Accueil > Revue de presse > L’inquiétante Maison de l’histoire de France - par Isabelle Backouche et (...)
L’inquiétante Maison de l’histoire de France - par Isabelle Backouche et Vincent Duclert Historiens, enseignants-chercheurs à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), Libération, 12 juillet 2011
jeudi 14 juillet 2011, par
On aurait pu s’attendre, au vu des assurances des membres du comité d’orientation scientifique de la Maison de l’histoire de France, à ce que leur avant-projet (remis au ministre de la Culture le 16 juin) soit un solide contre-feu opposé aux tentations réactionnaires, démagogiques et hypercentralisées de cette initiative présidentielle. Rien de tel malheureusement. Certes, les membres du comité se refusent à toute histoire officielle ; ils revendiquent « rigueur scientifique » et « connaissance authentifiée du passé » ; des perspectives historiographiques sont tracées ; la « valorisation de la recherche » est comptée dans les missions de la future Maison. Mais ce texte de 71 pages souffre d’un double défaut. L’alignement de grands concepts souvent vides de sens est tel qu’on se demande comment tirer des lignes directrices d’un tel discours et comment imaginer un musée, que ce dernier s’appelle ou non « Maison ». L’annonce de l’exposition de préfiguration, « la France, quelle histoire ! », décrite succinctement sur deux pages, ne lève pas les inquiétudes et illustre la seconde faiblesse du texte. Le souci de faire populaire, d’attirer le grand public, particulièrement les jeunes, conduit à adopter les seules postures de la communication, un véritable feu d’artifice de formules choc censées séduire le lecteur. Faute d’avoir une vision claire de l’histoire assignée au musée, les auteurs oublient leurs pieuses intentions scientifiques et s’égarent dans une autosatisfaction peu étayée. « Le propos est assurément très ambitieux » (page 16), n’hésitent-ils pas écrire sans expliquer, par la comparaison par exemple, en quoi il l’est.
Ce jugement pro domo sur le travail accompli renseigne sur la méthode qui prévaut, celle d’une opération autoritaire sous couvert de dialogue et de scientificité. Ce que l’on constate en premier lieu, c’est la concertation fonctionnant comme un alibi. Celle-ci n’a pas eu lieu durant l’avant-projet, alors qu’elle s’imposait dans cette phase de gestation. La sénatrice Catherine Dumas, auteure d’un rapport particulièrement critique sur la méthode (« la Maison de l’histoire de France. Rendez-vous avec l’histoire »), a conduit plus d’une trentaine d’auditions. Les consultations annoncées ne devraient pas changer le cours des choses puisque le comité affirme d’ores et déjà sa confiance « dans le fait que l’Etat saura, tout au long de ce processus, rendre possible, par les investissements humains et matériels nécessaires, l’ensemble des préconisations contenues dans le présent avant-projet » (page 11). Un dialogue en position fondatrice aurait été nécessaire tant les controverses sont nombreuses sur la Maison de l’histoire de France. Quant à la scientificité proclamée, elle souffre de multiples entorses. Aucun état des lieux de l’acquis des musées d’histoire (dont celui des Archives nationales déjà exclu des précédents rapports), aucune synthèse sur l’état de la recherche en matière d’histoire au musée, aucune bibliographie analytique, des citations issues d’on ne sait où, des fiches didactiques au lieu de véritables problématisations… Ecriture de communication plus que de création. Dominé par les généralités et les propos convenus, l’avant-projet court le risque de disparaître sous la logique des programmateurs et des scénographes. Un peu d’expérience en la matière montre qu’un (avant-)projet scientifique doit au contraire être très structuré, référencé, concerté, pour relever le défi de la mise en musée d’un authentique savoir.
Le plus grave est à venir. Alors que le comité, par la voix de son président Jean-Pierre Rioux, avait défendu le principe de sa neutralité quant au lieu d’installation de la future Maison, le texte de l’avant-projet explique qu’elle sera « située dans le centre de Paris ». Les documents publics qui accompagnent la remise du rapport, ainsi que le discours du ministre le 16 juin, sont parfaitement explicites : la Maison de l’histoire de France s’installera dans « le quadrilatère de Rohan-Soubise, aux côtés des Archives nationales » - dont les personnels se battent depuis le mois de septembre 2010 contre ce parachutage. Le conflit est monté d’un cran avec l’ouverture à la hussarde des jardins séparant les deux palais, premier volet de l’opération Maison de l’histoire de France telle qu’elle avait été annoncée par Nicolas Sarkozy le 14 septembre 2010.
Pour lire la suite.