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Lettre de Stéphane Tassel à Bertrand Monthubert à la suite du Forum des Idées (20 mai 2011)
dimanche 22 mai 2011, par
Voir aussi le dossier complet sur le Forum des Idées du PS.
Paris, le 20 mai 2011
Monsieur Bertrand MONTHUBERT
Secrétaire national à l’enseignement supérieur
et à la recherche
Parti Socialiste
10, rue Solférino
75007 ‐ PARIS
Cher Bertrand Monthubert,
Ce courrier fait suite à ma présence dans la salle au « forum des idées » organisé à Toulouse par le Parti Socialiste sur les questions d’enseignement supérieur et de recherche. Il prolonge mon intervention qui a été réduite à peau de chagrin par une organisation qui n’a pas rendu possible un débat à la hauteur des enjeux que suscitent l’enseignement supérieur et la recherche pour les prochaines échéances électorales de 2012.
En tant que secrétaire général du SNESUP‐FSU, je proteste contre le choix fait de donner l’essentiel du temps
de parole à des présidents d’universités et à des élus de Conseils Régionaux, laissant la portion congrue à
l’expression des organisations représentatives des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Je note en outre que la présence à la tribune d’Axel Kahn, auteur d’un ouvrage, tout juste paru, écrit en
collaboration avec V. Pécresse ne peut qu’accroître les ambiguïtés de certaines des positions avancées par le
Parti Socialiste dans le texte « Construire l’avenir : la recherche et l’enseignement supérieur au cœur du
changement » dévoilé en début de séance. Si certains passages de ce texte font état de positions pouvant
croiser nos préoccupations pour la communauté universitaire, le poids donné à l’innovation et à la valorisation
de la recherche par rapport à l’avancée des connaissances fondamentales dans tous les domaines (y compris
les SHS) est inquiétant, et le flou entretenu autour de la question de l’autonomie – et par conséquent de la
loi « LRU » – nécessite de forts éclaircissements. Par ailleurs, la proposition de transformation du CNESER en
« outil d’expertise placé auprès du parlement », sa fusion avec le CSRT et le Haut conseil de la science et de la
technologie, remettraient en cause son rôle de régulation et de consultation en amont des projets et décisions
du gouvernement (avis sur les textes et décrets, habilitations…).
Dans les propos introductifs de Pierre Cohen, député‐maire de Toulouse, qualifier de « perturbations » le
mouvement historique de 2009 qui a secoué l’ensemble des établissements du supérieur pendant plus de 4
mois est, a minima maladroit, au pire offensant. La communauté universitaire a porté des revendications fortes
pour l’emploi public dans l’ESR ; les libertés scientifiques et pédagogiques, ainsi que leur garantie par le statut ;
la revitalisation de la recherche, des organismes et des UMR… ; la formation des enseignants – laquelle, soit dit
en passant, n’a fait l’objet d’aucun développement au cours de la réunion. Elle est toujours en attente de
réponses aux revendications qu’elle a portées, très majoritairement, dans la rue en 2009.
Depuis 4 ans, dans une atmosphère pesante de mystification et d’urgence permanente, les personnels de
l’enseignement supérieur et de la recherche sont les témoins et les cibles de bouleversements sans équivalent.
Ce sont les missions d’enseignement supérieur et de recherche et les fondements de notre éthique
d’universitaires (liberté, collégialité, démocratie, sens du service public…) qui sont ébranlés par la mise en
concurrence permanente, la destruction des coopérations construites de longue date, la bureaucratie endémique, la dégradation de nos statuts. Loin des discours lénifiants de la ministre, le temps et la sérénité
manquent aux enseignants du supérieur pour faire de la recherche et enseigner. La recomposition du tissu
universitaire, accélérée par les initiatives faussement nommées d’excellence, met en péril des pans entiers de
formation et de recherche, risque de transformer de larges territoires en déserts scientifiques. Les collègues
sont écartelés entre l’attachement à leurs valeurs et la survie de leurs travaux. Sous l’effet des marges de
manœuvre biaisées des budgets globaux « LRU », la précarité explose et le nombre de Vice‐présidents ou
chargés de mission aux titres divers et aux rémunérations outrancières se multiplie.
Les entraves aux libertés scientifiques et pédagogiques n’ont jamais été aussi prégnantes. Les processus
d’évaluation et de sélection opaques et arbitraires, le poids d’experts nommés ou autoproclamés, les pouvoirs
démesurés octroyés aux présidents d’universités prennent la place de la collégialité et de la démocratie
universitaire et contribuent à détricoter le lien entre ceux qui enseignent et font la recherche et ceux qui se
pensent investis d’un pouvoir de plus en plus technocratique, déconnecté des enjeux scientifiques et sociétaux.
Le cadrage des répartitions budgétaires pouvant répondre à la diversité des situations est remplacé par
l’arbitraire du prétendu dialogue de gestion finalisé par une contractualisation généralisée. L’ensemble de ces
dérives résulte pour une grande part de la loi « LRU », faussement nommée « d’autonomie », qu’il faut
abroger. Si l’augmentation réelle des moyens, et en priorité en emplois publics, est cruciale, elle ne rendra pas
pour autant la loi LRU acceptable.
Dans le document qui a été distribué, il est tour à tour fait référence à une « autonomie réelle » et à une
« autonomie authentique ». Mais de quoi parle‐t‐on ? Le flou règne autour de ce que nous pouvons qualifier
d’autonomie. S’agit‐il de l’autonomie intellectuelle, renvoyant directement aux garanties du droit à la
recherche de chaque enseignant‐chercheur, à l’indépendance de la recherche, à l’autonomie pédagogique et
aux statuts des personnels qui en sont les garanties ? Ou bien, s’agit‐il de l’autonomie financière
consubstantielle de la loi « LRU », accompagnant l’entreprise de déréglementation massive, de suppression de
tous les cadres nationaux vecteurs d’égalité – je pense notamment au suivi national de l’effectif réel de
l’emploi public – ?
Si, comme l’a laissé entendre Jean Pierre Sueur, il s’agit de l’autonomie intellectuelle que nous ne cessons de
défendre, c’est bien d’une rupture radicale avec la loi « LRU » et les processus d’exclusion (EQUIPEX, LABEX,
IDEX…) liés au grand emprunt qu’a besoin le service public d’enseignement supérieur et de recherche.
Si le CIR devait être modifié, quelle en serait la nouvelle assiette ? Si un plan pluriannuel de création d’emplois
devait être planifié, à quelle hauteur se situerait‐il ?… La communauté universitaire attend des réponses. Des
réponses et des engagements précis, et ce avant 2012. Elle souhaite pouvoir se projeter dans l’avenir et voir conforter sa force créatrice, fruit de réflexions qui s’inscrivent dans le temps long de la recherche et de la réflexion pédagogique. L’enjeu est immense pour la recherche et les formations publiques, pour le service public, pour la démocratisation de l’enseignement supérieur, pour les étudiants, pour la société. Le Parti Socialiste, comme d’autres, est attendu. C’est en ce sens que j’ai conclu mon intervention en interpellant directement sa première secrétaire, Martine Aubry. La communauté universitaire et scientifique n’a pas été épargnée ces quatre dernières années et s’est jetée dans une lutte historique, elle n’entend pas voir ses luttes balayées ou dévoyées.
Bien cordialement,
Stéphane TASSEL
Secrétaire Général