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Education par capitalisation ou éducation par répartition, Terra Nova n’a pas choisi -David Flacher (mcf Paris 13) et Hugo Harari-Kermadec (mcf ENS Cachan), "Le Monde", 6 septembre 2011
mardi 6 septembre 2011, par
A la veille de la rentrée universitaire, Terra Nova nous livre contribution foisonnante. Comme beaucoup, nous adhérons à certaines de leurs propositions (l’intégration des classes préparatoires au sein des universités, par exemple). Mais c’est à deux d’entre elles, qui renvoient à de véritables choix de société, que nous nous proposons de répondre. La première concerne le relèvement des frais d’inscription (triplement des droits d’inscription en licence et quadruplement en master et en doctorat). La seconde concerne la création d’une allocation d’autonomie pour les étudiants (500 euros mensuels pendant une durée de 50 mois).
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Que signifie prendre d’une main ce que l’on donne de l’autre ? Pourquoi rester au milieu du gué, sans choisir entre l’allocation d’autonomie et une logique marchande ? Le relèvement des frais d’inscription constitue en effet (avec la mise en place de prêts aménagés) le pilier d’une "éducation par capitalisation" : l’étudiant est un investisseur qui accumule du capital (humain) qu’il conviendra par la suite de rentabiliser.
Les pays ayant opté pour cette approche ont tous procédé de la même manière : d’une part, en relevant progressivement les plafonds des frais exigibles auprès des étudiants et, d’autre part, en instituant des systèmes de prêts aménagés, accessibles aux étudiants indépendamment de leur origine sociale. Les prix peuvent alors croître à mesure que se développe le financement par des prêts. Une dynamique d’endettement à laquelle Terra Nova ouvre également la voie en proposant la création d’un prêt étudiant à taux zéro garanti par l’Etat.
Certes, dans la proposition de Terra Nova, le montant de l’allocation est bien supérieur (500 euros par mois) à l’augmentation des frais de scolarité (moins de 1000 euros par an). Mais ne pas voir la contradiction entre frais d’inscription et allocation d’autonomie nous semble d’autant plus inquiétant que les expériences internationales – mais aussi nationales – autorisant le relèvement des frais d’inscription se sont toujours soldées par une fuite en avant. Le Royaume-Uni vient ainsi de rehausser le plafond de ces frais à 9000 livres (plus de 10000 euros). En France, depuis que Sciences Po Paris et l’Université Paris-Dauphine sont autorisés à fixer leurs droits d’inscription, ceux-ci n’ont cessé d’augmenter (atteignant 13 000 euros par an en master à Sciences Po).
Il est bien sûr possible de plaider pour un barème national unique dans tous les établissements d’enseignement supérieur pour éviter cette coûteuse concurrence. Cependant, un tel barème, pour être juste, devrait dépendre du revenu du foyer et être mutualisé au niveau national (ce que ne prévoit pas la proposition de Terra Nova). En tout état de cause, qui pourra croire, à la lecture des expériences internationales et nationales et dans la conjoncture d’austérité, que ce verrou ne finirait pas très vite par céder au profit d’une libéralisation des frais d’inscription ?
L’allocation d’autonomie procède, elle, d’une tout autre logique : elle vise à rendre les étudiants financièrement indépendants de leurs familles, en leur permettant de mener à bien les études qu’ils ont choisies. Elle doit, pour être pertinente, couvrir les coûts de la scolarité et permettre aux étudiants de se passer d’une activité rémunérée pour financer leurs études, souvent au détriment du succès académique.
Mais surtout, l’allocation d’autonomie financée par les prélèvements obligatoires participe d’une logique opposée à celle de la théorie du capital humain : l’éducation constitue d’abord un investissement collectif, dont les retombées sont aussi (ou avant tout) sociales. Ces retombées ne sont pas seulement liées au fait que les diplômés, du fait de leurs revenus plus élevés, payent davantage d’impôts. L’éducation permet un partage des savoirs, contribue au développement des consciences et à l’émancipation de chacun.
Contrairement aux fondements d’une "éducation par capitalisation" que symbolisent les frais d’inscription et l’endettement, l’allocation d’autonomie procède d’une "éducation par répartition" : elle repose sur la solidarité entre générations, les actifs d’aujourd’hui payant pour les futurs actifs, comme ils payent pour les anciens actifs à travers le système de retraite. Comme pour les retraites, ce mécanisme de solidarité présente de nombreux avantages : il encourage les populations les moins favorisées à entreprendre des études, alors même que leur milieu social d’origine ne les y prédisposait pas. Il donne une possibilité réelle, pour ces étudiants, d’envisager des études longues ou plus prestigieuses, ce qui reste impossible pour ceux qui sont contraints aujourd’hui à une activité rémunérée pour financer leurs études. Il offre une indépendance à l’étudiant et soulage les familles modestes.
Alors pourquoi la contribution publiée par Terra Nova propose-t-elle de reprendre (en partie) par des frais de scolarité ce qu’elle propose d’offrir par l’allocation d’autonomie ? Deux réponses sont possibles : soit le "think-tank" n’a pas fait son choix entre deux modèles peu compatibles, soit il a en tête un développement bien supérieur des frais de scolarité par la suite, dans le cadre d’un véritable marché des formations.
Si, pour les raisons que nous avons évoquées, autoriser le relèvement des frais d’inscription revient à faire entrer les universités dans une logique marchande dont il est difficile de mesurer les conséquences, nous pensons que le moment est venu de prendre position face au développement à l’échelle mondiale d’un modèle d’éducation par capitalisation. Il faut réaffirmer, en France et en Europe, notre attachement à une autre approche de l’éducation et poser les fondements d’une véritable éducation par répartition.
Ce projet est ambitieux mais finançable, dans le cadre d’une réforme de la fiscalité que de nombreux économistes appellent de leurs vœux. Il passe conjointement par une absence totale de frais d’inscription et une allocation d’autonomie. Il supposera évidemment la mise en place de garde-fous.
Cette option ne règlerait évidemment pas tous les problèmes de l’enseignement supérieur. Il ne suffira notamment pas pour compenser tous les handicaps des milieux populaires, sous-représentés dans l’enseignement supérieur. Mais il y contribuera grandement. Gageons que le débat qui s’ouvre contribuera à renforcer notre modèle social plutôt qu’à l’affaiblir davantage.
David Flacher est maître de conférences à l’Université Paris 13, Hugo Harari-Kermadec est maître de conférences à l’Ecole normale supérieure de Cachan