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"L’université, fille du roi"
par Philippe Askenazy, "Le Monde" du 4 juin 2008 (Carte Blanche)
mercredi 11 juin 2008, par
L’université est une priorité affichée de la politique gouvernementale. Malgré un contexte restrictif, son budget devrait progresser durant la législature. Mais le gouvernement met surtout l’accent sur l’autonomie des universités. L’université française perdrait ainsi son statut singulier de " fille du roi ", hérité du XIVe siècle, et qui justifie encore la nomination des professeurs d’université par décret du président de la République.
En théorie, la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités dote les présidents d’université de larges pouvoirs, tant dans leur relation avec le ministère qu’au sein même de leurs établissements ; elle entend leur permettre de construire une politique scientifique et pédagogique d’excellence et d’intégrer le fameux classement de Shanghaï. Une dizaine de pôles en seront le fer de lance. Pour le premier ministre, François Fillon, il s’agit rien moins que de " rebâtir l’université française ", et il ajoute avec emphase : " Toute notre tradition spirituelle, philosophique et scientifique, toute l’ambition républicaine convergent vers la nécessaire réforme de nos universités. "
Malgré ce volontarisme et l’effort de persuasion de Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, les universitaires sont sceptiques. L’euphorie n’est pas au rendez-vous dans les unités de formation et de recherche (UFR) ou autres unités mixtes de recherche (UMR). Pourquoi ? Parce que l’Etat bégaie.
En juillet 1968, déjà, lors de son discours de politique générale, le premier ministre Maurice Couve de Murville déclarait : " S’agissant de réformes, c’est à l’université que nous pensons fatalement d’abord. Elle a été secouée par une tempête qui révèle la profondeur de la crise actuelle de la jeunesse (...). La réforme elle-même sera une oeuvre de longue haleine. D’ores et déjà, une sorte de consensus général paraît se dégager sur quelques grands principes : personnalité des établissements universitaires, modification des règles traditionnelles de l’uniformité des enseignements, des programmes et des examens, transformation des méthodes pédagogiques, nécessité d’adapter les disciplines aux possibilités de débouchés dans la vie active, enfin, large participation des enseignants, d’une part, des étudiants, d’autre part, dans tous les domaines, et aussi des représentants des intérêts économiques et sociaux (...). C’est sur cette base que pourront être ensuite entrepris, à l’intérieur des établissements devenus autonomes, les travaux et les discussions qui conduiront à l’édification de l’université nouvelle. "
Huit ans après, Raymond Barre affirmait, dans son discours de politique générale : " Permettez à l’universitaire qui vous parle d’insister plus particulièrement sur la responsabilité des universités. La liberté de ces établissements doit permettre de donner à notre enseignement la qualité dont il ne pourrait se passer (...). Le rang de notre pays dans le monde sera fonction de la qualité de notre enseignement supérieur et des résultats de notre recherche scientifique. Le gouvernement aidera l’université. "
Une décennie plus tard, Jacques Chirac récidivait, toujours dans sa déclaration de politique générale : " Dans l’enseignement supérieur, le principe d’autonomie doit être définitivement concrétisé (...). L’autonomie doit aller de pair avec un allégement des structures universitaires, un décloisonnement du travail d’enseignement et de recherche, une mobilité accrue des hommes, un essor nouveau donné à l’innovation, qui doit s’ouvrir sur le monde extérieur, sur l’industrie bien évidemment, mais aussi sur la coopération scientifique internationale. " Bref, cela fait maintenant quatre décennies - au moins - que les universitaires entendent la douce musique de l’autonomie, de la liberté et de la responsabilité.
Or elle pourrait bien masquer de vrais obstacles. Par exemple : comment " lutter " dans la même catégorie qu’un Harvard, dont le budget annuel est de l’ordre de celui des dix-sept universités franciliennes réunies ? Comment maintenir la motivation d’un corps enseignant, alors que l’heure de cours est payée en France moitié moins que dans les pays leaders de l’OCDE ? Comment stimuler les étudiants quand les classes prépa, puis les grandes écoles, absorbent une bonne partie des plus motivés d’une génération ? Et ce d’autant plus facilement que le pouvoir politique ne cesse de dénigrer les universités résumées à un lieu d’échec ?
Surtout, l’Etat reprend d’un côté ce qu’il accorde de l’autre. La recherche et l’enseignement universitaires sont intimement liés. Et l’Etat étend inexorablement son pilotage de la première à travers les transferts de moyens globaux pourtant faibles à l’Agence nationale de la recherche, dont 70 % du budget sont fléchés sur des priorités prédéfinies. Malgré l’opposition de nombreux chercheurs, le CNRS va être découpé en une série d’instituts dotés de directeurs nommés par arrêté ministériel, sur proposition de la direction du CNRS, marquant symboliquement la perte d’autonomie de l’organisme. En janvier, Nicolas Sarkozy énonçait clairement sa doctrine : " De mon point de vue, c’est bien au Parlement, au gouvernement, et particulièrement au ministère chargé de la recherche, qu’il appartient d’attribuer l’argent public et de fixer les orientations stratégiques. " Difficile de vraiment rompre avec l’héritage d’Ancien Régime.