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Un collège de Seine-Saint-Denis a mis en fiche ragots et vie privée de ses élèves - Lucie Delaporte, "Médiapart", 22 septembre 2011
dimanche 25 septembre 2011, par
Il faut cliquer sur les fiches pour pouvoir les lire en détail.
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C’est un « suivi individualisé », dont se seraient bien passés les élèves du collège Lenain-de-Tillemont, à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Le fichier interne mis en place par l’établissement, et que s’est procuré Mediapart, est un document qui fait froid dans le dos. Dans un style qui rappelle les notes blanches des Renseignements généraux, le collège de Montreuil a recensé dans un fichier informatique des données très personnelles, voire ultra-sensibles, sur les élèves arrivant en 6e.
Elaboré à l’occasion de réunions d’harmonisation entre le primaire et le collège, où interviennent les directeurs des différentes écoles du secteur, des instituteurs, mais aussi, côté collège, la principale et les professeurs concernés, le fichier a synthétisé les informations fournies oralement sur les élèves.
Au final, l’opération a abouti à créer pour chaque élève une fiche scolaire du troisième type qui croise, sans aucune retenue, des données scolaires à d’autres, médicales, psychologiques, voire proprement policières. Ainsi « sait manier un compas » se retrouve sur le même plan que l’annotation « gens du voyage » ou « papa problème d’alcoolisme ». Le fichier, a priori à usage interne, a été imprimé en une dizaine d’exemplaires et largement distribué aux enseignants sans susciter de réactions.
L’un des élèves de 6e appréciera d’être annoncé au collège comme étant « fourbe, vicieux, insolent », « caïd de la classe », à surveiller de près. Une autre d’être le « stéréotype de la fille de cité dans son attitude » d’autant que, comble du mauvais goût sans doute, « les parents sont séparés. Peu de contacts avec l’école ». Ci-dessous quelques fiches :
Extrait fiche 1
Extrait fiche 2
Extrait fiche 3
Extrait fiche 4
Si certaines informations comme « intéressée par la mode et les copines » ou « joue beaucoup aux jeux vidéo » semblent assez peu pertinentes, plus inquiétante est la tendance proprement policière qui consiste à relever, sans aucune prudence, des éléments aussi sensibles que « violence du papa envers sa fille », « papa problème d’alcoolisme et la maman aurait des problèmes de santé » ou « s’est déjà enfui de la classe ».
De même, les données relatives à la nationalité ou à l’origine sont relevées sans scrupules, ainsi « gens du voyage sédentarisés », ou « élève primo-arrivante du Portugal ». Quid de l’utilisation possible de ces informations sensibles ? Le sujet ne semble pas avoir beaucoup préoccupé les responsables du collège. Pourtant, une mention relevée sur une fiche : « absentéisme cautionné par les parents », pourrait avoir des conséquences bien extérieures à l’établissement scolaire puisque depuis la rentrée 2010 la suppression des allocations familiales peut sanctionner un absentéisme récurrent. Et que dire aussi du secret médical, à plusieurs reprises bafoué, le fichier indiquant avec précision certaines pathologies ?
« Point faible : a une attitude d’élève »
Dans un souci de personnaliser la relation éducative – selon l’expression en vogue rue de Grenelle –, les considérations psychologiques occupent une place de choix dans ce fichier, bien plus parfois que les informations proprement scolaires. Ainsi peut-on lire qu’un élève est « capable de manipuler son père. Fourbe. Elève comédien : pas de contact physique » (!).
Un autre, qualifié de très bon scolairement, a quand même du souci à se faire car il est « différent des autres élèves », sans autre forme de précision... Les analyses sur la personnalité des élèves sont si hasardeuses qu’elles prêtent souvent à sourire. Ainsi cette « élève pleine d’énergie qui peut être tantôt positive tantôt négative », ou cet autre pour qui l’on note un « point faible : a une attitude d’élève ». Bigre !
Comme le fichier est bien fait, la grille d’explication de ces comportements déviants est souvent fournie. Celle-là est « très pénible » mais faut-il s’en étonner puisque, juste après, est mentionné que la « maman a une attitude conflictuelle » vis-à-vis de l’école. Si celle-là « pleure souvent », c’est qu’elle « a perdu sa mère à la naissance ». Celle-là, note la fiche informatique avec assurance, « Bénéficie d’un soutien psychologique depuis cette année. Gros soucis familiaux. Très couvée par la maman qui manque de confiance vis-à-vis de sa fille, elle la dévalorise. Les parents ne s’entendent pas ». Inutile de s’étendre sur le caractère hautement scientifique de ces assertions.
En filigrane, se dessine le portrait type des bons et mauvais parents. A côté des rebelles, qui font l’objet d’un signalement, (« famille en opposition avec l’école dans le cadre d’un problème », « maman agressive vis-à-vis du corps enseignant »), de ceux qui ont des problèmes de couple (« parents ne s’entendent pas »), il y a les défaillants, ceux qu’on ne voit jamais (« Maman n’est pas connue à l’école ni au collège », « les parents sont absents de l’école »), et tant pis si les horaires décalés de certains ne leur permettent pas de venir chercher leur enfant.
A l’inverse, il y a les bons, comme ce papa qui « a été présent lors de la remise des livrets et s’est également investi dans l’école et au collège » ou cette « Famille participative ».
Propos injurieux et diffamatoires
Ragots, rumeurs, on-dit... Pour Jean-Luc Dardaine, représentant la fédération de parents FCPE, « ces propos, même à l’oral, n’auraient jamais dû être tenus dans une réunion à caractère officiel ». Après avoir pris connaissance du contenu du fichier, il a adressé une lettre ouverte aux enseignants du collège en début de semaine, où il leur demande de condamner des « pratiques qui ne sont dignes ni des personnes, ni de l’institution ».
Il attend « des excuses quant aux propos injurieux et diffamatoires présents dans certaines fiches ». Pour lui, des « actions de sensibilisation, d’initiation aux notions de respect, de la vie privée, des libertés publiques » devraient être mises en place après ce dérapage.
Alertée, Dominique Voynet, maire de Montreuil, a envoyé un courrier au ministère de l’éducation et à la CNIL (commission nationale informatique et libertés). « La question du fichage est un sujet sensible, nous avons donc, selon la procédure habituelle, signalé les faits qui nous ont été rapportés par certains parents au ministère et à la Cnil », explique l’adjointe à l’éducation de la ville, Catherine Pilon. Pour l’heure, très prudente afin de ne pas stigmatiser un établissement qui n’en a pas besoin, elle préfère « attendre les résultats de l’enquête interne ».
Une enquête est effectivement en cours pour déterminer les responsabilités dans cette affaire. Selon des sources internes, la direction de l’établissement dément avoir avalisé un tel fichage qui serait le fait d’une coordinatrice école/collège – un de ces postes aux contours flous dans les établissements ECLAIR – un peu trop zélée.
« Il est évident que, dans des cas pareils, l’institution va sortir son parapluie pour se protéger. Il n’est pas question de reconnaître que ces types de comportements sont en fait encouragés au plus haut niveau », analyse un enseignant qui travaille dans un établissement ECLAIR (sigle signifiant : Ecoles, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite et remplaçant les anciennes ZEP : zone d’éducation prioritaire). Dans ces lycées ghettos, l’expérimentation tous azimuts n’est-elle pas constamment mise en avant ?
Avatar monstrueux de Base élèves
Il est difficile de ne voir dans ce fichage que le fruit d’un simple dérapage individuel tant il semble l’avatar monstrueux de projets défendus depuis des années par le ministère de l’éducation nationale, qu’il s’agisse du fichier Base élèves ou du livret personnel de compétences informatisé.
On se souvient que Base élèves – ce fichier informatique des élèves de maternelle et de primaire généralisé en 2007 – a, après une longue mobilisation, été expurgé en 2008 de données telles que la nationalité ou l’année d’arrivée en France. Il était en effet accusé de pouvoir servir d’auxiliaire de police pour mener les expulsions de familles sans papiers.
Xavier Darcos, alors ministre de l’Education nationale, s’était engagé à ce que Base élèves ne fasse plus apparaître « la profession et la catégorie sociale des parents, ni la situation familiale de l’élève, ni l’absentéisme signalé, pas plus que les données relatives aux besoins éducatifs particuliers ».
Plus récemment, la mise en place du livret de compétence informatisé, ce livret informatique qui suit l’élève tout au long de sa scolarité – sans droit à l’oubli –, s’inscrit sur certains points dans la même logique. Y figurent en effet de bien étranges informations sur les « compétences comportementales » de l’enfant. Et comment ne pas également penser à la volonté maintes fois exprimée par la majorité de mettre en place une détection de la délinquance dès la maternelle. Idée lancée par un Nicolas Sarkozy encore ministre de l’intérieur en 2005, à la suite du rapport du député UMP Jacques-Alain Benisti sur la question, elle fut, encore récemment, remise au goût du jour par Frédéric Lefebvre.
Tout cela constitue un bruit de fond qui n’a manifestement pas échappé à l’équipe éducative du collège de Seine-Saint-Denis.
Si, ni le ministère, ni le rectorat, ni l’inspection, ni la principale du collège, n’ont souhaité s’exprimer sur cette affaire, malgré nos sollicitations répétées, c’est que le document dérange. Il en dit sans doute bien long sur ce que l’école est devenue dans certains quartiers.