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La destruction méthodique de l’Education nationale - Didier Desponds, blog sur Mediapart, 2 février 2011
mercredi 2 février 2011, par
Lors de ses vœux destinés au monde de la connaissance et de la culture, mercredi 19 janvier 2011, le président de la République, a annoncé qu’il entendait poursuivre en l’améliorant la réforme de la formation des enseignants, « le chantier de l’avenir » indiqua-t-il.Il déclara plus loin, « Je pense qu’il faut que nous remettions sur le chantier les éléments de formation, passer des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) à l’université, passer d’un niveau licence à un niveau master ne suffit pas », puis « il y a toute la question de la formation pratique, je pense qu’il ne faut pas avoir peur d’améliorer en permanence notre système ». Il est surprenant que N. Sarkozy reconnaisse lors de ses vœux la nécessité d’améliorer les dispositifs de recrutement des enseignants qu’il a lui même dangereusement fragilisé, en lançant le 2 juin 2008 une réforme majeure sans la moindre discussion avec les principaux acteurs concernés. S’agirait-il d’un aveu d’échec susceptible d’engager une réflexion en profondeur ou simplement d’un nouvel effet d’annonce sans lendemain, destiné à gagner du temps ? Le processus en cours sur ce sujet depuis son accès au pouvoir incite à opter pour la seconde partie de cette alternative, en voici les principales raisons.
1) Les enseignants pâtissent d’un dénigrement systématique. Le constat n’est pas nouveau. Quand il était ministre de l’Education nationale, de juin 1997 à mars 2000 C. Allègre, avait largement amorcé le phénomène par ses formules à l’emporte-pièce. La réalité des expériences conduites dans les établissements scolaires, les difficultés rencontrées par les enseignants dans leur pratique professionnelle passent à l’arrière-plan derrière le dénigrement des revendications présentées comme corporatistes ou la dénonciation des avantages « excessifs » dont ils seraient censés bénéficier. Le chef de l’Etat ne se vante-t-il pas de l’affaiblissement apparent des mobilisations enseignantes, le dernier exemple en date ayant été signalé le 26 janvier lors de son intervention devant le « premier cercle » des donateurs de l’UMP.
2) L’application depuis 2007 d’un mécanisme automatique de suppression de postes impose le dogme du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux comme le stipule la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques). Elle a conduit à la destruction des dispositifs de soutien qui avaient fait leur preuve tels les Rased, à des remplacements de plus en plus périlleux dans de nombreuses classes, à l’augmentation du nombre moyen d’élèves par classe à l’école primaire comme en collège et à la réduction de la scolarisation à partir de deux ans. Ceci n’empêche pas le ministre L. Chatel d’envisager sans sourire lors de sa déclaration du 23 janvier 2011, l’expérimentation de l’enseignement de l’anglais à partir de trois ans... Rappelons que 11 200 postes furent supprimés en 2008, 13 500 en 2009, 16 000 en 2010 et 16 000 suppressions sont de nouveau prévues au budget 2011. La découverte de nouveaux « gisements d’emplois » permettrait soit disant cette « rationalisation » sans heurts.
3) Pour palier aux inquiétudes que suscite la réduction des moyens, une agitation permanente laisse croire que l’on va mieux s’occuper des élèves en difficulté et qu’une meilleure organisation du temps de travail permettra de s’adapter aux besoins des enfants. Le passage à la semaine de quatre jours par X. Darcos en a constitué un bon exemple. Le récent rapport parlementaire remis le 9 décembre 2010 par la députée UMP M. Tabarot a malheureusement pointé toutes les fragilités du nouveau système et préconisé un retour à une semaine de quatre jours et demi. Il apparaît qu’avec 6 heures de cours par jour et 144 jours de classe, les élèves français ont les horaires quotidiens les plus lourds d’Europe.
4) La mesure la plus emblématique reste celle de la mastérisation de la formation des enseignants. Comme l’indique le ministère sur son site : « La mastérisation permettra l’élévation du niveau de recrutement et une amélioration de la qualité de la formation. Cette réforme instaurera le recrutement des enseignants des écoles, collèges et lycées au niveau master 2 (à bac +5) ». Personne ne pourrait s’inscrire contre une amélioration de la qualité de la formation des enseignants. Derrière cet argument de poids apparaissent néanmoins toutes les difficultés de la mise en œuvre. Oublions le fait que cette réforme lancée par la déclaration de N. Sarkozy le 2 juin 2008 fût initiée sans la moindre concertation préalable. Oublions l’obsession du ministère qui visait d’abord à supprimer les IUFM et à réduire la charge financière liée au paiement des fonctionnaires stagiaires. Insistons par contre sur la prétendue amélioration de la formation professionnelle. Lors d’une déclaration à la radio RMC le 12 février 2009, le ministre en charge de la réforme, X. Darcos avait indiqué : « Aujourd’hui (...) les professeurs passent un concours, ils sont mis dans l’Institut de formation des maîtres, où on leur apprend des théories générales sur l’éducation et de temps à autre, ils vont remplacer un professeur absent. C’est pas comme ça qu’on forme des gens. Autrement dit, ils sont sans arrêt devant un simulateur de vol. Alors que dans le système que je propose, ils ne seront pas dans un simulateur de vol ». Il s’agissait d’un mensonge éhonté. Le ministre, lui même enseignant, ne pouvait méconnaître le fonctionnement du système. Lors de leur année de fonctionnaire stagiaire, les futurs enseignants étaient devant des élèves : huit heures par semaine en responsabilité pour les lycées et collèges, un jour par semaine pendant trente semaines et six semaines complètes par an pour les écoles élémentaires. Ce dispositif présentait l’avantage de confronter les futurs enseignants à la réalité de leur activité professionnelle dans des conditions plus favorables que celles découlant de la mastérisation (envoi sur le terrain, avec trois semaines de formation pédagogique). Pour suppléer à ce déficit, le successeur de X. Darcos a trouvé la solution. Il s’agit d’un espace en ligne dédié à la formation des enseignants. Ils pourront ainsi au moindre coût, maîtriser les bonnes recettes pour « tenir leur classe ». Présenté le 26 août 2010, il ne constitue qu’un pis-aller en regard des difficultés auxquelles ils peuvent être confrontés. Pour résumer, si le contenu disciplinaire ou didactique des nouvelles formations est assuré de manière satisfaisante par les universités, le volet professionnel de préparation au nouveau métier témoigne d’une réelle régression par rapport à la situation antérieure. Cette situation semble avoir été appréhendée par les étudiants. Selon les chiffres communiqués par le ministère de l’éducation nationale après les épreuves écrites, dites d’admissibilité, qui se sont terminées fin novembre : 21 000 étudiants ont passé les épreuves dans le second degré contre 38 249 lors de la précédente session ; ils étaient 18 000 dans le premier degré, contre 34 952 précédemment. Curieux, il s’agit pourtant d’exercer un métier ne présentant que des avantages et un temps conséquent de vacances...
5) Cette situation peut résulter de la baisse tendancielle des postes offerts au concours : en 2011, seulement 3 000 postes ouverts dans l’enseignement primaire contre 6 500 lors de la session précédente, 8 500 dans le secondaire contre un peu plus de 10 000. La stratégie devient clairement lisible, il est possible d’en imaginer la suite. Les masters étant dorénavant en place, les futurs enseignants seront recrutés dans le vivier des étudiants ayant suivi ces formations. Le nombre d’enseignants bénéficiant du statut de fonctionnaire va se réduire, même s’il est politiquement utile de conserver encore quelques temps la fiction des concours. Il faut par ailleurs prendre en compte les nouvelles difficultés que le ministère ajoute pour obtenir la titularisation. L’arrêté du 31 mai 2010 stipule ainsi que pour devenir stagiaire après l’obtention de leur master et du concours, les étudiants devront en plus attester d’une certification en langue de niveau B2, de préférence le CLES 2 et d’une certification dans la maîtrise des outils informatiques adaptés à leur discipline, soit un C2i2e. Ces exigences devaient s’appliquer dès la rentrée 2011. Par un texte paru au JO du 31 août 2010, elles n’entreront en vigueur qu’à la rentrée 2012. Si l’obtention du C2i2e se justifie compte tenu de l’évolution des pratiques pédagogiques, celle du CLES 2 est beaucoup plus contestable. De fait, elle instaure une inégalité de traitement entre les étudiants des masters langues qui n’auront pas à la fournir et les autres. De plus, à titre d’exemple, comment justifier qu’un bon candidat en mathématiques ayant obtenu le master et le concours ne puisse être titularisé du fait d’un niveau momentanément insuffisant en anglais, sans relation immédiate avec sa pratique professionnelle ?
6) Le dernier volet concerne le renforcement des prérogatives des chefs d’établissement. Le dispositif CLAIR (Collèges et Lycées pour l’Ambition, l’Innovation et la Réussite, cf. deux circulaires parus dans le BO du 22 juillet 2010,) indique la voie qui va être suivie. Il est expérimenté dans 105 établissements depuis la rentrée et permet un recrutement plus souple des personnels enseignants, ceux-ci « bénéficieront de dispositifs spécifiques de rémunération complémentaire ». L’annonce faite par L. Chatel sur France Info le 25 janvier 2011, annonçant des primes triennales de l’ordre de 6000 € pour les chefs d’établissement, va de même dans le sens de l’individualisation des rémunérations.
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