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Une soirée UMP (2) : « quasi illettrés » et pourcentages ébouriffants - Luc Cédelle, blog "Interro écrite", Le Monde, 8 novembre 2010

lundi 8 novembre 2010, par Laurence

- La première partie de ce "verbatim", mentionnée dans la dernière "Semaine de SLu", se lit ici

Nous abandonnâmes, à l’épisode précédent, nos amis de Génération France.fr, le club de Jean-François Copé, juste au moment où François Rachline, directeur général de l’Institut Montaigne, prenait le micro.

Ce fut d’abord pour présenter l’institut, « laboratoire d’idées et force de proposition » et mentionner son récent rapport « Vaincre l’échec scolaire à l’école primaire », publié en mai dernier avec un impact démultiplié par - c’est moi qui commente - une stratégie de communication aux petits oignons.

Ce rapport « a contribué à faire monter la question dans l’opinion publique et le monde politique », rappelle-t-il. Puis il revient à son tour sur la question du niveau, mais dans le rôle de celui qui se charge de dissiper les illusions.

Si l’on compare la France aux pays étrangers, si l’on s’intéresse à son évolution favorable ou non favorable et si l’on accepte le « thermomètre » des tests internationaux PISA, «  on se dégrade », dit-il.

Cette dégradation touche la lecture, l’écriture et le calcul. François Rachline prend le soin de préciser le sens qu’il donne à ces trois mots. « Lire, ce n’est pas seulement déchiffrer des mots, c’est être capable de s’exprimer. Ecrire ce n’est pas tracer des lettres mais être capable de communiquer. Et le calcul, c’est être capable de raisonner. C’est-à-dire que ce sont les fondements de la démocratie ! » Applaudissements.

Et pourquoi pas 40% ?

Après avoir écarté toute responsabilité collective des enseignants, dont il loue la « conscience professionnelle », et constaté l’impuissance « de toutes les réformes depuis 20 ans » à faire reculer l’échec scolaire, le directeur de l’Institut Montaigne affirme que sur les « 800 000 enfants qui entrent à l’école chaque année, 200 000 ont des acquis fragiles ».

« C’est vraiment très chastement dit : cela veut dire qu’ils sont quasiment illettrés ! », ajoute-t-il, tombant ainsi dans le travers habituel des commentateurs du niveau-qui-baisse lorsqu’ils recherchent l’effet dramatisant. Avec strictement aucun risque d’être démenti : à partir du moment où savoir lire n’est plus défini comme savoir déchiffrer mais comme savoir «  lire et comprendre », chacun peut placer la barre où il veut.

Et chacun, à condition de ne pas se référer aux études qui tentent d’apprécier rationnellement le phénomène, peut donc lancer les pourcentages les plus ébouriffants de « quasi illettrés » : les 25% annoncés par François Rachline sont battus à plate couture par les 40% que brandissent depuis des années certains propagandistes (tenez, en voici un exemple ).


79,8% de « lecteurs efficaces »

Par ailleurs l’Institut Montaigne me semble ici jouer sur les deux tableaux antinomiques du spectaculaire et de la scientificité.

Car de deux choses l’une : soit les statistiques PISA, qu’il cite volontiers, ne sont pas une source fiable, alors il est temps que de lucides experts en dénoncent le caractère scandaleusement trompeur ; soit elles sont fiables et alors il faut s’abstenir - même devant un public UMP - de situer à 25% la proportion de « quasi illettrés » à l’entrée ou à la sortie de l’école primaire.

Proportion qu’aucune étude PISA ne valide. Même si PISA mesure les acquis des élèves à l’âge de 15 ans, elle ne pourrait passer à côté d’un phénomène de cette ampleur. Et les autres études non plus.

Prenons par exemple un des principaux indicateurs du niveau en lecture des jeunes Français : les « évaluations en lecture dans le cadre de la journée d’appel et de préparation à la défense (JAPD) » qui portent sur une génération de 800 000 jeunes d’environ 17 ans. Ces évaluations sont publiées chaque année dans une note de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’éducation.

Malgré une nouvelle méthode de passation des tests permettant une « mesure plus fine », les dernières, celles de l’année 2009, ne dénotent pas de grand changement par rapport à 2008. Elles recensent 79,8% de « lecteurs efficaces », 9,6% de « lecteurs médiocres », 5,5% dotés de « très faibles capacités de lecture » et 5,1% souffrant de « difficultés sévères ».

Quatre experts complices ?

La note indique que ces deux dernières catégories, soit 10,6% sont « en deçà du seuil de lecture fonctionnelle », caractérisé par « une très faible compréhension en lecture suivie » et une « très faible capacité à rechercher des informations ».

Elle précise cependant que seuls les 5,1% souffrant de « difficultés sévères » sont des jeunes qui « ne disposent pas de mécanismes efficaces de traitement des mots écrits et manifestent une compréhension très déficiente ; ce sont de quasi-analphabètes ».

Publiée en août cette note est signée de Fanny de La Haye (IUFM de Bretagne), Jean-Emile Gombert (Université Rennes 2), Jean-Philippe Rivière et Thierry Rocher (DEPP). J’attends donc que l’Institut Montaigne, ou d’autres (il y en a peut-être parmi les lecteurs de ce blog) osent désigner ces quatre experts comme de fieffés « complices de l’illettrisme »…

Xavier Darcos, qui n’a pourtant pas été un modèle de rigueur dans son maniement des chiffres estimait pour sa part en 2007 que « 15 % des élèves sortent de l’école primaire avec de gros handicaps ». C’est déjà suffisamment préoccupant pour qu’il soit inutile d’en rajouter. Ou alors c’est que décider d’en rajouter procède d’un calcul.

En attendant PISA…

Les résultats de l’enquête PISA 2009, portant à nouveau sur la compréhension de l’écrit comme lors de la première vague en 2000, doivent « sortir » dans quelques semaines. Tout le monde s’attend à ce qu’ils marquent une nouvelle dégradation du score de la France et de sa position relative. Prenons ici un pari : si cette hypothèse se vérifie, ces résultats vont faire l’objet d’une formidable opération de communication politique.

Je ne suis pas certain que le SNUipp-FSU, syndicat majoritaire chez les professeurs des écoles, ni même les autres représentants de la profession soient très conscients de la nouvelle « pluie d’enclumes » qui risque de leur tomber dessus à cette occasion. En résumé : le primaire est responsable de tout, l’heure est venue d’y faire un grand ménage et quiconque se mettra en travers sera complice de l’illettrisme…

Après cette nouvelle digression (de nature à indisposer les Savonarole de l’angle unique), je reviens à la provisoire conclusion du propos de François Rachline. Celui-ci remarque que « c’est dans les classes que ça se passe et pas ailleurs », ce en quoi il n’a pas tort. Il ajoute que c’est justement ce qui n’est pas évalué car, regrette-t-il, « en France, le mot reporting n’a pas de traduction, c’est grave ».

Amorce de retournement

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