanterre, qui n’est pas encore passée aux « Responsabilités et compétences élargies », ce sont six postes qui ont disparu après l’application des nouveaux critères d’attribution : « Nous avons dû rendre des postes parce que l’application du nouveau mode d’allocation des moyens s’est accompagnée d’une erreur sur le nombre d’enseignants-chercheurs publiants, rapporte un dirigeant de l’université : le ministère considérait que nous n’avions que 50% de publiants parmi nos enseignants-chercheurs, alors que l’Aeres (l’agence d’évaluation des chercheurs, ndlr) nous en reconnaît au moins 70%. Nous nous sommes battus pendant un an, et avons réussi à faire changer les données, mais les postes n’ont pas été rendus. Nous avons été spoliés. »

Mal préparés, pas assez formés à leurs nouvelles tâches, des élus dans les instances universitaires se retrouvent démunis face à des documents budgétaires qu’ils ne savent pas toujours lire. Et ils sont donc incapables de jouer leur rôle de contre-pouvoir dans les différents conseils d’université. « Nous savions que le plan quadriennal devait être discuté au dernier conseil d’administration, mais aucun document ne nous a été transmis avant la réunion », témoigne le représentant enseignant d’une université du centre de la France. La bonne pratique de l’autonomie, ce n’est pas qu’une question de moyens. « On voit des déficits de compétence assez graves à la tête des universités, analyse Michel Carpentier, secrétaire du Snesup de Paris-6, y compris chez les présidents d’université qui n’ont pas des compétences de gestion très brillantes. »

« C’est l’autonomie, mais tout passe par le ministère... », décrit le directeur de l’UFR d’une grande université parisienne. Il vient de monter un diplôme en collaboration avec un établissement extérieur mais « le ministère voulait nous imposer sa maquette ». « L’autonomie, ça ne veut pas dire la jungle ! répond l’entourage de Valérie Pécresse, il y a eu un temps d’apprentissage mais il est bien mûr aujourd’hui, et les choses se sont plutôt passées très correctement. »

Le président d’une université se souvient d’appels quasi quotidiens du recteur de son académie, en mai 2009, alors que le blocage de certains cours menaçait la tenue d’une partie des cours, et donc la validité de certains examens : « Mais alors où en êtes-vous des rattrapages ? lui demande un jour le représentant de l’Etat, il y a des dîners en ville où va la ministre, les étudiants parlent, vous avez des fils d’archevêques... Méfiez-vous, on va déclarer la non-validité de vos examens ! »

Demain, deuxième volet : les ravages de la course à l’excellence.