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PS et UMP se disputent « l’autonomie » des établissements scolaires - L. Fessard, Mediapart, 13 novembre 2010
samedi 13 novembre 2010, par
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Plus d’autonomie pour les établissements scolaires : la proposition fait florès aussi bien dans le projet éducatif du PS (Convention égalité réelle lancée le 9 novembre) que dans celui de l’UMP (Convention du 3 novembre consacrée à l’école). « Aujourd’hui tout le monde a abandonné l’idée que ce serait en prescrivant, au niveau ministériel et dans le détail, les modalités de prise en charge des élèves qu’on résoudra le problème de nos résultats scolaires, peu reluisants, et d’un manque d’égalité des chances, qui nous placent en queue de peloton y compris par rapport aux pays anglo-saxons », remarque Philippe Tournier, secrétaire général du principal syndicat de chef d’établissements, le SNPDEN.
Mais le mot autonomie est « un terme piège et polysémique », met en garde le sociologue Choukri Ben Ayed, professeur à l’université de Limoges. « Il y a un immense malentendu entre les militants locaux qui réclament plus d’autonomie en termes de projet pédagogique et d’autogestion, et l’Etat qui utilise l’autonomie dans le sens du nouveau management public, pour se désengager et transférer la responsabilité de l’échec scolaire au niveau local, explique-t-il. D’un côté, on a une conception pédagogiste et humaniste, de l’autre une conception managériale qui cherche à aligner les structures publiques sur le modèle privé et entrepreneurial. » Que mettent alors UMP et PS derrière le mot autonomie ?
Pour l’UMP, l’autonomie est avant tout celle du chef d’établissement. Les directeurs d’école primaire, de collège ou de lycée doivent pouvoir recruter leurs professeurs, adapter la répartition de leur dotation horaire aux besoins locaux et expérimenter de nouvelles méthodes d’apprentissage. « Il faut qu’un patron (le chef d’établissement, ndlr) puisse rentrer dans les classes et puisse faire une exfiltration des enseignants qui sont en rupture avec son projet pédagogique », a surenchéri, le 3 novembre, Gérard Longuet, sénateur de Lorraine. En échange de ces nouvelles responsabilités, le secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand, réclame des résultats, via par exemple la signature de « contrat d’objectifs » entre les recteurs et les directeurs d’école primaire. La possibilité pour un chef d’établissement de recruter ses enseignants est d’ailleurs déjà expérimentée depuis la rentrée 2010 dans 105 collèges et lycées du programme CLAIR (collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite), des établissements souvent en ZEP qui « concentrent le plus de difficultés en matière de climat scolaire et de violence ».
« Un véritable leurre » pour Thierry Cadart, secrétaire général du Sgen-CFDT. « Sur 100 établissements difficiles, les profs ne se précipitent déjà pas mais, projeté sur 400.000 enseignants du secondaire et plus de 11.000 collèges et lycées, ça ne peut pas fonctionner ! », estime-t-il. Des propos confirmés par Philippe Tournier qui remarque que « l’heure étant plutôt à la rareté des candidats, il va y avoir une concurrence entre les établissements pour attirer les meilleurs enseignants ». « Les profs vont se précipiter vers les établissements les plus favorisés dans les zones les plus agréables, et la ZEP située dans un bassin minier du Nord n’aura aucun volontaire et devra recruter un contractuel, prévoit-il. On va cumuler un déséquilibre du profil social et scolaire des élèves, causé par l’assouplissement de la carte scolaire, et un déséquilibre du profil des profs. »
Marché scolaire concurrentiel
Jean-François Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, voit lui dans l’autonomie un moyen de développer la « culture d’établissement ». « Il faut, à l’image de ce qui se fait dans un certain nombre de pays anglo-saxons, être fier de son établissement », exhorte-t-il, incitant à mettre en avant « tout ce qui peut faire une marque pour un établissement », tant « des prix d’excellence » que « des compétitions interétablissements dans le domaine scolaire, sportif, intellectuel, théâtral, des réseaux d’anciens, etc. ».
« L’autonomie version UMP est le décalque, dans le public, de ce qui se fait déjà dans les établissements privés sous contrat », estime Philippe Tournier. Car, comme l’explique Chroukri Ben Ayed, « dans le cadre de l’émergence d’un marché scolaire, on s’est rendu compte que les établissements publics et privés ne se battaient pas avec les mêmes armes, décrypte-t-il. L’enseignement public a alors développé la notion de projet d’établissement comme outil de différenciation des offres pédagogiques dans un marché scolaire concurrentiel ». Une concurrence directement encouragée par Nicolas Sarkozy avec l’assouplissement de la carte scolaire engagé en 2007. L’UMP se garde toutefois bien d’évoquer les conséquences explosives (accentuation de la ghettoïsation des établissements les plus fragiles et déstabilisation de collèges moyens) de cette mesure, et la suppression complète de la carte scolaire, initialement prévue pour la rentrée 2010, ne semble plus à l’ordre du jour.
Dans sa convention pour l’égalité réelle, le PS met lui l’accent sur l’autonomie pédagogique des équipes éducatives « liée à une réforme du métier d’enseignant, comme concepteur et non plus seul passeur de savoir » selon le secrétaire national à l’éducation du PS, Bruno Julliard. Le texte de la convention propose de confier aux équipes pédagogiques une « part importante » (un tiers selon Bruno Julliard) de la dotation horaire actuelle des établissements pour mener des projets pluridisciplinaires, prendre des petits groupes d’élèves en soutien, etc. « Il y aurait une contractualisation sur trois ou quatre ans avec l’établissement pour éviter que les moyens et heures ne disparaissent la deuxième année, comme c’est souvent le cas », assure Bruno Julliard. Dans le cadre de la réforme de la seconde, les lycées sont déjà, depuis septembre 2010, maîtres d’un tiers de l’horaire hebdomadaire des classes de seconde. « C’est un vrai progrès mais il n’a pas fallu trois mois pour que le ministère de l’éducation nationale publie une circulaire disant comment organiser cet horaire », regrette Philippe Tournier.
Indice de mixité sociale
En contrepartie de cette plus grande liberté, le PS entend faire varier les moyens attribués à chaque établissement (public comme privé sous contrat) en fonction de la mixité sociale de ses élèves, mesurée par un indice. « Il ne s’agit pas d’établir des quotas, mais d’avoir un indice plus fin que les zones d’éducation prioritaire (on est ZEP ou on n’est pas en ZEP) pour contraindre à plus de mixité sociale, y compris dans le privé », explique Bruno Julliard. Au risque de rallumer la guerre scolaire entre privé et public ? « Dès l’instant où la collectivité assume l’essentiel de la dépense de l’enseignement privé, il est absolument normal qu’il y ait des objectifs de service public, répond Philippe Tournier. Je vois mal des dirigeants catholiques, censés lire l’Evangile, s’élever contre un objectif d’accueil de tous, y compris des plus déshérités. »
Plus généralement, cet indice de mixité sociale soulève, selon le sociologue Choukri Ben Ayed, plus de questions qu’il n’apporte de réponses. « Veut-on exactement la même répartition des élèves en fonction de leur origine sociale partout en France ? Comment va-t-on faire dans un collège ZEP de Seine-Saint-Denis pour attirer des enfants de cadre ?, demande-t-il. Il faudrait d’abord repenser l’offre éducative, car la fuite des élèves de certains établissements est la conséquence de la disparité de l’offre, de la hiérarchisation des écoles. » A cet égard, Bruno Julliard veut créer une « nouvelle carte scolaire » avec des secteurs de rattachement géographiquement plus larges qu’auparavant. « La carte scolaire fonctionne bien quand la mixité sociale est déjà présente dans un quartier mais, dans un quartier socialement très homogène, elle enferme plus qu’elle ne brasse les élèves, donc il faut élargir les secteurs », explique-t-il. « L’idéal serait d’avoir des bassins d’éducation autour d’un ou deux lycées, qui permettent le déplacement des élèves, et assez larges pour avoir une mixité sociale », estime, quant à lui, Thierry Cadart.
Autonomie façon PS ou UMP, pour Philippe Tournier, l’enjeu principal reste que « tout le monde cesse de se mêler de tout en matière d’éducation ». « Il faut que l’Etat soit au clair sur ce qu’il veut et qu’il s’assure que les résultats recherchés sont obtenus, dit-il. Quand Gilles de Robien veut expliquer aux profs comment apprendre à lire aux élèves ou quand Luc Chatel demande aux élèves de se lever à l’entrée du prof, c’est de la compétence des établissements, pas du ministre. » Pas gagné quand Xavier Bertrand promet aux instituteurs une « utilisation de l’enveloppe horaire plus souple » pour aussitôt la restreindre « à l’enseignement intensif de la lecture et des autres savoirs fondamentaux ».