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Un procès pour intimider les chercheurs ? - Jérôme Mercier, Le Monde Diplomatique, 1er décembre 2010
jeudi 2 décembre 2010, par
Le lundi 22 novembre 2010 avaient lieu les plaidoiries de l’affaire opposant M. Patrick Buisson à notre collaborateur Alain Garrigou [1] et au journal Libération. Le dirigeant de l’institut de sondages Publifact, conseiller de la présidence de la République, ancienne plume du journal d’extrême droite Minute, assignait, en effet, pour « diffamation », ce professeur de science politique de l’université de Paris-Ouest-Nanterre, spécialiste des sondages, et le journal lui ayant consacré un entretien. Dans Libération daté du 6 novembre 2009 [2], M. Garrigou aurait « franchi la ligne rouge », comme n’a eu de cesse de le soutenir durant sa plaidoirie Me Gilles William Goldnadel, avocat de M. Buisson, en tenant les propos suivants : « Pourquoi l’Elysée paie-t-il beaucoup plus cher en passant par lui [Patrick Buisson] au lieu de les acheter à moindre prix directement ? Et pourquoi laisser Buisson se faire une marge de 900 000 euros sur son dos ? Soit c’est un escroc, soit un petit soldat qui constitue un trésor de guerre pour payer des sondages durant la prochaine campagne électorale sans que ce soit visible dans les comptes de campagne du futur candidat Sarkozy. » Pour ces motifs, Me Goldnadel demandait, en plus de la reconnaissance du délit de diffamation publique à l’encontre de M. Buisson, le paiement de la somme de 100 000 euros, à titre de dommages et intérêts, par les prévenus.
Dans un contexte de mise en question publique des pratiques de l’Elysée en matière de sondages, ce procès ne pouvait que revêtir un caractère politique. Ainsi, dans sa plaidoirie, Me Goldnadel, expert dans l’art de poursuivre en justice pour « diffamation » et « antisémitisme » les auteurs de propos qui relèvent le plus souvent de la liberté d’expression ou de recherche (« Affaire Morin » [3]]), ne manquait pas de critiquer à la fois la partie II, alinéa C, du rapport de juillet 2009 de la Cour des comptes [4] ; les « agitateurs » des débats relatifs à la mainmise de M. Nicolas Sarkozy sur les médias et M. Garrigou, « un universitaire placé dans une situation d’anobli », « se laissant aller dans une telle ire », vivant dans « un sentiment d’impunité » et « roulant dans la fange ! » le conseiller du président de la République. « Nous disons “non !”, c’est impossible de laisser passer cela, même lorsque l’on a le cuir tanné » poursuivait Me Goldnadel, rappelant « l’énormité » du propos de M. Garrigou. « Comment l’exercice des sondages serait-il constitutif d’escroquerie ? », demandait-il au tribunal, innocemment, avant de s’en prendre plus virulemment au prévenu : « Garrigou ne pensait pas du tout aux sondages », « C’est une véritable escroquerie intellectuelle vis-à-vis de la Nation », « une inversion des normes invraisemblable ».
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[1] Alain Garrigou a notamment publié L’ivresse des sondages (La Découverte, Paris, 2006). Il coanime l’Observatoire des sondages, qui sera prochainement hébergé par Le Monde diplomatique.
[2] « “Les sondeurs violent tous les principes déontologiques qu’ils défendent” », Libération, 6 novembre 2009.
[3] Suite à sa tribune « Israël-Palestine : le cancer », publiée dans Le Monde, le 4 juin 2002, et cosignée par Danièle Sallenave et Sami Naïr, Edgar Morin était poursuivi pour antisémitisme par Me Goldnadel. Ce dernier fut heureusement débouté par la Cour de Cassation, qui, jugeant que les opinions exprimées relevaient « du seul débat d’idées ». Lire « Edgar Morin, juste d’Israël ? », par Esther Benbassa, octobre 2005.
[4] Rapport remis par le premier président de la Cour des comptes à M. Nicolas Sarkozy, président de la République, le 15 juillet 2009, « Gestion des services de la présidence de la République (service 2008) » (PDF), page 11. Cette partie, relevant une anomalie et une dépense exorbitante de 1,5 millions d’euros en frais de sondages de la part de la présidence de la République, ne satisfaisait pas Me Goldnadel, selon lequel l’opinion de M. Buisson aurait dû être entendue. Ce rapport, selon lui, a le défaut de ne pas être « contradictoire ».