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Enseignement supérieur : les Allemands galérent avant, les Français après - Noémie Rousseau, Médiapart, 6 janvier 2010
jeudi 6 janvier 2011, par
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La France peut se targuer d’offrir des possibilités d’études ouvertes, en revanche le tableau s’assombrit pour ce qui est de l’insertion professionnelle. Côté allemand, une sélection rude en amont est contre-balancée par des débouchés plus assurés. L’enseignement supérieur s’est considérablement développé et diversifié en 50 ans des deux côtés du Rhin, permettant l’intégration de nouveaux groupes d’individus, jusqu’à présent exclus du système. Mais cette expansion ne s’accompagne pas nécessairement d’une progression de l’égalité. C’est ce qu’entend mesurer une nouvelle étude de l’Insee, publiée dans la dernière revue Economie et Statistique. Les enfants des classes favorisées profitent en premier des nouvelles places dans l’enseignement supérieur et ce, jusqu’à ce que leur classe sociale ait atteint un taux d’accès proche des 100%. Ce n’est qu’ensuite que les groupes moins bien positionnés commencent à les rattraper. "L’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981, avec l’objectif de 80% d’une classe d’âge titulaire du baccalauréat, a profité aux classes populaires. Il y 20 ans, le fils du plombier n’aurait jamais pensé avoir son bac. Dans les années quatre-vingt un enfant d’ouvriers sur cinq était bachelier, aujourd’hui c’est un sur deux", explique Marie Duru-Bellat, professeur à Science-po et auteure de l’étude avec Annick Kieffer (CNRS) et David Reimer (Université danoise Aarthus).
Pour conserver leur dominance sur les autres, les privilégiés choisissent alors des filières différentes mais toujours dans les domaines les plus rentables. Ainsi, le développement de l’enseignement supérieur, engendrant une différenciation, sert davantage les milieux aisés que les classes populaires. C’est l’hypothèse du maintien maximum de l’inégalité qui fonde le questionnement des chercheurs.
Dans les deux pays, l’obtention du baccalauréat conditionne l’entrée dans l’enseignement supérieur. Outre-Rhin en 2000, 37% d’une génération était titulaire de l’abitur, l’équivalent allemand du bac, contre 62% en France la même année et 65% en 2009. Cette faible proportion de bacheliers allemands s’explique en partie par l’existence d’autres examens, professionnels, qui donnent également accès au supérieur via des universités techniques, le pendant germanique de nos IUT ou BTS.
Mais l’écart entre les scores français et allemand trouve ses racines bien en amont. Dès la fin de l’école primaire, un palier d’orientation écarte un certain nombre d’Allemands de toute perspective d’études longues et les dirige vers l’apprentissage. Une filière qui "concerne de plus en plus un public très défavorisé", relève l’étude. Dès l’âge de 11 ans, les Allemands des classes populaires voient leur chance d’accéder au supérieur fortement compromises. "Seule 50% d’une classe d’âge va au Gymnasium, le lycée, soit la quasi totalité des enfants des classes aisées. Les autres sont dirigés soit vers l’école moyenne soit vers la Hauptschule, l’équivalent des classes de fin d’études où se concentrent les immigrés et les plus modestes", poursuit Marie Duru-Bellat.
A l’inverse, le bac français est plus égalitaire et se démocratise, bien que l’étude de Pierre Merle (2002) invite à la prudence, parlant de "démocratisation ségrégative". En réalité, les séries s’ouvrant le plus socialement sont les bac pro, dont le recrutement était déjà le plus populaire.
Grandes écoles françaises et universités allemandes
Deuxième point de mesure de l’égalité dans l’accès au supérieur : l’entrée effective dans les études. Et c’est à cette étape que le travail des trois chercheurs pointe un déséquilibre dans le système français. Les jeunes issus de milieux populaires sont pénalisés, absorbés par les bacs techniques donnant moins accès au supérieur que les bacs généraux. Et la sociologue de préciser : "Les bac pro ont été créés pour augmenter le nombre de bacheliers par génération, pas le nombre d’étudiants. C’est un frein pour l’accès au supérieur".
Concernant les Université françaises, elles sont plus égalitaires dans leur recrutement que leurs voisines allemandes où un fils ou une file d’ouvriers à trois fois moins de chance d’y entrer par rapport à un bachelier dont les parents sont cadres. L’écart se réduit d’un point dans l’hexagone. Mais la France compense largement par l’inégalité croissante aux portes des grandes écoles, des structures qui n’ont pas d’équivalent allemand. Outre-Rhin, ceux qui ont de bonnes notes, des parents diplômés et aisés, vont à l’Université. En France, les mêmes ne jurent que par les grandes écoles. Les chances d’y entrer sont presque cinq fois moins élevées pour les enfants d’ouvriers.
Si les filières de l’enseignement supérieur sont moins hiérarchisées en Allemagne, les inégalités sociales et culturelles s’expriment dans le choix des spécialités. Les étudiants dont le père est diplômé laissent aux autres les sciences sociales et les humanités pour se concentrer essentiellement sur les sciences et l’ingénierie. Côté français, les résultats scolaires prédominent dans le choix d’un domaine d’étude. Parmi les facteurs de choix, figure en bonne place chez les Français comme les Allemands les possibilités d’insertion professionnelle qu’offrent telle ou telle discipline. Dans les deux cas, ce sont les sciences qui augmentent les chances pour un étudiant d’accéder à un emploi de cadre.
La manière la plus sûre d’y arriver, c’est de passer par l’université en Allemagne et les grandes écoles en France. Les étudiants français cumulant la bonne spécialité et la bonne filière, soit une grande école du domaine scientifique, ont plus de 80% de chances d’accéder à un emploi de cadre, contre 40% pour les étudiants d’université. L’Allemagne est plus performante pour ses débouchés, toutes filières confondues. Qu’ils sortent d’universités techniques ou générales, les étudiants ont entre 60 et 73% de chances d’occuper un poste de cadre et ce, plus rapidement que leurs voisins français. Mais, les bons résultats de l’enseignement supérieur allemand sont à relativiser puisqu’ils ont été obtenus en évinçant dès l’école primaire les élèves qui pourraient les plomber.