Accueil > Pratiques du pouvoir > Abus > Lettre de sept sociologues de l’université Pierre Mendès France au président (...)
Lettre de sept sociologues de l’université Pierre Mendès France au président de l’université et à leurs collègues (20 octobre 2010)
lundi 22 novembre 2010, par
Monsieur le Président,
Chers collègues,
Le 20 octobre 2010 les sociologues de l’université Pierre Mendès France ont été invités à une réunion à la présidence, animée par le directeur du département, Serge Dufoulon et le directeur du laboratoire EMC2, Florent Gaudez, en présence d’Alain Fernex, vice-président études, de Réné Favier, vice-président recherche, et de vous-même, en tant que président de l’Université Pierre Mendès France.
Le but de cette réunion était de favoriser un rapprochement des laboratoires grenoblois dans lesquels la sociologie est représentée. Le directeur du département et le directeur du laboratoire EMC2 nous ont fait part de leur intention de promouvoir ce rassemblement dans l’ouverture, la transparence et le respect de la diversité des thèmes de recherche, bien que, assez étrangement, aucun directeur de laboratoire autre que Florent Gaudez n’ait été convié à cette réunion.
Nous souhaitons tout d’abord exprimer notre satisfaction collective concernant la tenue de cette réunion. Vous avez pu constater que, malgré la diversité de nos objets de recherche, de nos approches et de nos insertions scientifiques, nous formons depuis quelques années une communauté capable de se parler et de construire collectivement des projets. Nous avons apprécié, entre autre, que vous nous invitiez à proposer des initiatives que vous accompagneriez, ce qui marque un tournant positif dans nos relations.
Mais, par le fait même, nous avons été profondément choqués d’apprendre, quelques heures plus tard, la mise au concours d’un poste de professeur de Sociologie à l’Université Pierre Mendès France de Grenoble. Le poste 19 PR 0057 est mis "au fil de l’eau" avec une période courte de candidature du 20/10/2010 au 19/11/2010. Un tel acte est perçu comme étant en parfaite contradiction avec le discours que vous avez tenu en séance. En effet :
a) La définition du poste mis au concours n’a fait l’objet d’aucune discussion collective au sein du département de sociologie ni, a fortiori, dans le périmètre plus large de l’Université Pierre Mendès France.
b) Les enseignants-chercheurs n’ont même pas été informés de la publication du poste. Aucune allusion n’y a été faite lors de notre réunion, ni par vous-même, par le directeur du département de sociologie, ni par le directeur du laboratoire EMC2.
c) L’intitulé du poste "socio-anthropologie de la culture" est défini d’une manière beaucoup plus restrictive dans le profil détaillé. Nous lisons que le candidat devra être un spécialiste de "socio-anthropologie du travail et des religions" (sic), un spécialiste de "sociologie urbaine, ville, territoire, environnement", des "identités et du symbolique" et des "méthodes qualitatives". Le candidat devra en outre avoir exprimé "sa maîtrise des méthodes en sciences sociales sur des terrains exotiques" (p. 2). Il n’existe, à notre connaissance, aucun candidat susceptible d’avoir un profil aussi éclectique, sinon l’actuel directeur du département lui-même.
Le vif sentiment que nous éprouvons ne tient pas aux compétences présumées du candidat, mais à la façon dont le poste a été défini, à la fois dans la forme et dans le fond :
dans la forme, le poste a été défini unilatéralement (point a), dans la plus grande opacité (point b), affichant ainsi un mépris ouvert de tous les usages universitaires de collégialité. Plusieurs autres profils auraient pu être envisagés et cela aurait pu faire l’objet d’une discussion en regard de ce que nous souhaitons développer collectivement quant à l’enseignement et quant à la recherche. Votre décision n’est pas du tout neutre sur le plan du développement de la sociologie grenobloise.
dans le fond, le poste a été défini d’une manière si restrictive et si éclectique (point c) qu’aucun candidat ne pourrait raisonnablement se porter candidat au plan national. Étant donné l’état actuel de spécialisation de la discipline, un candidat qui prétendrait répondre à ces exigences ne pourrait avoir accumulé qu’une connaissance superficielle de chacun des thèmes affichés.
Les signataires perçoivent donc dans la publication de ce poste une grave distorsion des principes qui encadrent les concours de la fonction publique.
Le fait nous paraît déplorable à deux titres :
au plan de l’agent, l’acte est entaché d’un conflit d’intérêt réel, puisque le directeur du département avait un intérêt personnel de nature à influer sur l’exercice impartial et objectif de ses fonctions.
au plan de l’université, la publication d’un poste empêchant de fait la candidature d’autres candidats constitue un acte discriminatoire.
Mais c’est avant tout sur les conséquences désastreuses de la façon dont les choses se sont passées que nous souhaitons attirer votre vigilance.
Premièrement, cette publication affaiblit la crédibilité du directeur du département de sociologie. Un directeur qui prétend défendre l’ouverture et la transparence et qui agit en même temps à l’encontre de ces principes en nouant des accords tacites perd la confiance de ses collègues autant que sa légitimité éthique et démocratique de directeur du département. Un tel comportement est d’autant plus tragique qu’il se fait lors d’une réunion publique et symbolique devant tous les collègues, réunion dans laquelle on se prononce justement en faveur de ces principes d’ouverture, de transparence et de diversification de la sociologie à Grenoble.
Deuxièmement, aux yeux des instances nationales en charge de la discipline, la publication de ce poste est de nature à ruiner la crédibilité du département de sociologie et à nuire gravement à la réputation de notre Université.
Pour toutes ces raisons, les signataires :
1° expriment le souhait que la présidence clarifie publiquement sa stratégie vis-à-vis de la sociologie grenobloise,
2° considèrent que maintenir un tel concours risque d’être sévèrement sanctionné par notre communauté scientifique, ce qui pourrait entraver nos collaborations extérieures et isoler davantage le département de sociologie,
3° demandent à la présidence de suspendre ce concours, le temps qu’un profil soit redéfini dans le respect de la collégialité et de l’esprit d’ouverture soutenus par la présidence lors de la réunion du 20 octobre 2010.
Veuillez agréer, Monsieur le Président et Chers Collègues, l’expression de nos sentiments distingués.
Les signataires (par ordre alphabétique) :
Hélène André-Bigot – Maître de conférences, UPMF
Jacques Barou – Chargé de recherche, CNRS et PACTE
Ewa Bogalska-Martin – Professeur des universités, UPMF et PACTE
Dietmar Loch – Maître de conférences, UPMF et PACTE
Dominique Raynaud – Maître de conférences, UPMF et PLC
Guillermo Uribe – Maître de conférences, UPMF et PACTE
Dominique Vinck – Professeur des universités, UPMF et PACTE
Voir également le billet de P. Dubois sur son blog Histoires d’Universités